Cinéma

Cannes 2021 – Anaïs Volpé réalisatrice de 'Entre les vagues' : "Le point de départ est très sensoriel"

Date de publication : 15/07/2021 - 08:45

Sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs, le film est signé par une cinéaste qui a déjà à son actif plusieurs films hybrides et a autoproduit le projet cross-média Heis.

Comment en êtes-vous venue à réaliser ?
À 17 ans, je suis venue à Paris pour faire du théâtre. Pendant quelques années, j’ai été comédienne et ce qui m’animait, c’était le travail collectif autour de la création. En parallèle, je souhaitais voir comment se passaient les tournages, en 2008 j’ai tapé "réalisateurs" dans Google et j’ai contacté tous les réalisateurs qui avaient un site web et un contact accessible. Je me suis retrouvée première assistante réalisatrice sur plusieurs court métrages et clips pendant plus d’un an, ce qui a été très formateur. En 2012, j’ai eu l’occasion de découvrir le montage par hasard, à travers le Mashup Film Festival, pour lequel j’ai réalisé un minimétrage Mars ou Twix. La découverte du montage a été une révélation pour moi, j’ai adoré ça. C’était une autre forme de construction artistique qui m’a semblé évidente.
 
À l’époque, j’ai demandé à des amis de me prêter des smartphones, des caméras, pour tourner des rushs et m’entraîner à monter le soir chez moi. Au début, j’utilisais beaucoup la voix off car je n’avais pas de quoi prendre le son lorsque je tournais des séquences. C’était vraiment artisanal et j’apprenais au fur et à mesure, en regardant des tutoriels dès que je rencontrais des soucis avec le logiciel de montage. De fil en aiguille, j’ai eu envie de travailler avec une équipe, j’ai trouvé de quoi louer du matériel en travaillant à côté. J’ai d’abord autoproduit mes premiers projets : de là sont nés Blast, Heis et Dans la jungle, avec un petit couteau à beurre…
 
D’où vous viennent les envies de films ?
Les envies de films partent toujours d’un point de départ très personnel. Une envie très forte de raconter quelque chose qui me touche, et ensuite je fictionnalise ces émotions personnelles dans une histoire plus loin de moi.
 
Quel est le point de départ qui vous a inspiré Entre les vagues ?
Le point de départ est très sensoriel, il est né d’un besoin de retranscrire une énergie plutôt qu’un événement. J’ai eu envie de rendre hommage à ces émotions vives que j’ai pu ressentir entre mes 17 ans (mon arrivée à Paris) et mes 27 ans, au travers des héroïnes du film et via ce qu’elles seront amenées à vivre tout au long du film.
C’est une envie de raconter ce virage dans lequel on se sent parfois à 27 ans : lorsqu’on se retrouve dans la fin de la vingtaine avec une fougue impatiente que la vie décolle enfin, avec la crainte que nos rêves soient finalement plus grands que nous, inaccessibles. C’est surtout un hommage à mes amitiés dans Paris. Un hommage à cette ville qui m’a adoptée. Un hommage à la création et la fiction, qui nous aident à tenir, quelles que soient les difficultés.

Comment présentez-vous le film en quelques mots ?
Margot et Alma, toutes deux 27 ans, sont dans un virage important de leur vie et ressentent une urgence de vivre, hors normes. Sur le fond il n’y a pas de lien avec mes travaux différents car l’histoire, les enjeux et les personnages sont très différents de ce que j’ai fait avant. Je souhaite que chaque projet ait sa particularité, dans le fond comme dans la forme. Pour l’instant, je grandis en même temps que l’âge de mes films, en essayant de toujours parler de ce que je connais, de regarder les sujets ‘en face’ comme on dit. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai toujours donné vie à des personnages qui ont l’âge que j’avais lors de l’écriture du scénario.

Il a un lien avec votre travail précédent que ce soit par la forme ou le fond ?
Mes précédents travaux ont toujours été autoproduits alors que sur Entre Les Vagues j’ai eu la chance d’être produite et d’être très accompagnée, par la production, par une vraie équipe de tournage, avec d’autres moyens etc.  J’ai fabriqué, pour la première fois, un film autrement. Mais j’ai tenu à garder la même liberté, la même excitation dans le processus de création.
 
Comment avez-vous construit le scénario ?
L’écriture du scénario a duré trois ans. J’ai écrit plusieurs versions possibles de cette histoire, ce qui m’a permis d’explorer vraiment le champ des possibles avec mes personnages. Et de ne garder que ce qui me semblait important, de version en version. Ma productrice Caroline Nataf a toujours eu un regard très intéressant et des retours qui m’ont beaucoup aidé à avancer. J’ai l’impression que nous avons toujours vu le même film à l’étape du scénario déjà, et je me suis toujours sentie soutenue, même dans les moments de doutes, ce qui est essentiel.  Ma rencontre avec Souheila Yacoub et Déborah Lukumuena a permis aussi de me dire que ce scénario pourrait être interprété par des actrices. Ca l’a rendu plus réel soudainement. Puis on a eu la chance, en Janvier 2020, d’être sélectionné aux lectures du festival Premiers Plans d’Angers (c’est Natacha Régnier qui a lu), cela m’a permis d’écouter les réactions des gens dans la salle, avant même que le film ne soit tourné.
 
