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Cinéma

Cannes 2022 - Cristèle Alves Meira, réalisatrice de "Alma viva" : "Le projet est né d'un sentiment d'injustice"

Date de publication : 18/05/2022 - 09:30

Soutenu par le programme Next Step de la Semaine la Critique, qui l’a sélectionné cette année, ce premier long métrage explore le champ du mystique et de la mort, faisant le pari réussi de filmer la croyance en l’invisible.

Quelques mots sur votre parcours…comment êtes-vous venue à la réalisation ?
Je suis comédienne de formation. J'ai commencé par faire de la mise en scène au théâtre et en parallèle je me suis lancée dans la réalisation, de façon autodidacte, avec un premier film documentaire que j'ai tourné au Cap-Vert (Som & Morabeza). Puis, un deuxième en Angola (Born in Luanda). J'avais besoin d'aller voir du côté des pays lusophones, c'était un premier pas vers mes origines. Je suis née en France de parents portugais, et mon désir de faire de la fiction au cinéma est lié à mon envie de filmer le village de ma mère au Portugal. J'ai donc tourné un premier court-métrage là-bas, un film d'été (Sol Branco) puis, un film d'hiver (Campo-de-Viboras). Lorsque j'ai réalisé ces deux films, j'écrivais déjà mon long-métrage. Ils m'ont servi à préparer le terrain.
 
Comment vous est venue cette idée de film ?
Le projet est né d'un sentiment d'injustice que j'ai ressenti à la mort de ma grand-mère maternelle. J'avais une vingtaine d'années et j'ai vu mes oncles et mes tantes se déchirer autour de sa dépouille pour une vulgaire question d'argent. Elle n'était pas encore enterrée qu'on se disputait déjà pour savoir qui allait payer sa pierre tombale. Elle est restée sans sépulture pendant deux ans. Cette brutalité dans les rapports humains m'a frappée au point de vouloir en faire un film. J'avais besoin de comprendre ce qui pouvait mener à ça. De cette histoire personnelle, il reste seulement une scène dans le film. Parce que très vite mon attention s'est focalisée sur la relation d'une grand-mère avec sa petite-fille. Une histoire d'amour entre deux générations de femmes, celle d'avant et celle d'aujourd'hui, liées à tout jamais par un héritage puissant. Alma Viva c'est donc l'histoire de Salomé (9 ans) qui revient au Portugal le temps d'un été auprès de sa grand-mère adorée. C'est le Portugal du soleil, des bals, des après-midis de pêche à la rivière. Mais c'est aussi le Portugal des sorts, des esprits et des morts. Lorsque sa grand-mère meurt brusquement dans des conditions étranges, Salomé découvre un héritage troublant. Comme sa grand-mère, elle a le pouvoir de renouer avec des forces invisibles.

Où et quand avez-vous tourné ? Il fallait un décor, une atmosphère précise ?
Nous avons tourné l'été dernier dans le village de ma mère, Junqueira, niché dans les montagnes du nord-est du Portugal, c'est là où je viens chaque année depuis que je suis née. J'entretiens une relation très intime avec ces paysages. Pour moi, ils sont chargés d'une pensée de notre temps mais qui nous vient de nos ancêtres. C'est avec ce sentiment que je les filme. Il y a dans ces villages, dans la façon d'être au monde de ces montagnards quelque chose qui nous vient de très loin. La modernité est là bien entendu mais les traditions et les coutumes continuent de vivre et de se transmettre. C'est d'une grande richesse culturelle et artistique. Le lien à la terre et aux saisons, les rituels qui l'accompagnent, font que lorsqu'on s'arrête dans ces villages reculés, on a l'impression de faire un voyage dans le temps. C'est d'ailleurs, ce qu'on ressent quand on voit Alma Viva, on ne sait plus à quelle époque on est, c'est intemporel. Tras-Os-Montes, "de l'autre côté des Monts", s'apparente à une zone de non-droit, avec une dimension mythique proche du western qui lui vient de son héritage celtique, de ses terres brûlées, de ses légendes urbaines avec ses guerres de voisinage et ses règlements de comptes. On se raconte beaucoup d'histoires puissantes et mystérieuses à l'abri des regards, dans les cuisines au coin du feu. Ce sont ces récits que je voulais porter à l'écran. Ils sont la matrice originelle, la mémoire archaïque de la culture portugaise. Poser mon regard sur cette ruralité, sur le Portugal de l'intérieur, sur cette région reculée, c'est une façon pour moi d'être dans la transmission.
 
Vous avez écrit avec Laurent Lunetta. De quelle façon collaborez-vous ensemble ?
J'ai commencé par écrire seule dans des résidences d'écritures qui m'ont permis de bénéficier d'avis extérieurs. J'ai posé des bases solides mais je sentais bien que je tournais autour de mon sujet sans parvenir à le saisir vraiment. C'est quand j'ai commencé à douter que Laurent Lunetta est entré dans l'écriture et ça a été réellement déterminant. Nous avons passé beaucoup de temps à discuter, à revenir sur mes intentions. Il m'a aidée à ne pas me détourner de mon sujet, à l'assumer et à le raconter pleinement. Nous avons restructuré le film ensemble et il ne me restait plus qu'à écrire les scènes et à les dialoguer. Laurent Lunetta est très à l'écoute et sensible, sa présence a fait beaucoup de bien au film et à moi.
 
Il y a eu des étapes déterminantes dans l’avancée de votre projet ?
Les étapes déterminantes ont été nombreuses, elles ont jalonné le parcours du film tout du long et nous ont permis chaque fois de continuer à y croire. Les retours positifs de financement ont été des marqueurs importants pour l'avancée du projet. Chaque fois qu'un partenaire a parié sur le film, c'était un grand pas en avant. La belle carrière de mon court-métrage Invisivel Heroi (en séance spéciale à La Semaine de la Critique) a sans doute aussi été motrice de façon indirecte. En termes d'écriture et d'avancée du scénario, le film a fait un bond en avant quand l'âge de l'héroïne a changé. Lorsque j’avais tourné une séquence du film dans le cadre d’Emergence, Salomé était alors une jeune femme. L'adolescente qu'elle était ramenait le récit vers les impondérables du film d'apprentissage avec ses airs de déjà-vu. Salomé est donc devenue une enfant. Parce que le territoire de l'enfance, ouvert sur l'imaginaire, est naturellement en lien avec des dimensions oniriques sans qu'on ait besoin de les justifier. Le récit s'est alors recentré sur l'essentiel, la mort par sortilège d'une grand-mère dotée d'un savoir ancestral et qui est transmis à sa petite fille. À l'étape du montage, l'avancée décisive a eu lieu autour de ce même constat. Salomé était entourée par une bande d'adolescents avec qui nous avons tourné plusieurs scènes. En salle de montage, nous avons constaté que les échappées de Salomé auprès des jeunes la coupaient de sa grand-mère et du sortilège dont elle est victime. Lorsque nous avons décidé avec Pierre Deschamps (le monteur) de retirer la bande de jeunes de l'histoire, le film s'est enfin trouvé. C'était un choix radical mais nécessaire. 
 
Dans une note de présentation vous parlez de “de la croyance en l'invisible, du lien que nous entretenons avec nos morts”, ce qui n’est pas particulièrement simple à filmer. Quels ont été vos choix de mise en scène ?
C'est vrai, Alma Viva est un film qui ouvre le champ du mystique et de la mort. C'est une façon pour moi de questionner notre rapport au réel dans une quête de sens qui traverse chacun d'entre nous. Quand Salomé (Lua Michel) demande à sa mère : "On va où quand on est mort ?", sa mère (Jacqueline Corado) est bien embêtée pour lui répondre. Parce que la mort qui s'ouvre sur le néant, c'est une vision minoritaire à travers le monde. Elle s'est imposée chez nous avec une telle force que c'est devenu une conviction. Mais en fait, on n'en sait rien. C'est le plus grand mystère de la vie. Et disons que cette question de la vie et de la mort, avec sa part d'énigmes et d'inconnues est ce qui me pousse à vouloir faire du cinéma, pour questionner la part secrète des choses, le hors champ, pour aller voir ce qui se cache sous l'apparence des choses, au- delà du visible. Parce que seul le cinéma a le pouvoir de rendre acceptable la mort, si implacable. Il existe un tabou autour de la mort en France que l'on ressent moins au Portugal qui veille encore ses morts. Dans le film, la petite fille et sa défunte grand-mère sont liées par des forces invisibles. La question du genre s'est donc posée tout au long du processus d'écriture et lors du tournage aussi. Lorsqu'on aborde un sujet mystique dans un film, que des esprits s'invitent dans une histoire, forcément on a tendance à le qualifier de fantastique. Mais, à partir du moment où ces croyances sont propres au lieu et à la communauté qui les raconte, il ne nous semblait pas nécessaire d'insister sur le fantastique, l'extraordinaire faisant partie du réel. On a plutôt cherché à créer des atmosphères porteuses de cette tension surnaturelle. À hauteur d'enfant, la magie peut surgir dans l'ordinaire à tout moment, sans avoir besoin d'être spectaculaire. Un ciel étoilé, le cri d'une chouette, les battements d'un tambour, une pluie providentielle, le miracle se joue dans des petites choses. J'aurais aimé qualifier mon film d'"ésotérique" (qui désigne ce qui est secret ou caché) sauf que c'est un paradoxe car à partir du moment où je romps le secret sur ces pratiques, en les amenant au cinéma, ça n'a plus rien d'ésotérique. Alors je crois que ce qui conviendrait le mieux pour le définir c'est le "réalisme magique".
 
Comment s’est fait le choix de vos interprètes ?
J'ai toujours nourri mes récits de situations et de décors réels, de personnes existantes. J'attache énormément d'importance à la crédibilité des situations et des acteurs que je filme. C'est sans doute lié à mon expérience de spectatrice qui aime croire à ce qu'on lui raconte. Ce n'est pas tant que je cherche à me rapprocher d'une certaine vérité, j'ai bien conscience que le cinéma est toujours une représentation de la réalité (même le documentaire). C'est plutôt une question de point de vue, une façon de poser son regard. Le cinéma nous donne la force de pouvoir regarder vraiment, alors autant y aller franchement en étant pleinement dans le réel. La grande majorité des acteurs sont donc des non-professionnels de la région, car il me semblait très important de respecter le dialecte local sans tomber dans la caricature. Les quelques acteurs professionnels qui jouent dans le film ont dû composer avec cette exigence d'intégration et se montrer d'autant plus convaincants, pour nous faire croire qu'ils font partie de la communauté. Vous ne le savez sans doute pas mais Lua Michel, qui interprète Salomé, c'est ma fille. À vrai dire, je n'avais jamais envisagé de travailler avec ma fille pour ce long-métrage, l'héroïne avait 11 ans dans le scénario quand j'ai commencé le casting. J'ai passé beaucoup de temps à rencontrer des petites filles en France et au Portugal.  Mais dans le film Palma d'Alexe Poukine, Lua (ma fille) avait démontré un désir de jouer (c’était sa première expérience de tournage, à l'âge de 7 ans). Et ne pas lui laisser sa chance de passer des essais pour mon film n'aurait pas été juste. Alors je l'ai filmée, d'abord à reculons. C'était une dure charge de prendre cette décision, c'était une grande responsabilité. Mais, Lua s'est imposée, elle s'est emparée du rôle de façon tout à fait naturelle. C'est alors devenu une évidence ! On a donc rajeuni le personnage, Salomé a 9 ans dans le film. Car en plus de faire preuve de maturité, d'un plaisir inconditionnel de jouer et d'une grande intelligence émotionnelle, Lua avait une connaissance innée du terrain. Elle connait très bien le village et ses habitants, pour y être aller depuis qu'elle est née, et elle parle le français et le portugais. C'était donc la meilleure chose qui pouvait nous arriver. Nous étions tous en terrain connu, dans une confiance totale, portés par un désir commun de raconter cette histoire et de fabriquer un film. Le travail en famille a réellement été une grande et belle aventure. Même si je ne vous cache pas que le tournage a été fort en rebondissements. S'attaquer à la sorcellerie n'est pas sans danger !
 
Des difficultés particulières lors du tournage ?
Énormément ! Des pluies diluviennes, un accident de moto, un acteur menacé de mort qu'il faut remplacer à la dernière minute, une vingtaine de pneus crevés et je vous épargne la suite sinon ça risquerait de vous effrayer. Nous avons été pris dans un tourbillon de difficultés à répétition qui ont décontenancé l'équipe au point de se demander si nous n'étions pas victimes comme la grand-mère de Salomé d'un mauvais sort ! Le plus incroyable dans tout ça, c'est qu'à chaque fois, nous avons trouvé des solutions et une façon de rebondir. J'avais à mes côtés une équipe de plus en plus soudée car les obstacles étaient extérieurs à nous (intempéries, accidents...). Les épreuves à surmonter nous rendaient chaque fois plus forts. Nous n'avions finalement que peu d'espace pour des guerres internes relationnelles et égotiques. L'heure était souvent grave et pourtant, chaque jour (ou presque), sur le plateau la grâce s'accomplissait. Je manquais d'espace pour m'en réjouir complètement mais je sentais bien que le film qui se fabriquait sous mes yeux, que l'équipe qui le portait étaient une chose très rare et unique. Nous étions un groupe extrêmement soudé.
 
Le film a été terminé quand ?
Nous avons terminé la post-production du film en parallèle des sélections cannoises vers la fin du mois de mars. J'ai eu la chance de pouvoir montrer aux sélectionneurs une version déjà bien avancée. C'était important car il y a une grande part de VFX dans le film même si ça ne se voit pas, que tout parait réel. Nous avons utilisé des effets spéciaux à de multiples endroits pour rendre crédibles certains aspects du récit (que je ne vais pas révéler ici) et que, je l'espère, vous découvrirez en salle.
 
Qu’attendez-vous de cette sélection à la Semaine après y être déjà venue ?
Être à la Semaine de la Critique ça veut dire beaucoup pour moi. C'est là-bas que j'ai eu l'honneur de présenter deux de mes court-métrages, Campo-de-Viboras et Invisivel Heroi, c'était déjà incroyable d'être invitée deux fois. Alors revenir une troisième fois, avec mon premier long métrage, c'est vraiment une immense joie ! Disons que j'ai la chance de me sentir accompagnée. La fidélité qu'ils/que les équipes de la Semaine m'accordent me donne de la confiance, je me sens vraiment soutenue, c'est si précieux. La Semaine de la Critique est une sélection unique. Seuls 7 longs-métrages en compétition sont choisis, c'est très peu. Cela permet de porter une réelle attention à chacun d'entre eux. Il y a un esprit très chaleureux presque familial, on y va pour voir des films et en parler vraiment. On se concentre sur l'essentiel, les réalisateurs et leur film. Ils me donnent l’impression d'être très exigeants et engagés. Lorsqu'ils aiment un film, c'est passionnément.
 
Next step a été important pour vous et pour le film ?
Bien entendu, surtout que c'est arrivé assez tôt dans le processus d'écriture. J'y ai rencontré des consultants avec beaucoup de qualités, à l'international, c'était réellement une belle façon de commencer. 

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : Aurélie Lamachère


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