Télévision

Festival de la Fiction 2024 - Plusieurs incertitudes planent sur le secteur

Date de publication : 13/09/2024 - 07:54

Après la présentation par le CNC de chiffres optimistes sur l’année 2023, l’Uspa a donné une autre tonalité sur l’état de la fiction française comme l’illustre l’intitulé de sa conférence "Une rentrée plein d’incertitudes".

"Un contexte très particulier après la parenthèse enchantée des Jeux olympiques et paralympiques". Dès son propos introductif, Iris Bucher, présidente de l’Uspa, résumait les multiples incertitudes pesant sur la filière en cette rentrée.

Une incertitude liée tout d’abord à la situation politique avec un nouveau gouvernement, qui sera dévoilé la semaine prochaine et un Parlement fragmenté qui exigera "des coalitions texte par texte faute de majorité absolue".

"La situation économique est tout aussi incertaine rendant particulièrement difficile la construction du budget 2025 avec le risque que les pistes d’économies proposées pour le financement de l’audiovisuel public, le CNC et les crédits d’impôts soient contre-productives pour l’emploi, le dynamisme de notre industrie, l’attractivité du territoire et donc pour la croissance", ajoute la productrice.

Pour l’Uspa, "l’urgence absolue" doit être de sécuriser le financement de l’audiovisuel public à travers la pérennisation de l’affectation d’une fraction de la TVA. "Il y a une véritable urgence à traiter cette question d'ici la fin de l'année, faute de quoi, l'audiovisuel public basculera dans la budgétisation", avertit Iris Bucher. "France Télévisions et Arte ont besoin d'un financement public adapté, dédié, prévisible et pérenne afin de garantir leur indépendance et de leur permettre d'assurer leur mission de service public au premier rang desquels le financement de la création et l'information", ajoute-t-elle.

Outre l’audiovisuel public, cette question du financement concerne également les chaînes privées. L’étude de l’Arcom et de la DGMIC publiée en janvier 2024 évalue la baisse des recettes publicitaires nettes à 400 M€ à horizon 2030. Les recettes publicitaires digitales des éditeurs ne suffiront pas à compenser ce déficit. "Il y a là aussi urgence à prendre des mesures contre l’asymétrie réglementaire dont profitent les grandes plateformes mondiales. On ne le dira jamais assez, la bonne santé économique de nos éditeurs de services va de pair avec celle de la création", souligne Iris Bucher.

La présidente de l’Uspa appelle à "mettre un terme aux conflits qui déchirent régulièrement le secteur pour parler d'une seule voix auprès des pouvoirs publics sur les urgences et les besoins de notre filière".

"A l’Uspa, nous restons convaincus que la négociation interprofessionnelle est le meilleur outil pour régler ces différends récurrents entre acteurs économiques d'une filière. Cette voie est possible constructive et bénéfique pour tous", ajoute la productrice citant l’accord avec Netflix, conclu en septembre 2023, l’accord avec les réalisateurs de fiction signé l’an dernier à La Rochelle et le dernier accord ratifié avec France Télévisions juste avant cet été.

L’accord avec OCS dénoncé par Canal+
Concernant l’accord avec France Télévisions, Iris Bucher l’estime "essentiel" pour accélérer la mue digitale du groupe tout en assurant à la création une "visibilité indispensable" sur l’investissement de France Télévisions à court et moyen terme. Pour rappel, France TV s’engage à investir 440 M€ par an dont 80% dédié à la production indépendante.

Aujourd’hui, un seul éditeur n’a pas signé d’accord avec la filière : Canal+. Le groupe a par ailleurs dénoncé l’accord liant sa nouvelle filiale OCS aux organisations. "Cette situation nous préocuppe énormément, nous appelons l’Arcom à s’emparer du sujet", demande Stéphane Le Bars. Le délégué général de l’Uspa indique par ailleurs être en discussions avec OFTV et RéelsTV, nouvelles chaînes TNT, en vue de conclure des accords interprofessionnels.

Une montée en puissance des plateformes dans le financement
L’Uspa est également revenu sur le comportement des plateformes américaines. "La plupart ont enfin joué le jeu de la production déléguée et investissent désormais de façon conséquente dans la création audiovisuelle française", constate Iris Bucher. "La fiction est la grande gagnante de l'intégration de ces acteurs étrangers dans notre écosystème. Si ces nouveaux acteurs créent des leviers de croissance, les volumes produits restent et resteront sans commune mesure avec avec ceux financés par les éditeurs historiques. Les plateformes produisent une centaine d’heures de fiction contre plus de 1 000 heures pour les éditeurs historiques", relève-t-elle.

