Richard Patry (FNCF) : "L'impact sur l'exploitation est gigantesque"
Le président de la FNCF revient sur la fermeture de l’ensemble des salles hexagonales, intervenue le week-end dernier pour une durée d’un mois suite au développement du Covid-19. L’occasion d’aborder les conséquences économiques de celle-ci sur l’exploitation, les mesures sectorielles annoncées à ce jour et le défi majeur que constituera la réouverture des salles.
Que vous inspire la fermeture généralisée des salles françaises, décidée par le gouvernement le 14 mars ?
Il ne s’agit pas pour moi de commenter les décisions prises par le gouvernement : il faut être un citoyen responsable et les appliquer strictement parce qu’elles sont nécessaires, même si elles me rendent profondément tristes. Philosophiquement, je pense que la culture est indispensable à la vie.
Quel impact ces fermetures, actées jusqu’au 15 avril à ce jour, vont-elles avoir sur le secteur de l’exploitation ?
Il est gigantesque, et en particulier pour deux types d’exploitants : ceux qui ont investi récemment – dont je fais partie – et ont donc des charges d’emprunts, et ceux qui ont un loyer conséquent à payer. Il ne faudra pas qu’une seule salle reste sur le bord de la route ou dépose le bilan, ce à quoi nous nous employons bien évidemment. Depuis 15 jours (l’interview a été réalisée le 16 mars, Ndlr), nous réclamons au CNC des mesures, qui sont arrivées tardivement. Nous demandons, notamment, la création d’un fonds d’urgence pour les salles les plus en difficulté.
C’est-à-dire celles qui ont contracté un emprunt récemment ou doivent payer un loyer conséquent ?
Tout à fait, et qui n’auront pas pu obtenir de leur banquier suffisamment d’air pour tenir en termes de trésorerie. Puisque, bien sûr, la trésorerie est notre principale problématique. Des mesures économiques importantes ont été annoncées, il faut maintenant voir comment toute cela se concrétise.
Etes-vous justement satisfait des mesures annoncées ? Concernant la filière cinématographique, le CNC a notamment indiqué qu’il suspendrait la collecte de la TSA en mars et permettrait, pour les exploitants, distributeurs et producteurs, la mobilisation anticipée de leur compte de soutien automatique…
Suspendre le prélèvement de la TSA est une mesure très importante, qui va agir sur la trésorerie, tout comme le fait de faciliter le paiement d’avances pour les exploitants qui ont des avances disponibles sur leur compte de soutien. Mais, pour moi, la plus grande difficulté interviendra au moment de la réouverture. Au-delà de l’impact économique immédiat, réel mais absorbable si des mesures sont prises au niveau gouvernemental, c’est la sédentarisation forcée de nos concitoyens qui m’inquiète le plus. Pendant plusieurs semaines, ils ne pourront pas sortir de chez eux. Que vont-ils faire pendant tout ce temps ? Regarder Netflix, Disney+ (la plateforme sera lancée en France le 24 mars, Ndlr) ou Amazon Prime Vidéo, et, donc, se déshabituer de la salle de cinéma. Or le cinéma est une machine qui doit rester en marche. Lorsqu’elle s’arrête, il est très difficile de la remettre en route. Il va donc falloir mettre en place un plan de relance d’une ampleur inégalée, afin de faire revenir massivement les gens dans les salles. Nous ne pouvons pas nous permettre, de surcroit, un petit redémarrage. Sinon, les séquelles seront bien plus grandes que celles que l’on imagine actuellement.
Réfléchissez-vous, au sein de la FNCF, à des initiatives allant dans ce sens ?
Bien sûr, c’est même notre préoccupation centrale aujourd’hui. Nous réfléchissons à toutes les mesures qui pourraient être mises en place lors de la réouverture des salles. Le Printemps du cinéma (fixé du 29 au 31 mars, Ndlr) n’aura pas lieu, c’est certain. Peut-être pourrions-nous donc le "recycler" ? Mettre en place une opération d’incitation tarifaire ? Je m’engage, par ailleurs, à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour faire en sorte que les exploitants reprogramment, au moment de cette réouverture, les œuvres diffusées dans leurs salles avant la fermeture, qui en ont souffert. Nous ne laisserons pas tomber les distributeurs et les producteurs qui ont maintenu leurs films à l’affiche, nous nous devons d’être solidaires. J’espère d’ailleurs que la filière profitera de cette période pour faire preuve de solidarité, pour construire de nouvelles formes de solidarité, parce que nous en avons bien besoin.
De nombreux films ont été décalés à une date ultérieure quelques jours avant la fermeture des salles puis, bien évidemment, dans la foulée de cette fermeture. Craignez-vous, en conséquence, un embouteillage des sorties à terme ?
D’abord, cela dépendra du moment auquel ils seront reportés (beaucoup de titres ont été repoussés sans nouvelle date de sortie, Ndlr). Ensuite, l’annulation des tournages va avoir un impact fort sur la programmation en salles, non pas du deuxième semestre 2020, mais des premier et deuxième semestres 2021. Je pense donc que certains films annoncés pour fin 2020-début 2021 vont prendre un petit peu de retard, et qu’en conséquence, tout va glisser. Le problème ne sera donc peut-être pas aussi important que ce que l’on peut imaginer. Ceci étant dit, il faut que les distributeurs restent raisonnables et n’embouteillent pas certaines semaines de la fin d’année.
Propos recueillis par Kevin Bertrand
© crédit photo : DRVous avez déjà un compte
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