Lumière MIFC 2019 - "Apocalypse Now Final Cut" : une restauration événement pour un film hors norme
La rencontre autour d’une étude de cas sur la version définitive du chef d’œuvre de Francis Ford Coppola (prix Lumière 2019) a fait l’événement lors de cette troisième journée de marché, marquée notamment par la participation rarissime du producteur Paul Rassam. L’occasion de nombreuses anecdotes autour du film et de sa restauration.
La salle du village MIFC était comble pour suivre cette rencontre autour de la nouvelle version restaurée 4K d’Apocalypse Now, sous-titrée pour le coup Final Cut. Modérée par Emmanuelle Spadacenta, rédactrice en chef de Cinemateaser, la table ronde réunissait James Mockoski, archiviste et superviseur de restauration d’American Zoetrope ; Yann Le Prado, EVP Library chez Studiocanal ; et le producteur Paul Rassam, dont l’apparition publique – une première – est en soi un événement.
Au-delà des enjeux, aussi bien techniques qu’artistiques, autour de cette restauration, la rencontre a aussi été l’occasion d’évoquer quelques souvenirs de la production originelle du film. "Ce film avait été très difficile à faire", a ainsi expliqué Paul Rassam. "Apocalypse Now est le premier film que j’ai signé. Francis Ford Coppola a joué un rôle énorme dans ma vie, je lui devais donc d’être là pour en parler."
Le producteur a donc rappelé que le financement du film – "sur lequel on a dit beaucoup de bêtises" – avait été compromis suite au désistement de Steve McQueen au casting pour raison de santé (il venait de se faire diagnostiqué un cancer qui lui serait fatal). "SND, qui l’avait signé en France, a fini par le rendre et tous les grands de l’époque, comme Gaumont ou UGC, n’en voulaient pas. Nous avons fini par le prendre, avec Richard Pezet, pour AMLF."
Parmi les anecdotes qui ont ponctué la conférence, le producteur a rappelé que le script originel, signé John Milius, devait initialement être mis en scène par George Lucas, avant que Coppola ne le récupère après l’abandon de ce dernier. Mais aussi que Harvey Keitel, remplaçant Steve McQueen, avait été viré par le réalisateur après deux semaines de tournage aux Philippines, et que Martin Sheen, le Captain Willard à l’écran, avait eu une crise cardiaque sur le tournage. Ou enfin que les hélicoptères mis à disposition par l’armée philippine, lieu de tournage du film, disparaissaient parfois du plateau pour participer à de vraies opérations militaires.
"Le film avait été très difficile à monter... et Francis, qui sortait du Parrain, avait mis plus que sa maison en jeu pour le faire, comme on l'a dit, il avait mis sa réputation en jeu", a ajouté Paul Rassam.
"Événementialiser par la restauration"
Pour revenir à ce Final Cut, ce dernier reprend en grande partie le montage de la version Redux sortie en 2001 (qui avait elle-même été numérisée en 2K à la fin de la décennie 2000, une version pour laquelle Paul Rassam avait "harcelé" Francis Ford Coppola "pendant trois ans" pour qu'il la fasse), agrémentée de passages retirés de la copie originelle en 1979. Cette nouvelle restauration 4K, adaptée à plusieurs formats premium – Dolby Atmos, Dolby Vision, Imax… –, par American Zoetrope, en charge de la restauration exécutive, a en fait été justifiée par la volonté du réalisateur de former ce montage définitif.
"Dans le monde d’aujourd’hui, l’évolution des usages, des attentes et des normes technologiques de diffusion font vieillir les films plus rapidement, a commenté Yann Le Prado. Certains chefs-d’œuvre comme Apocalypse Now résistent certes mieux, mais il y a une vraie nécessité aujourd’hui à les garder dans le radar du grand public, au risque sinon de les voir disparaître. Aussi, commercialement parlant, pour ramener des films sur le devant de la scène, il faut les événementialiser. Et cela passe maintenant, au-delà des anniversaires ou dates marquantes, par un nouveau montage et une nouvelle restauration."
Cette restauration, lancée en décembre 2017, s’est achevée le 1er mars 2019. Le budget global s’élève à environ 300 000 $, financé par le distributeur américain Lionsgate, American Zoetrope et Studiocanal pour un tiers chacun. Elle s’est appuyée notamment sur 20 bobines du négatif original, "contre toute attente" préservé "dans des conditions fabuleuses", a précisé James Mockoski. Au total, 300 173 images ont été nettoyées dans un laps de temps de 2 720 heures de travail.
Le défi du son
L’un des gros enjeux de cette restauration concernait le son – pour lequel la première version du film avait été oscarisée. Le mixage originel voulu par Coppola, en 5.1, n'avait jamais été concrétisé lors de sa première exploitation – pour avoir été rejeté par la plupart des exploitants de l’époque –, et son master original et ses copies étaient supposés perdus depuis 1979. Or ce mixage était devenu stratégique pour notamment mixer le son de cette restauration selon les standards premium actuels – et notamment en Dolby Atmos. Il se trouve qu’une copie de ce master 5.1 est réapparue, pour avoir été sauvée par hasard d’une déchèterie par un technicien. Cette dernière, baptisée Dumpster Copy par les techniciens, a permis de compléter le mixage de ce nouveau montage, basé à 98% sur les pistes d’une copie 70 mm.
Apocalypse Now Final Cut a fait finalement sa première mondiale au festival Il Cinema Ritrovato de Bologne, fin juin 2019. Il a ensuite été sorti par Studiocanal au Royaume-Uni, en Allemagne et en Nouvelle-Zélande, ainsi qu’aux États-Unis par Lionsgate sur deux jours événementiels d’exploitation, et approche déjà, selon Studiocanal, le million de dollars de recettes cumulées dans le monde. En France, cette réédition est distribuée en salle par Pathé depuis le 21 août et a depuis enregistré près de 23 000 entrées à ce jour. La version Blu-ray a été lancée dans l’Hexagone mi-septembre.
Au final, si Apocalypse Now n'a pas été, selon Paul Rassam, un si gros échec à sa sortie, il a surtout rapporté beaucoup d'argent à son réalisateur et à American Zoetrope. "Mais ça a pris du temps !"