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Quinzaine des réalisateurs
DOGS DON’T WEAR
PANTS
JE T’AIME MA DOULEUR
C’est un scénario encore en développement qui est présenté à Jukka-Pekka
Valkeapää par son producteur Aleksi Bardy en 2014. “Il m’a raconté l’idée
centrale. L’histoire d’un homme qui perd sa femme dans un accident, mais
la retrouve dans des visions d’asphyxie lors de séances d’étranglement
sadomasochiste. Je sentais que l’idée était très claire : la perversion et la
sublimité, l’obscurité et la lumière, le haut et le bas. Elle a immédiatement
suscité des images dans mon esprit. J’ai commencé à écrire ma propre
version en me basant sur la folle et belle idée de la scénariste Juhana
Lumme et l’émotion qu’elle avait suscitée en moi.” Le développement a
duré cinq ans, le projet ayant été rejeté pendant deux années consécutives
par le Fonds finlandais pour le cinéma. Pour incarner ses deux personnages
principaux, le cinéaste choisit Krista Kosonen et Pekka Strang. “Ce sont
parmi les meilleurs acteurs finlandais, sur scène comme à l’écran. J’ai pensé
qu’ils étaient les mieux placés pour ces rôles. De plus, ce sont tous les deux
d’excellents acteurs comiques, dotés d’un sens impeccable du timing, ce qui
m’a semblé important pour tempérer la nervosité et la folie lente et brûlante
des scènes.” Valkeapää va story- boarder toutes les scènes, conscient de la
nature intime et fragile de certaines d’entre elles. “J’ai essayé de les filmer
avec des plans d’ensemble ou de demi-ensemble afin d’avoir la meilleure
couverture possible. Il y a eu ainsi au maximum trois plans par séquence.
C’est faisable uniquement si les comédiens sont excellents et que l’équipe © HELSINKI FILMI
sait exactement ce qu’elle fait.” P. C.
Quinzaine des réalisateurs
POUR L’ARGENT
POURQUOI FILMONS-NOUS ?
Selon son réalisateur, Alejo Moguillansky, cette œuvre à la fois autographique
© NEED PRODUCTION-PERSPECTIVE FILMS, PYRAMIDE quoi vivons-nous, comment finançons-nous nos films, comment gagnons-
et fantastique, tente “de répondre à une question qui se pose toujours : de
nous notre vie ?” Pour l’argent est parti d’une pièce, créée et jouée il y a
quelques années par les comédiens du long métrage, Matthieu Perpoint,
Luciana Acuña, Gabriel Chwojnik et Alejo Moguillansky. Ce dernier est l’un
des fondateurs d’El Pampero, collectif argentin créé dans le but de renouveler
la pratique cinématographique. “Le film est né avec un petit financement qui a
couvert nos dépenses minimales pendant le tournage en Colombie. En outre,
il y a eu une subvention grâce à un système de mécénat de la ville de Buenos
Aires. Mais nous parlons de sommes qui, aux yeux des professionnels de
Semaine de la critique l’industrie, sont ridicules. À chaque fois que nous les évoquons avec eux, ils
NUESTRAS MADRES nous regardent comme si nous étions des écoliers en train de faire des films.
Peut-être que c’est ce que nous sommes en fait. J’espère même que oui. Le
jour où nous ne le serons plus, nous aurons arrêté de faire des films sérieu-
sement et nous serons devenus des bureaucrates se gargarisant de mots
APRÈS LA GUERRE tels que ‘argumentation’ ou ‘budget’, parlant ‘semaines de tournage’ sans
Le film est né alors que César Díaz faisait des repérages pour un documentaire. réaliser qu’ils ne parlent plus de cinéma depuis bien longtemps.” Et quand on
“J’ai rencontré les femmes d’un village qui m’ont raconté le massacre dont elles lui demande ce qu’il attend de cette sélection cannoise, Alejo Moguillansky
avaient été victimes pendant la guerre civile. Dans la tradition orale indienne, il répond : “L’invitation d’une œuvre aussi radicale à un événement qui attire
faut nommer les choses et les répéter pour qu’elles deviennent réelles. Quand autant l’attention que la Quinzaine des réalisateurs est vécue par nous comme
je suis arrivé au village, on m’a amené sur les lieux du massacre, dans les hauts une aventure, une excentricité à la limite du scandale. Inexplicablement,
plateaux guatémaltèques, et cela m’a bouleversé.” Le cinéaste va s’inspirer de Boudu, le vagabond anarchique de Jean Renoir, va pouvoir danser au Palais
sa vie personnelle pour construire son récit. “Je ne voulais pas faire un film des Festivals (sélectionné à Cannes Classic, Ndlr). Espérons que nous nous
autobiographique mais partir du sentiment qui m’habite pour interroger les comporterons comme il se doit.” P. C.
rapports familiaux. Ces deux éléments m’ont permis de construire le scénario
entre l’Histoire du pays et celles des personnages.” Le développement a été long,
l’industrie cinématographique étant inexistante au Guatemala. “Le moment clé
a été le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Le fait que ce film, tourné
au Guatemala et en espagnol, soit devenu belge en raison de mon parcours et
de ma nationalité est intéressant. Dans une époque de repli identitaire, cela
lance un message. Les citoyens intégrés comme moi peuvent enrichir l’Europe
sans oublier leur passé.” Le tournage s’est déroulé entre avril et mai 2018 à
Guatemala City, au village de Pambach, dans l’Alta Verapaz, et sur la côte
pacifique. “ Guatemala City est l’une des villes les plus violentes au monde.
Nous avons dû tourner avec la protection de la police et nous avons engagé des
gardes privés. Il y avait parfois des moments de tension dans certains quartiers. © EL PAMPERO CINE
Heureusement qu’une bonne partie de l’équipe française et belge ne comprenait
pas les codes du Guatemala sinon ils auraient eu très peur.” P. C.
21 mai 2019