Lumière MIFC 2017 - Jérôme Soulet : "Il est contreproductif d'opposer les modes de diffusion"
Accompagnant ce 5e MIFC en qualité de grand témoin, fonction qu’il inaugure pour l’occasion, le directeur vidéo, télévision et nouveaux médias de Gaumont s’est prêté, ce mardi 17 octobre, au jeu d’un keynote avant d’enchaîner sur une table ronde autour de l’édition vidéo. L’occasion de se pencher avec lui sur les spécificités et les enjeux de son champ d’action.
Quelles sont pour vous les principales caractéristiques du marché du cinéma de patrimoine et de répertoire en France ?
Les films français de patrimoine ont deux caractéristiques principales. D’une, ils représentent tout simplement LE cinéma, de ses débuts il y a plus de 120 ans à la fin des années 2000 si l'on s'en tient à la définition du CNC (films de plus de dix ans), mêlant à la fois des œuvres intimistes, des films dits de genre et de grands succès populaires. Ce sont les témoins de notre Histoire, de notre société.
Ensuite, ils apportent une contribution financière fondamentale à l’économie de notre filière, aussi bien pour le marché de la télévision que pour celui de la vidéo. Selon le CNC, en télévision, 60% de l’offre cinématographique sur les chaînes nationales gratuites est composée d'œuvres de plus de dix ans. Sur 2 194 films diffusés en 2015, près de 500 ont plus de 30 ans, soit près d’un sur quatre diffusé.
Existe-t-il encore des relais de croissance encore sous-exploités ou mésestimés au sein de ce marché ?
L’émergence des marchés à la demande, de la VàD à l’acte en passant par la VàD à l’abonnement et le téléchargement définitif, offre de nouvelles opportunités pour les catalogues de films de patrimoine. Les plateformes numériques ont encore des progrès à faire pour mieux accueillir et exposer les films de patrimoine afin que ces derniers disposent de la place qu’ils méritent. L’offre littéraire ne se conçoit pas sans la présence des œuvres des plus grands écrivains ; c’est pareil pour le cinéma, il ne peut y avoir de plateforme sans qu’une place de choix ne soit réservée à la mémoire, à son histoire. Sans éducation à la mémoire, sans un accès équitable, les œuvres ne pourront espérer traverser le temps et les générations.
Cette année, le MIFC laisse une grand part d’expression aux professionnels de l’édition vidéo, ce qui se trouve être l’un de vos domaines d’activité chez Gaumont. Comment considérer le marché de la diffusion vidéo pour les œuvres classiques, en comparaison à la salle ou aux ventes TV ?
La vidéo est évidemment un support essentiel pour découvrir les films de patrimoine. Nombre d'éditeurs locaux aux côtés d'étrangers, comme Critérion, Kino, le BFI, par exemple, continuent d'accorder une extrême attention au travail technique et éditorial réalisé autour des grands classiques. La force du marché de la vidéo physique réside dans la pérennité matérielle de l’œuvre, sa transmission que permet facilement le support.
Mais le marché vidéo évolue et accorde une place de plus en plus importante à la dématérialisation. C’est à la fois un danger et une fabuleuse opportunité : danger car les éditeurs de plateformes ont la fâcheuse tendance à courir après les dernières nouveautés ; opportunité car les plateformes se sont multipliées et sont autant de nouveaux points de rencontres entre les films de patrimoine et le grand public.
À côté de cela, la salle poursuit son chemin avec les œuvres de patrimoine, mais plus dans une approche événementielle, sous la forme de rétrospectives ou de ressorties de films restaurés. Enfin, la télévision reste, nous l’avons vu précédemment, le meilleur promoteur du cinéma de patrimoine, notamment populaire. Nous avons la chance en France d'avoir accès, en particulier en télévision payante, à des chaînes éditorialisées. Veillons ensemble à ce qu'elles perdurent en poursuivant main dans la main le long et coûteux travail de restauration.
Vous animez d’ailleurs une table ronde sur le sujet, durant laquelle seront abordées les réussites des éditeurs indépendants en termes de distribution alternative. Pouvez-vous fournir quelques exemples ?
