Cinéma

Congrès FNCF 2016 - L’exploitation intransigeante sur la chronologie des médias

Date de publication : 29/09/2016 - 08:24

La table ronde du 71Congrès de la FNCF s’est concentrée sur les bouleversements ressentis par l’ensemble de la chaîne de diffusion des films à l’heure du tout numérique. Avec, entre interrogation et inquiétude, un focus plus particulièrement marqué sur la chronologie des médias.

“Les salles ont déjà donné un tiers de leur fenêtre voilà sept ans, sans rien demander en retour. Aujourd’hui, nous n’avons plus rien à donner.” C'est ainsi que Richard Patry a ouvert la table ronde de cette 71édition de la grand-messe des exploitants, qui portait cette année sur “La diffusion du cinéma à l’ère numérique : grand écran, télévision et nouveaux médias.” Une affirmation forte en guise d’introduction pour le président de la FNCF, symbolique quant à l'importance croissante que prendra le sujet de la chronologie des médias lors de ce long moment d’échanges.

Car il s'agit là, pour les exploitants du moins, d'alerter sur un modèle de diffusion typiquement hexagonal, au carrefour de nombreuses problématiques et impactant l’industrie dans son ensemble, menacé aussi bien par une volonté européenne d’uniformisation du marché numérique dans l’Union que par le positionnement éditorial de nombreux opérateurs étrangers. La thématique de la table ronde, bien que décidée en amont, s’est malgré elle inscrite dans un débat d’actualité relancé récemment par le groupe Canal+, dont le directeur général, Maxime Saada, s’est prononcé, la semaine dernière dans Le Figaro, en faveur d’une avancée de la fenêtre d’exclusivité Pay TV de dix à six mois après la sortie en salle.

Réunis autour de la table, siégeaient plusieurs personnalités de l’industrie et une élue directement concernées par le sujet : Marc Tessier, président du Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (Sévad), Thomas Valentin, vice-président du directoire du Groupe M6, Pierre-Jean Benghozi, économiste et membre du collège de l'Arcep, Karine Berger, députée (PS) des Hautes-Alpes et auteure de La culture sans État, Alain Sussfeld, directeur général d'UGC et président de la Procirep, et Jan Runge, directeur exécutif de l'Unic.

La salle de cinéma à l'honneur

Les discussions, modérées et menées grand train par Pascal Rogard, directeur délégué de la SACD, ont avant tout porté sur la chaîne de diffusion dans son ensemble. Un bref exposé statistique relayé par Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la FNCF, a rappelé l'importance de la salle de cinéma dans l'assiette des recettes des œuvres cinématographiques. Selon ces chiffres, en 2015, les guichets des cinémas français on cumulé 1,331 Md€ (stable par rapport à 2014), la fenêtre télévision payante rapportant pour sa part 220 M€, celle de la TV en clair 157,9 M€, la vidéo physique, 421,1 M€ (en chute de 25% en deux ans), la VàD 54,9 M€, et la VàD par abonnement, 82,5 M€ (+182% par rapport à 2014). Et le délégué général de rappeler également les obligations de programmation des différents modes de diffusion.

Amorçant les différentes prises de parole, Pascal Rogard a commencé par aborder les propos de Maxime Saada relatifs à la chronologie des médias, avant d'évoquer l’information dévoilée le matin même par Le Figaro : la mise à disponibilité, à compter du 27 octobre, du bouquet CanalSat Panorama et de myCANAL aux abonnés Freebox Révolution (au nombre de 3 millions) pour 39,99 €, soit seulement 2 € de plus que le prix de la seule Freebox Révolution avec option TV.

Partant du constat que “c’est la salle qui se porte le mieux”, tandis que “les autres maillons de la chaîne connaissent des moments difficiles”, Marc Tessier a dégagé quatre “symptômes” responsables, selon lui, de ces changements : le développement “extrêmement lent” de la VàD à l’acte, “loin de compenser la chute de la vidéo physique” ; les difficultés rencontrées par la télévision payante, avec une concurrence sur l’offre sportive, de séries et de films par de nouveaux acteurs ; une diffusion et une économie hexagonale du cinéma ne reposant plus, comme auparavant, sur les seuls opérateurs nationaux, concurrencés par de nouveaux acteurs étrangers ; enfin, un système poussant les opérateurs à privilégier la fiction audiovisuelle comme contenu phare, tant en termes d’investissement que de communication.

Le président du Sévad a alors proposé quatre “remèdes” à ces problématiques : une lutte efficace contre le piratage ; la contribution des FAI au financement de la création et à la rémunération des auteurs ; la taxation des opérateurs internationaux sur le sol français ; et un développement renforcé de la vidéo à la demande. Le dirigeant a d’ailleurs rappelé que son syndicat co-organisait, du 6 au 9 octobre, la première Fête de la VàD dans cette optique.

Un manque de rentabilité pour les TV gratuites

Prenant la parole à son tour, Thomas Valentin s’est concentré sur le cas des chaînes de télévision en clair, “diffuseurs, producteurs et contributeurs importants du cinéma français”. Le vice-président du directoire du groupe M6 s’est déclaré “frappé par certaines règles remontant à 30 ans”, qui poussent les diffuseurs en clair “à se désintéresser du cinéma, car tout est fait pour qu’ils soient bloqués, limités dans leur diffusion des films”, en évoquant notamment les jours de restriction, une interdiction de la publicité cinéma, une fenêtre d’exclusivité trop éloignée (à 22 mois), mais aussi un manque de rentabilité du fait d’un nombre limité (à deux) de coupures publicitaires lors de la diffusion d'un film ou d'une série. “Aujourd’hui, ces règlementations ont-elles encore un sens ?” a questionné Thomas Valentin, qui appelle de ses vœux la possibilité d'opérer une troisième coupure publicitaire.

