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20 LES FILMS DU JOUR
Quinzaine des réalisateurs
THE LIGHTHOUSE
AU BORD DU MONDE
En 2015, The Witch, premier long métrage de Robert Eggers,
remportait le prix de la mise en scène à Sundance. Pour ce
deuxième opus, tout est parti d’une idée du frère du cinéaste,
Max. “Il a pensé à une histoire de fantômes dans un phare. J’ai lu
ensuite un article sur un incident réel impliquant deux gardiens
du même nom, l’un plus âgé, l’autre plus jeune, qui se retrouvent
coincés sur leur phare pendant un orage. J’ai pensé que cela
pourrait être un bon point de départ pour un double jeu ambigu
sur l’identité, qui évoluerait ensuite vers quelque chose de plus
mythologique. Ce ne serait pas une histoire de fantômes, tout en
étant sombre et mystérieux.” Il va réussir à convaincre facilement
Willem Dafoe et Robert Pattinson, les deux comédiens étant fans
de The Witch. The Lighthouse a été tourné sur le cap Forchu,
un affleurement désolé de roches volcaniques à l’extrémité
sud de la Nouvelle-Écosse, où les conditions climatiques sont
extrêmes. “Il faisait un froid glacial. C’était un tournage très
exigeant physiquement pour Willem et surtout pour Rob.” Le
cinéaste a fait le choix du 35 mm noir et blanc. “L’atmosphère
du film est venue avant l’histoire. Elle était sombre, humide,
nauséabonde et tactile, nécessitant l’utilisation du noir et blanc
pour s’incarner. The Lighthouse n’est pas destiné à paraître
comme s’il s’agissait d’une œuvre perdue du passé, mais est
censé évoquer un sentiment similaire. Nous avons filmé avec des
lentilles qui étaient utilisées en 1915 et dans les années 1930.
Nous avons aussi choisi un format archaïque et rare, le 1.19:1.
Avec ces outils quelque peu émoussés, nous avons réussi à créer
une esthétique qui, nous l’espérons, transportera le public dans © ERIC CHAKEEN
le passé.” P. C.
Semaine de la critique - Séance spéciale Semaine de la critique
TU MÉRITES UN AMOUR CENDRE NOIRE
APPRENDRE À ÊTRE SEULE
Sofía Quirós Ubeda fait partie de la 4 promotion de Next Step, ce
e
programme d’accompagnement vers le long métrage sous forme
d’atelier, mis en place par la Semaine de la critique, qui avait sélectionné
son court métrage Selva en 2017. L’idée de départ de Cendre noire est
venue “du besoin de raconter une histoire qui parlerait de la mort et
de sa transformation, de l’approche du deuil par les enfants et de leur
© LES FILMS DE LA BONNE MÈRE, REZO FILMS “L’histoire a changé de forme plusieurs fois mais n’a jamais perdu son
façon de voir la mort”, explique la cinéaste. Le décès de sa grand-
mère va marquer la jeune femme et influencer l’écriture de son projet.
origine.” Elle va la développer pendant cinq ans, en compagnie de la
productrice Mariana Murillo (Sputnik Films), avant que n’arrivent les
autres partenaires de coproduction, depuis le Chili, l’Argentine et la
France. La réalisation de son court Selva lui permet de rencontrer,
deux jours avant le tournage, la jeune Smachleen Gutiérrez, qui sera
ensuite la comédienne principale de Cendre noire. “J’ai construit son
TOURNÉ À L’INSTINCT personnage à partir de mon travail avec elle, en la voyant se transformer.
Hafsia Herzi devait réaliser Bonne mère, produit par Abdellatif Kechiche, sur le D’abord enfant, elle est devenue une adolescente spontanée, engagée,
quotidien difficile d’une mère de famille marseillaise, pour lequel elle avait notamment créative et dotée d’une vraie puissance.” L’équipe de tournage est
reçu le prix spécial du jury Sopadin en 2013. Mais le film rencontrant des difficultés majoritairement féminine. “J’ai travaillé pendant longtemps avec la
de financement, elle décide d’en faire un autre, totalement autoproduit. “J’avais ce productrice, la directrice de casting et la directrice de la photographie.
scénario dans mes archives, je me suis lancée sur une pulsion. Je n’ai demandé Elles participaient à toutes les décisions créatives. Lorsqu’il a fallu
aucun financement parce que cela aurait pris trop de temps. Le défi était de tourner choisir le reste des techniciens, nous avons voulu conserver cette
avec très peu de personnes mais j’avais aussi envie de donner leur chance à des énergie et nous en sommes arrivés à constituer une équipe où presque
jeunes qui débutent. Tous mes techniciens ont été chefs de poste pour la première tous les chefs de poste étaient des femmes.” P. C.
fois, y compris le monteur. Je les avais rencontrés sur de précédents tournages. Et
les comédiens viennent de mon entourage.” Afin de ne pas mobiliser trop longtemps
son équipe, elle choisit de fractionner le tournage en trois périodes de cinq jours, sur
juillet, août et septembre. Elle décide d’interpréter elle-même le rôle principal. “Lila
est un personnage un peu complexe, il ne faut pas avoir trop froid aux yeux. Lors de
la réalisation de mon court métrage en 2010, j’avais été frustrée de ne pas être com-
plètement derrière la caméra. Je m’étais dit que je ne jouerai plus jamais dans mes
films. À présent, avec mon expérience des tournages, je me connais mieux. Je me suis © SPUTNIK FILMS-MURILLO CINE-LA POST PRODUCCIONES
laissée aller en oubliant parfois même la caméra. Je fonctionne beaucoup à l’instinct.”
L’étape du montage a été très longue et ardue. “Je m’étais coupée du monde mais je
n’ai pas lâché parce que je sentais qu’il y avait quelque chose. Vers la fin, le montage
devenait une obsession. Je suis allée voir Abdellatif Kechiche en lui disant : “Ça rend
malade.” Et il m’a répondu : “Mais c’est ça être réalisateur !” P. C.
19 mai 2019