Toujours est-il que l’ouverture du fonds de soutien audiovisuel aux œuvres destinées aux SMAD étrangers a eu pour conséquence d’augmenter le financement des plateformes dans la création tricolore. 49 heures de fiction produites ont été comptabilisées par le CNC pour les plateformes américaines en 2023 (20 heures en 2022) pour un apport de 98 M€ (44 M€ en 2022). Aujourd’hui, ces plateformes représentent 5% des heures aidées de fiction en 2023 et 14% des investissements des éditeurs dans la fiction. "A terme, nous pensons que les plateformes devraient représenter près 10% des heures aidées et près de 25% des apports en matière de fiction", analyse Stéphane Le Bars. Le délégué général de l’Uspa précise par ailleurs que ces données du CNC n’intègrent qu’une partie de la production des plateformes. En effet, le CNC n'accueille en son sein que des productions indépendantes de producteurs français "qui respectent un certain nombre de règles du jeu en matière de durée des droits notamment." Selon les données de la Ficam, les plateformes produisent en réalité une centaine d’heures de fiction par an. "La moitié correspond à des œuvres indépendantes qui passent par le FSA. L’autre moitié passe par les obligations dépendantes visées par l'Arcom ou des œuvres hors quota". A terme l’Uspa estime que le volume annuel de production approchera les 150 heures pour un investissement cumulé global de 300 M€.

Prochain conventionnement avec Apple TV+

Après les accords avec Prime Video en 2022 et Netflix en 2023, la fin de l'année 2024 sera marquée par l'inclusion d'Apple TV+, qui souhaite passer d'une notification de ses obligations à un conventionnement avec l'Arcom. Par ailleurs, il faudra également redéfinir les obligations de production audiovisuelle de Disney+ dans le cadre de sa nouvelle convention avec l’Arcom. La plateforme n’avait pas signé d’accord interprofessionnel avec la filière. « Nous ne doutons pas que l'Arcom saura tirer les conséquences des accords conclus avec les autres plateformes », indique Iris Bucher.

L’Uspa attend avec impatience le bilan de l’Arcom et du CNC sur l’application du décret SMAD, trois ans après son entrée en vigueur. « Ce bilan sera réalisé dans un contexte porté par des vents contraires », prévient Iris Bucher. Le recours déposé par Netflix en Belgique contre le décret qui prévoit une contribution renforcée, l'offensive de la MPA auprès de la Commission européenne dans le cadre de la révision de la directive SMA sont autant de signaux qui interpellent l’Uspa. « Le combat promet d'être rude dans les mois à venir. Il faudra continuer de défendre les enjeux du secteur, de notre secteur », affirme Iris Bucher.

La menace de la délocalisation

Si les chiffres d’audience, de production et d’exports ont été encourageants en 2023, « 2024 a démarré sous des hospices plus compliqués », avertit Iris Bucher. « Le secteur a été fortement ébranlé l’hiver dernier par la grève des techniciens sur les plateaux de tournage. Une grève qui s'est soldée par une augmentation conséquente des tarifs minimums de la convention collective et qui va s'étaler encore jusqu'à juillet 2025. »

Dans un contexte de hausse globale des coûts de production et donc de dégradation de la rentabilité, « la question de la délocalisation, devenue marginale ces dernières années, pourrait se reposer malgré un crédit d'impôt dynamique », souligne Iris Bucher. Selon les chiffres de la Ficam, cette délocalisation a bondi à 12% au premier semestre 2024, « un vrai signal d’alerte ». Elle s’élevait à 6% en 2023 et 7% en 2022. Alors que le nombre de tournages à l’étranger est resté stable, le nombre de tournages sur le sol français a diminué au premier semestre 2024.

« Nous faisons face à un équilibre précaire. Nous sommes à la croisée des chemins pour la production française », résume Stéphane Le Bars. Le marché est impacté par une pression inflationniste, des apports stagnants voir en baisse des diffuseurs conduisant à une prise de risque plus importante des producteurs.

Plusieurs solutions s’offrent aux producteurs sans pour autant être convaincantes :

- Une baisse de la valeur de production, « une voie certainement mortifère pour la production française dans un marché ultra compétitif et pour les éditeurs pour qui la fiction constitue un pilier de l’audience », estime Stéphane Le Bars ;
- Un recours accru à la délocalisation, néfaste pour l’emploi en France ;
- Une baisse de volume de production, non souhaitée par l’ensemble du secteur,
- Une hausse des apports des éditeurs de service. Une piste très hypothétique au regard de l’équation financière complexe à laquelle font face ces acteurs. « Nous devons nous unir pour trouver les moyens de renforcer les financements des éditeurs publics et privés qui, par les effets de ruissellement, seront à même de suivre cette hausse importante des coûts de production », affirme Stéphane Le Bars.

« