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34 LES FILMS DU JOUR
suite de la page 32
Quinzaine des réalisateurs Quinzaine des réalisateurs
FIRST LOVE OLEG
LES TRIADES À TOKYO
Quatrième collaboration de Takashi Miike avec le producteur Jeremy Thomas, First Love marque une
certaine continuité dans l’œuvre récente du cinéaste, ce dernier ayant à nouveau recours à une veine de
narration plus classique. “Je respecte les spécificités propres à chaque genre, mais je me les réapproprie
pour m’exprimer librement comme le fait tout réalisateur appartenant à la génération actuelle. Et je crois
que c’est un trait commun à tous mes films”, souligne Takashi Miike, qui a de nouveau travaillé avec le
scénariste Masaru Nakamura. First Love suit le parcours de plusieurs personnages, parmi lesquels une
tueuse envoyée à Tokyo par les triades chinoises afin de remplir un contrat. Un téléscopage étonnant
mais qui, selon Miike, reflète une réalité des milieux criminels japonais. “Les yakuzas jouaient un
rôle de milice autoproclamée, mais ils ont perdu de leur pouvoir et les hors-la-loi venus d’horizons © TASSE FILM
différents, comme les gangsters chinois, profitent de la situation.” Mais, même si son style est devenu
plus classique, le cinéaste n’a rien perdu de son sens de la controverse. “Ce film peut être vu par des
enfants d’école maternelle s’ils viennent accompagnés par leurs parents. Cependant, je pense que les TRAVAILLEURS ATTACHÉS
enfants n’iront pas le voir. Ils ont, curieusement, une sorte de sixième sens qui les protège des dangers Le scénario d’Oleg est parti de l’interview d’un jeune homme au parcours
e
les menaçant. Dans le même temps, j’ai foi dans la force du 7 art. Le mode de distribution des films semblable à celui du personnage principal du film. “Un ami journaliste,
est peut-être en train de se transformer mais cela ne change rien à ma vision. Le cinéma doit continuer Kaspars Odiņš, m’a fait lire son article. Je l’ai lu après une journée de
à bousculer le spectateur.” P. C. tournage de Modris et cela m’a frappé, raconte Juris Kursietis. Après avoir
fini mon film, Kaspars m’a donné la transcription de l’interview et nous
avons rédigé ensemble une première ébauche, puis j’ai continué avec mon
épouse, Līga.” Oleg est produit par Alise Ģelze et Aija Bērziņa (Tasse Film).
“Aija était la productrice déléguée de mon précédent long. Il me fallait un
producteur cosmopolite pour Oleg et Tasse Film a l’expérience des copro-
ductions et du tournage à l’étranger.” Kursietis décide de tourner à Bruxelles,
ville symbolique des institutions européennes. Avant de partir en repérages,
il fait des recherches sur la situation des travailleurs lettons sur place. “On
m’a répondu qu’ils travaillaient au sein des institutions européennes, où
ils étaient bien rémunérés.” Mais la réalité est très différente. “En visitant
une usine de traitement de la viande à Gand, nous avons rencontré une
brigade de dix désosseurs lettons. J’ai découvert qu’il y avait une brigade
© ORIENTAL LIGHT AND MAGIC féminine dans l’usine voisine et ainsi de suite. Cela en dit long sur la bulle
dans laquelle nous vivons.” Le financement a été long, certains fonds euro-
péens jugeant le film trop ambitieux au regard des possibilités de finance-
ment lettones ou que son propos était outrancier. En fin de compte, Iota
Productions (Belgique) a permis de boucler le budget nécessaire. P. C.
Semaine de la critique
J’AI PERDU MON CORPS
L’ANIMATION AU SOMMET DE SON ART
Après y avoir présenté son court métrage Skhizein en 2008, Jérémy Clapin revient à la Semaine de la © LES FILMS DU WORSO, LE PACTE
critique avec ce long adapté du roman Happy Hand (éd. Seuil) de Guillaume Laurant. Un projet suggéré
par son producteur, Marc du Pontavice. “Il trouvait que mon univers artistique et les thèmes abordés
dans mes courts cadraient avec l’idée qu’il se faisait du film. Le point de vue d’une main qui refuse
d’abandonner son corps m’a tout de suite séduit. Comment créer de l’empathie pour un tel personnage ? Semaine de la critique - Séance spéciale
Comment la filmer, la sonoriser, comment plonger dans sa mémoire et en faire un personnage principal ?”
La réalisation a nécessité la mise en place d’un pipeline très particulier. “Pour les besoins de l’histoire et LES HÉROS NE
de ma mise en scène, je voulais un rendu brut et pictural, avec des aspérités mais aussi quelque chose
de très cinématographique. Je souhaitais également une animation sensible et réaliste. Bref, tout ce qui MEURENT JAMAIS
était impossible avec notre budget modeste.” Les scènes seront tournées avec des acteurs pour fournir
des références aux animateurs, tous les personnages étant modélisés en 3D puis animés d’après les
vidéos. “Une fois l’animation validée, nous avons utilisé un outil de dessin révolutionnaire, directement HISTOIRE DE FANTÔMES
intégré dans le logiciel 3D pour retracer ou ‘rotoscoper’ ces animations. C’était une fabrication proto- “J’ai eu de la chance que l’histoire se dessine en moi simplement et dans
type, mais aujourd’hui tout le monde s’accorde à dire que nous n’aurions pas pu atteindre ce niveau toute sa trajectoire en quelques semaines d’écriture. J’avais envie de
autrement.” Jérémy Clapin estime que cette sélection aidera le cinéma d’animation adulte à trouver tourner à Srebrenica et à Sarajevo, des lieux où j’ai vécu et qui ont façonné
sa place. “Cannes participe à cette légitimation auprès du grand public comme des réalisateurs et des à la fois l’Histoire de l’Europe et ce que je suis devenue. C’est aussi de là
producteurs. Ce cinéma d’animation n’existe pas au détriment du live mais participe à la richesse et la qu’est né le thème. Il y avait aussi le désir d’un film modeste, avec peu de
e
diversité du 7 art.” P. C. personnages, inspirés par des comédiens que j’aime et que je voulais voir
évoluer ensemble”, précise Aude Léa Rapin. Écrit avec Jonathan Couzinié,
également interprète du personnage principal, Les héros ne meurent jamais
se présente comme “l’épopée de trois amis qui enquêtent sur la réincar-
nation en Bosnie-Herzégovine, hanté par les fantômes de la guerre des
années 1990”. Le projet a été financé grâce à l’enthousiasme des partenaires,
qui ont réuni le minimum vital pour le tournage, celui-ci ayant lieu en juillet
2018 en Bosnie. “J’ai le souvenir d’un moment étrange lorsque nous étions
à Srebrenica. On vivait dans une grande maison criblée de balles, en mode
dortoir. Un soir, il y avait la demi-finale de l’équipe de France au Mondial de
© XILAM ANIMATION, REZO FILMS mètres du cimetière du génocide. Le lendemain matin, au même endroit,
foot. On l’a tous regardé sur un écran installé au bord de la route, à quelques
on enterrait 35 victimes des massacres, dont les corps avaient été retrouvés
dans les charniers autour de la ville et identifiés dans l’année. Je voulais que
le film traverse cette cérémonie. Ça a été particulier pour moi d’y plonger
17 mai 2019 Adèle Haenel, Jonathan Couzinié et Antonia Buresi.” P. C.