Discop Africa Abidjan 2016 : Entretien avec Ahmadou Bakayoko, directeur général de la RTI
En poste depuis trois ans, il a impulsé une dynamique nouvelle à la "maison bleue" qui est à présent courtisée par ses voisins immédiats. Et pour les producteurs français, la RTI est devenue un point de passage quasi obligé.
La RTI représente actuellement combien de canaux de diffusion ?
Nous avons aujourd’hui quatre chaînes nationales, deux en télévision et deux en radio, ainsi que la déclinaison à Bouaké, au centre de la Côte d’Ivoire, d’une radio et d’une télé. Et nous avons une présence très importante sur les différents réseaux numériques, c’est quelque chose qui compte beaucoup.
Quel serait un premier bilan de vos trois première années passées à la direction de la RTI ?
J’ai repris la tête d’une entreprise qui pour la première fois en 50 ans venait de licencier 300 personnes, soit le tiers de son effectif. Ses audiences étaient en baisse et son modèle économique était totalement remis en question. Et mon premier objectif a été de remobiliser les équipes et de les accompagner en termes de savoir-faire, en libérant les talents. Un travail très important qui a fini par être payant puisque, en trois ans, notre pda a pris 30% en hausse alors que cinq chaînes, que je n’ai pas besoin de citer, sont arrivées sur notre marché. Parallèlement le CA a beaucoup progressé, que ce soit en Côte d’Ivoire au niveau de nos clients annonceurs, mais également à travers la diversification à l’international. Donc après avoir subi un gros choc, la RTI est de nouveau mobilisée et veut à nouveau briller comme elle l’a fait pendant des dizaines années.
Quelles sont vos sources de revenus ?
Nous avons la redevance, qui est basée, en Côte d’Ivoire, sur les factures d’électricité, et nous développons également une activité commerciale. Ce socle constitue nos ressources stables et récurrentes. Nous bénéficions également d’appuis particuliers de l’État, lors de certains évènements, comme par exemple une campagne électorale nécessitant une couverture plus importante ou des manifestations sportives dont la captation entraîne des coûts impossibles à rentabiliser.
Sur quels territoires la RTI est-elle diffusée ?
Aujourd’hui nous sommes partout dans le monde, à travers le digital. Et en termes de diffusion satellitaire, nous sommes présents en Afrique, aux Etats-Unis et au Canada, en Europe et au Moyen Orient.
Vous avez initié de nouvelles séries en lançant des coproductions internationales. Pourquoi ce choix ?
L’idée est véritablement de nous ouvrir au monde. La série télévisée est aujourd’hui globalisée. Les audiences ont été formatées en partie par des dizaine d’années de séries américaines, mais aussi venues d’Amérique latine, d’Europe et parfois du Moyen Orient avec la belle percée opérée récemment par la Turquie. Ces pays ont donc un savoir-faire reconnu et l’idée est d’y associer le nôtre et de voir ce que cela pourra donner. Il n’y a jamais de certitudes dans ce métier, mais la réside toute la beauté de cette aventure.
Vous vous attachez à développer des séries très ivoiriennes mais qui pourraient toucher un public international ?
C’est cela, et nous pensons que l’ancrage local va donner un peu de fraicheur avec de nouveaux environnements. Le but de la télévision est aussi de faire découvrir de nouveaux univers et nous pensons qu’il y a de belles choses à faire. Mais en même temps nous savons qu’il y a une nécessité d’exigence en termes de scénarios notamment. Donc proposer un nouveau cadre n’est pas suffisant. C'est une étape à franchir avec nos partenaires. Il faudra que tout se fasse en rentrant dans les codes et les exigences actuelles.
Et vous avez créé une filière de distribution ?
Oui, car les deux sont liés. Nous faisons tous face aux mêmes problématiques. A partir du moment où l’on investit davantage, on doit aller sur des marchés plus importants afin de pouvoir rentabiliser ces montants.