Comment avez-vous choisi vos comédiennes  ? Comment on forme un couple d’amies de fiction ?
Je n’avais aucun critère précis lorsque j’ai ouvert les castings, tous les profils étaient les bienvenus. Je ne cherchais pas des profils mais plutôt des natures. Deux natures, deux énergies dingues, singulières et complémentaires, qui seraient capables de porter le film entièrement. Avec une palette de jeu très exigeante. J’ai vu environ 120 comédiennes. Individuellement d’abord. Puis en duo lorsque je voulais tester deux actrices ensemble.  Former un couple d’amies demande une alchimie absolue au jeu, donc il faut tester plusieurs possibilités et voir où la magie opère. Ce qui est assez marrant c’est que Déborah et Souheila ne s’étaient jamais rencontrées de leur vie avant leur casting en duo, et lorsqu’elles ont joué ensemble, les planètes se sont alignées, elles m’ont embarquées immédiatement : rires et larmes. J’avais devant moi les héroïnes du film.
 
Pourquoi avez-vous choisi Sean Price Williams à la photographie ? Vous aviez des demandes précises en termes d’images ?
J’adorais le travail de Sean depuis des années, notamment au travers des films des frères Safdie. Une amie en commun nous a mis en contact et pendant trois ans, entre Paris et New York, nous avons communiqué par mail, nous avons appris à nous connaitre. Je l’ai choisi car son énergie correspondait à ce que je voulais pour le film. J’aime sa liberté. Il est très cash, très libre, très instinctif et tout sauf scolaire. Artistiquement on s’est bien rencontré. On a une manière commune de travailler : pas de découpage avant le tournage, garder une part d’instinct dans tout ce qu’on fait, explorer, rester exigeant dans ce qu’on souhaite pour l’image.

Dans mes demandes précises, je souhaitais que l’on passe le moins de temps possible à installer des lumières afin de laisser la place au jeu, à l’énergie des actrices avant tout. Car je savais que le karma premier du film se situait là.  Je voulais que le film soit tourné en caméra épaule constamment et avoir le moins de matériel possible. Je ne voulais pas que l’on sente la fabrication du film. Dès que nous avions besoin de faire un travelling on utilisait un chariot, une camionnette ou un fauteuil roulant. On appelait ça entre nous les "courageous shots". Je voulais que le film transpire la caméra épaule, le jeu épaule, le montage épaule.

Je tenais absolument à tourner avec une caméra en particulier et aucune autre: la Digital Bolex, une caméra fabriquée il y a quelques années qui a la particularité de créer un rendu 16mm tout en étant du numérique. La production de cette caméra a duré très peu de temps et a été arrêtée en 2016. De fait, il n’y a pas beaucoup de modèles dans le monde. Elle est peu utilisée à ce jour car en cas de soucis avec le matériel, il n’y a qu’une seule personne dans le monde, basée à Los Angeles, qui peut la réparer. Avec Sean on se disait qu’il fallait trouver minimum deux à trois caméras pour s’assurer de finir le film en cas de soucis. On a cherché et au moment du tournage on avait 3 cameras Digital Bolex à disposition, dont une que l’on a fait venir des États-Unis. Je voulais absolument développer avec Sean, une identité visuelle particulière pour le film.  On était vraiment content de pouvoir réussir à tourner avec cette caméra.
 
Où et quand avez-vous tourné ?
On a tourné de Septembre à Octobre 2020. Juste entre les deux confinements.  On faisait partie de la première salve de tournages à vraiment reprendre en temps de Covid donc on était très précautionneux. Tourner un film en pleine pandémie c’est très intense. Il y a la peur que le tournage s’arrête du jour au lendemain en cas de covid.  On a été dans une urgence absolue du premier au dernier jour de tournage. Chaque semaine qui passait, il y avait des nouvelles restrictions: couvre-feu, interdiction des réunions à plus de X personnes, bars qui ferment etc… Ca devenait rock’n’roll de passer à travers toutes les mailles de tous ces filets.  Il y a des séquences que l’on a pu tourner in extremis. On a été tous unis par une envie très brûlante de faire ce film, la peur au ventre parfois à cause du timing, mais avec un désir qui prend le dessus et qui nous porte. Mille fois j’ai eu l’impression de prendre un virage trop serré. Mille fois j’ai dit "aujourd’hui ça va être raide en pente". Mais c’était excitant, et ça a servi l’énergie du film.
 
Quand le film a-t-il été terminé ?
Nous avons terminé le film fin juin ! Nous avons pris du temps avec Zoé Sassier, la monteuse du film pour explorer les possibilités de montage pour le film, pendant des mois.  Ca a été vraiment galvanisant car on était en plein confinement. Dans un Paris vide. On a partagé ensemble nos points de vue, nos kinder bueno et le variant anglais. Même quand on avait le covid, on continuait à s’appeler pour penser au film. Comme dans le film, lorsque les héroïnes s’accrochent à la création, à la fiction pour se sauver de leurs vies et qu’elles continuent de créer, quelques soient les difficultés: nous avons fait pareil.
 
Qu’attendez-vous de cette sélection à la Quinzaine des réalisateurs ?
Je suis très heureuse que le film soit sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs car c’est une section de Cannes que je suis depuis des années et que j’adore ! Ca me fait tellement plaisir, après cette année si compliquée pour nous tous, que le film fasse sa première mondiale ici. J’ai tout simplement hâte de partager le film avec les gens, le montrer en live à toute l’équipe du film… et vivre ça dans une salle de cinéma, après tous ces mois sans sorties culturelles. J’ai hâte de découvrir tous les autres films de la Quinzaine, la sélection me donne très envie !
 
Cannes c’est un bel endroit pour révéler une oeuvre ?
Cannes est une fête pour le cinéma. C’est un endroit intense pour y montrer son travail.  Je crois que cette année tout particulièrement, on sera tous très heureux de partager du cinéma tous ensemble !

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo :


L’accès à cet article est réservé aux abonnés.

Vous avez déjà un compte


Accès 24 heures

Pour lire cet article et accéder à tous les contenus du site durant 24 heures
cliquez ici


Recevez nos alertes email gratuites

s'inscrire