Les éditeurs indépendants ont toujours réussi à distribuer et à exposer leurs films grâce à une politique éditoriale très exigeante, à la fois sur le choix des œuvres, la qualité des suppléments et la conception du produit final qui, très souvent, s’apparente à une édition collector. On peut dès lors avancer le concept d'objets filmiques.
La présence de films intégrés dans des collections est également tout sauf un argument marketing, il propose une lecture éditoriale au public. Ils ont ainsi réussi à signer des accords de distribution, généralement sélectifs voire parfois exclusifs, avec des réseaux spécialisés, mais aussi avec certains acteurs de la grande distribution, physique et dématérialisée. Même si chez Gaumont, nous avons développé depuis dix ans différentes initiatives en ce sens, je ne doute pas que les participants seront à même de nous faire part de leur propre retour d'expérience !
Pour parler de télévision, il semble que, malgré les promesses de l’ouverture de la TNT, les opportunités se voient réduites dans ce domaine pour les œuvres classiques. Les chaînes TV représentent pourtant toujours le premier marché des œuvres restaurées. Quelle est la tendance réelle ?
Les chaînes de télévision continuent de diffuser massivement des films de patrimoine, que ce soit celles du service public ou celles privées en clair. Chez France Télévisions, le volume de films de plus de dix ans est de 56,9%, de 49,6% sur Arte, sur TF1 de 36,8% par exemple. Quant aux chaînes de la TNT, elles n’échappent pas à ce constat : elles diffusent également majoritairement des films de plus de dix ans. Il est donc essentiel de préciser ce qu’est un film classique : si l'on s'en tient à la définition du CNC, ce serait donc a minima une œuvre de plus de dix ans.
Mais pour être qualifié de classique, un film doit-il être en noir et blanc ou être sorti en salle avant la fin des années 2000, peut-il être un film populaire ou doit-il être un film plus difficile d’accès ? Si l’on se place du point de vue du public, peut-être est-il possible d'avancer qu'il s'agit d'un film qui est entré dans la mémoire collective et qui est un marqueur de son époque à travers le sujet qu’il traite, son réalisateur, ses acteurs, mais aussi son succès, mais pas nécessairement la somme des quatre.
Pour l'heure, la télévision gratuite reste le meilleur partenaire pour la (re)découverte d'un film, celui qui lui permettra de traverser plusieurs générations et d'acquérir le statut de classique au sein de celle de film de patrimoine. Mais les chaînes privées ont des impératifs économiques parfois incompatibles avec la prise de risques de programmation qui peuvent néanmoins s'avérer payants ! Et là, nous retombons dans le débat sur l'éditorialisation. Avec, par exemple, la clause de rendez-vous sous la forme, par exemple, d'une case cinéma récurrente en première, deuxième ou même troisième partie de soirée…
La multiprogrammation à succès en TNT du film Dirty Dancing – et je prends volontairement une œuvre étrangère pour ne froisser la susceptibilité d'aucun détenteur français de droits – est en passe de lui permettre à terme d'accéder au statut de film culte et de lui ouvrir une diffusion sur une chaîne gratuite historique. Les chaînes gratuites de la TNT sont en mesure de jouer ce rôle avec un peu plus d'audace.
Quelles pistes creuser pour renforcer l’activité ?
Nous devons poursuivre dans la durée les investissements privés mais aussi publics –les dispositifs d'aide du CNC pourraient être sécurisés dans un plan pluriannuel – pour restaurer les œuvres non seulement les plus emblématiques mais aussi les moins commerciales. Il est contreproductif d'opposer les modes de diffusion qui se complètent et même s'additionnent en occasion de voir en fonction des publics, que ce soit à la télévision, en vidéo physique ou dématérialisée (VàD, SVàD). "Ce que je veux où je veux quand je veux" doit nous guider collectivement dans nos réflexions au bénéfice des œuvres et de leurs ayants droit.
Il nous faut, en parallèle de la définition des engagements des chaînes de télévision en faveur de la diffusion des films de patrimoine, obtenir des plateformes numériques de diffusion, au-delà des quotas purement mécaniques, que ces nouveaux entrants réservent une partie de la mise en avant des programmes aux films de patrimoine. C’est ainsi que ces œuvres continueront de perdurer dans la mémoire collective et qu’ils alimenteront la créativité des réalisateurs de demain.
Propos recueillis par Sylvain Devarieux
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