J’ai lu dans un article récent une phrase choc "les Ivoiriens ont faim, Ahmadou Bakayoko les distrait". Quelle est votre réponse à cette assertion ?
La RTI a trois missions : informer, éduquer et divertir. Sur l’information nous avons trois éditions majeures de JT, à 13h00, 20h00 et 23h00 sur la une ainsi que trois flash. Et nous avons deux éditions sur la deux, ce qui représente huit émissions quotidiennes d’information. Donc en termes quantitatifs, nous répondons à cette attente. En plus de cela, nous avons introduit un magazine économique Made in Africa, lancé en partenariat avec le groupe Eléphant qui connaît un beau succès. Il est diffusé pour le moment une fois par mois, car il fallait construire un savoir-faire de magazine d’information et d’investigation mais nous devrions prochainement intensifier le rythme. Sur l’éducation nous travaillons beaucoup sur le documentaire. Pendant longtemps, le parti pris était de mettre en avant l’ethnologie. C’est une valeur sûre que nous connaissons et qui reste clairement destinée à une cible très ivoirienne, nous permettant de pénétrer partout dans le pays. Et nous avons commencé à innover sur le documentaire scientifique. Quant au troisième bloc, le divertissement, il a sans doute une vocation plus internationale contrairement aux deux précédents qui visent clairement le marché intérieur. Le média dans lequel je suis intervenu, où cette question du divertissement a été évoquée, était un média international. Donc je n’ai pas parlé tout naturellement des deux premiers blocs qui concernent une cible purement nationale. C’est cette incompréhension qui a amené de telles réactions.
Le passage à la TNT est un nouveau défi pour vous ?
Oui, mais chaque média dans le monde est confronté à cette même problématique lorsqu’un changement technologique majeur intervient et remet en cause des fondamentaux. Il s’agit d’une part de nous appuyer sur notre savoir-faire et notre identité tout en tenant compte de la nouvelle dynamique impulsée par la TNT. Le marché du hertzien en Côte d’Ivoire va changer. Nous étions les seuls, une dizaine de chaînes ont été annoncées.
Ce matin vous annonciez un partenariat avec la RTS du Sénégal. C’est le premier du genre ?
Nous avons toujours eu une volonté réciproque de tenter des choses. Nous avons parfois certains accords sur le documentaire, d’autres plus ponctuels sur l’info. Nous pouvons faire des échanges en termes de matériel quand certaines équipes viennent chez nous. Mais c’est la première fois que nous irons ensemble sur un projet de série avec une vraie ambition. Le fait marquant est que ce projet part de la RTS, mais, dans sa construction, laissera de la place à un contenu ivoirien. Nous avons souhaité nouer ce partenariat pour passer du stade des idées à quelque chose de concret. L’idée étant que cela soit à l’antenne dans moins d’un an.
C’est rapide !
Effectivement, selon les modèles de nos régions, certaines séries se montent très rapidement.
Votre présence au MipTV à Cannes est montée en puissance. Vous êtes à présent identifié à l’international ?
C’est ce que nous souhaitons et notre collaboration avec Kwaï Production en est la démonstration. Nous avons investi dans un stand au MipTV. Notre présence la première année n’était pas rentable d’un point de vue purement économique mais cela nous a permis de rencontrer des partenaires et de travailler sur des projets ensemble. Si ces projets sont à l’antenne l’année prochaine, ils généreront des revenus. C’est un cycle de deux à trois ans. Ce qui est important c’est la démarche d’apporter ce que nous pouvons et voulons faire et de rencontrer les partenaires avec lesquels il y a un vrai feeling. Dans nos métiers, la dimension humaine est importante.
Pour conclure, quel serait le maître mot de votre démarche ?
Le marché africain est en développement mais nous travaillons sur des propositions réalistes et pragmatiques. Il y a de vraies promesses, mais je préfère avancer raisonnablement, sans aller trop vite. Je suis un partenaire ouvert à tout contact mais qui ne prendra que les engagements qu’il peut tenir. Ma philosophie, c’est le pragmatisme.