Cinéma

Annecy 2024 - AnimFrance entend traverser la crise et préparer le rebond

Date de publication : 13/06/2024 - 08:09

La conférence du syndicat a permis de faire le point sur la crise actuelle, liée à la contraction du marché international, dont les répercussions se font à présent sentir sur l’emploi, mais aussi sur les leviers possibles, à commencer par l’amélioration des dispositifs existants.

"Nous avons choisi cette année de souligner à la fois la situation qui est quand même assez sérieuse et préoccupante et en même temps le dynamisme du secteur" a souligné d’entrée de jeu Samuel Kaminka, président d’AnimFrance. "Quelques chiffres sont dans le rouge, notamment les financements internationaux qui se sont raréfiés avec une radicalité et une soudaineté sans précédent. Les streamers sont passés d'une situation de surproduction au quasi arrêt et les restructurations en cours de grands groupes américains perturbent les chaînes de décision et les poussent à l'immobilisme. Sous-tendu par la migration du public vers le non linéaire, on assiste à un affaiblissement des revenus de certaines chaînes privées. Et à l'étranger en particulier, on assiste à une baisse des prix à la fois en préfinancement et en achat. Ce qui complique pas mal la vie des producteurs. Ajoutons à cela qu'en France, les obligations des plateformes sont improductives. Les préfinancements des œuvres sont donc plus rares et plus difficiles. Et les deux jambes que sont la prestation de service et la production déléguée ont pris des coups dans les genoux assez sérieux".

Or dans le même temps l'inflation et la hausse des taux d'intérêt continuent de faire grimper les budgets, ce qui produit un effet de ciseaux sans précédent. "Pour autant" a repris Samuel Kaminka "l'animation dispose d'atouts extrêmement puissants pour rebondir, à commencer par une reconnaissance à la fois unanime et mondiale. En termes d'audience, elle est toujours en deuxième position dans tous les grands pays européens et en quatrième position sur l'ensemble des plateformes SVàD". Et côté cinéma les longs-métrages français rayonnent à l'international et pour la première fois, deux films d'animation se placent dans le top trois de l'export.

Comme l’a précisé Stéphane Le Bars, le volume de production aidée reste anémié puisque sur les années 2022 et 2023 le volume total enregistré au CNC est à peu près de 250 heures par an, alors que la ligne de flottaison historique du secteur est de 300 heures annuel. Un chiffre qui s’inscrit dans un contexte global reparti à la hausse des couts de production, le coût horaire étant de 856 000 € en 2023 après un pic à 879 000 € en 2021. Contexte qui s’explique aussi par un marché international qui exige des oeuvres toujours de plus en plus qualitatives. Or le financement sur ce même marché est à la peine avec une baisse de 38% des exportations en 2022, par rapport au plus haut de 2020. Les prochains chiffres de vente de l'année 2023 seront dévoilés par Unifrance et le CNC au mois de septembre. Mais pointe Stéphane Le Bars "Il ne faut pas s'attendre à des miracles. Les retours de nos adhérents font ressortir des chiffres de vente qui ne sont pas bons l'année dernière. C’est le reflet du ralentissement général".

Autre moteur du secteur, la prestation de services est même une composante essentielle du volume d’affaires du secteur depuis quelques années. Le volume de dépenses éligibles au titre du crédit d'impôt international a fortement augmenté entre 2015 et 2023, puisqu'il y a eu une multiplication par sept de ces dépenses qui atteignent quasiment les 200 M€. Or celle-ci devrait décélérer même si 22 projets d’animation ont obtenu l’agrément provisoire du CNC contre 21 en 2022

Le marché de l’emploi se retourne
Autre constat inquiétant le marché de l’emploi se retourne depuis le printemps 2023. Sur les trois premiers mois de l'année 2024 il est en dessous des chiffres de 2023 et 2022. Le nombre de salariés est de 10 017 en 2023, soit -1,5% par rapport à 2022. Mais la masse salariale reste encore élevée, du fait notamment de l’inflation.

Sans surprise, les premiers impactés par ce ralentissement du marché sont les intermittents puisqu'ils représentent 84% des effectifs et 70% de la masse salariale. Dès qu'une production est arrêtée, ce sont les intermittents qui sont bien évidemment les premiers affectés.  Quant à la part des femmes elle continue de croître, puisque de 32% en 2015 elle est de 44% en 2023. Mais les trois quarts des séries ont encore été réalisées par des hommes.

Troisième élément moteur le long métrage est au plus haut avec 18 films agrées en 2023 dont 12 d'initiatives françaises. Un bond important par rapport aux années 2019-2022. Mais leur devis médian est de 3,8 M€, un niveau qui n'avait jamais été constaté jusqu'à maintenant.

Le carbulator en démo à Annecy
AnimFrance a profité d’Annecy pour faire le point sur son Carbulator, outil de calcul carbone développé en interne, le premier dédié à l’animation. Depuis le 1erjanvier 2024. le principe de l'éco-conditionnalité est entré en vigueur dans le domaine de la prise de vue réelle. Les producteurs ont désormais l'obligation de déclarer un bilan carbone prévisionnel puis définitif. Cette obligation pourrait entrer en vigueur pour l’animation à compter du premier trimestre 2025. Or si deux calculateurs carbone ont été homologués par le CNC, il n’existait pas d’outil spécifique aux besoins de l’animation.