De son côté, Pierre-Jean Benghozi a défendu la thèse selon laquelle “internet et la distribution en ligne ont changé le modèle de convergence des médias en aboutissant à une hyper-offre”. De cette dernière résulte logiquement une “parcellisation de la consommation, qui change l’économie de la chaîne de diffusion, impactant l’ensemble de la chaîne de valeur”, désormais radicalement plus bénéficiaire aux contenus phares – ou “blockbusters” –, qu’à ceux basés sur une économie plus restreinte, qui souffrent d'un manque de visibilité. L’économiste a ainsi soutenu la proposition d’un système de quotas, envisagé à 20% d’œuvres européennes dans les plateformes de VàD et SVàD par Bruxelles. “20% d’une hyper-offre reste une représentation très importante”. Idée vivement contestée par le Dg de la SACD, pour qui ce quota devrait être envisagé à 50%.

Selon Alain Sussfeld, l’une des conséquences directes du basculement au tout numérique est une “paupérisation” de l'offre d’image, qui “se concentre désormais sur les blockbusters au détriment de la diversité”. Il appuie également la thèse selon laquelle l'exploitation est le “seul secteur qui a tenu la rénumération de la création” et donc assuré la valeur des œuvres.

Une opinion partagée par Karine Berger, qui a qualifié les exploitants dans la salle de “derniers boucliers pour la création de la valeur” des œuvres cinématographiques. La députée s’est en outre interrogée sur la manière de ramener les plateformes étrangères de VàD vers un rôle plus vertueux pour la création, la plupart assurant “un rôle d’éditeur culturel sans pour autant participer au financement. L’assiette globale des recettes des œuvres audiovisuelles en France a bel et bien augmenté ces dernières années, mais une partie de cette assiette ne contribue pas”. La solution serait, d’après elle, de “prendre une décision nationale” pour “obliger les plateformes à se reconnaître comme éditeurs, avec les responsabilités inhérentes”.

La chronologie au cœur du débat

Sans surprise, la chronologie des médias a occupé une large part des échanges, alors que les exploitants des différentes branches de la FNCF réitéraient, mardi à Deauville, leur opposition totale à une quelconque modification de celle-ci.

Sans pour autant contester l'actuelle fenêtre salle – “les quatre mois sont protégés par la loi, les autres fenêtres dépendent d’accords interprofessionnels” –, Pascal Rogard s’est dit favorable à ce que soit remis “un peu de souplesse dans la chronologie des médias”. De son côté, Thomas Valentin a soulevé la récurrente question du non-déplacement du délai de diffusion d’un film sur une chaîne gratuite (22 mois) lorsqu’il n’est pas acheté en Pay TV. Une problématique d’autant plus prégnante que, selon le vice-président du directoire du groupe M6, “les films sont de plus en plus rincés avant leur passage sur la télévision en clair”.

Regrettant une période limitée pour l’exploitation des œuvres en vidéo à la demande, Marc Tessier a lui aussi rappelé l’importance de la fenêtre salle dans la chaîne de diffusion et la carrière d’un film. “Nous avons besoin d’une exploitation en salles avant la VàD. C’est une rampe de lancement.” Réagissant à la prise de parole du président du Sévad, Alain Sussfeld a insisté sur le fait qu’il “faudrait que la rémunération (de la VàD, Ndlr) soit un peu conséquente. Vous bradez les prix !”, a tonné le Dg d’UGC, regrettant la vente à l’acte de certains films à 2 €, voire moins. “La rémunération des ayants-droits est la base de la chronologie des médias”, a-t-il lancé en conclusion de sa prise de parole.

Synthétisant les deux volets abordés lors de cette table ronde, Jan Runge a souligné que l’Unic rencontrait deux défis auprès de la Commission européenne : expliquer la façon dont fonctionne la chronologie des médias – Bruxelles ayant, selon lui, “l’obsession” de créer un marché unique en Europe –, et intégrer les Gafa (Amazon…) dans le financement des films.

De son côté, Pierre-Jean Benghozi a estimé que piraterie et chronologie des médias étaient intimement liés. “L’une des solutions au piratage passe par une chronologie adaptée aux pratiques et aux attentes des spectateurs. Les deux questions ne peuvent pas être séparées.”

Une fois la parole laissée à la salle, plusieurs exploitants ont justement manifesté leurs inquiétudes relatives au piratage et à l’incertitude régnant autour de la chronologie des médias. Ainsi, Stéphane Libs, coprésident du Scare et exploitant des cinémas Star de Strasbourg, d’évoquer l’initiative ArteKino. Organisé du 30 septembre au 9 octobre par Arte, ce festival de cinéma paneuropéen en ligne proposera une sélection de dix films accessibles gratuitement, dont plusieurs ne sont pas encore sortis en salle. D'où la crainte, pour l'exploitant, que cette initiative, outre ses effets propres sur la carrière en salles des titres sélectionnés, puisse éventuellement faire des émules.

C'est pourtant l'absence d'une autre chaîne de télévision, Canal+, qui a été largement remarquée par l'assemblée, comme l'a formalisé Jean Labé, ancien président de la FNCF.

Kevin Bertrand et Sylvain Devarieux
© crédit photo : S.De.


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