Le carbulator prend en compte le bilan carbone des studios avant d’affecter les émissions aux différents postes de production. Il intègre aussi le fait que la production d’animation implique de nombreux partenaires et prestataires avec des co-producteurs situés dans différents pays. Pour effectuer un bilan carbone complet il faut donc avoir la capacité d'intégrer les facteurs d'émissions locaux des voisins européens. Une V3 du calculateur sera disponible dès le 4e trimestre de cette année afin de pouvoir lancer son homologation par le CNC. Une initiative qui intéresse déjà l’Irlande et le fonds économique wallon Wallimage.

Premier bilan de l’accord avec les auteurs
L’année dernière à Annecy avait signé pour la première fois un accord structurant avec les auteurs, encadrant rémunération et pratiques contractuelles. Reste que la prise compte de la commission d’agent dans les minimas a fait l’objet d’une interprétation différente entre producteurs et auteurs. Comme l’a rappelé Catherine de Bailly déléguée aux affaires juridiques. "Au préalable nous tenons à réaffirmer que bien évidemment... La représentation des auteurs par un agent est un principe qui n'est pas contesté et qui ne peut absolument pas être entravé. Ceci étant dit, si la représentation d'un auteur par un agent est une liberté individuelle nous considérons qu’elle doit être pleinement assumée par l'auteur qui en fait le choix. C’est pour cela que les producteurs considéraient, unanimement ou presque, que le coût de la commission afférente à la représentation d'un agent doit être supporté par l'auteur lui-même. Ce avec quoi les auteurs et les agents n'étaient pas tout à fait d'accord. Le fait est que l'accord ne comporte aucune règle à cet égard et que les situations se sont réglées plus ou moins facilement, selon les interlocuteurs en présence et les sociétés de production. Aujourd'hui l'état de la situation est donc celui-là c'est-à-dire que cette question est réglée de gré à gré. Et finalement cela ne change absolument rien à la situation qui était antérieure à la signature de l'accord".

Quels leviers pour répondre à la crise ?
Face à la crise internationale, la première réponse passe par sécuriser le marché français. Ce qui passe par des accords interprofessionnels solides avec les diffuseurs. Sur un total de 74 M€ en 2022, France Télévisions en pèse 30 M€ soit 40%. Les deux accords récents sont donc cruciaux, celui sur l’audiovisuel étant encore à l’état de deal memo.

Côté cinéma, l’accord, qui court à compter du 1e janvier 2024, porte sur vingt-cinq films d’animation pendant cinq ans, avec en échange une télévision de rattrapage (TVR) de 30 jours et sept jours de preview. Un véritable progrès dans la mesure où, auparavant, les engagements ne portaient que sur trois à quatre films par an. Et le 30 mai le CA du groupe public a validé, sous la forme d’un deal mémo, les montants futurs consacrés à la création audiovisuelle par France Télévisions. Il est d’ores et déjà établi que l’animation verra son enveloppe passer progressivement de 32 M€ en 2024, à 37 M€ en 2027. L’accord couvre en effet la période 2025-2027, mais devrait pouvoir être renouvelé au bout de trois ans pour deux années supplémentaires. Mais surtout, pour la première fois, un plancher en faveur du long-métrage d'animation a été fixé à 3 M€ par an (+ 3 M€ à répartir sur la période 2025/2027), en miroir de ce qui a été obtenu côté cinéma.

Du côté de TF1 la diffusion d’animation a été impactée par l'arrivée de la matinale de Bruce Toussaint à partir du mois de janvier. Pour autant TF1 continue à respecter son obligation de diffusion de 750 heures de programme jeunesse dont 650 heures d'animation. Et le groupe vient d’ajouter un avenant à son accord en s'engageant à une diffusion de 300 heures de programme jeunesse sur TFX, assortie d’un quota minimum de 200 heures d'animation. Ce qui entraîne un investissement supplémentaire du groupe TF1 de 1,5 M€ par an, qui bénéficiera notamment à la production inédite d'animation.

Reste plusieurs problèmes majeurs aux yeux des producteurs d’AnimFrance, à commencer par celui de Youtube, qui se réfugie derrière son statut d’hébergeur de contenus pour ne pas avoir à contribuer à la création d’œuvres originales. Par ailleurs le décret CabSat notamment en raison de règles soumettant l’intégration à des seuils d’audience et de chiffre d’affaires, n’a permis d’intégrer aucun acteur étranger. Quant au décret SMAD, selon le mot de Stéphane Le Bars "c’est un fiasco pour l’animation française". Le fonds sélectif plateforme, dispositif transitoire qui avait été mis en place fin 2021 par le CNC pour accueillir des œuvres commandées par les éditeurs étrangers n’a bénéficié qu’à une seule œuvre Karaté Mouton de Xilam pour Netflix. Et en 2022 au sein des 1,17 Md€ d'investissement totaux dans la production audiovisuelle, seuls 287 M€ ont été générés par les SMAD dont seulement 18 M€ investis en faveur de l'animation. Ils se répartissent entre 11 M€ consacrés à des achats et 7 M€ investis dans de l’inédit.

Le bilan du décret SMAD par l’Arcom et le CNC a été repoussé à la rentrée 2024. Il importe donc de le revoir et de passer par une clause de diversité, qui soit au minimum de 20%, dont 12% pour l'animation.

Parmi les autres leviers possibles, figure un aménagement du plafond du crédit impôt audiovisuel à la minute, qui passerait de 3000 € à 6000 €. Par ailleurs le plan du CNC en faveur de l’animation a débouché sur les aides CVS puis en 2022 sur la création de l’aide aux techniques d’animation, permettant notamment de soutenir plus tôt et mieux les longs métrages. Mais en étant très sollicitée cette aide a donc été diluée. AnimFrance plaide donc pour doubler son enveloppe actuelle qui passerait ainsi à 6 M€ par an.

Patrice Carré
© crédit photo : Patrice Carré


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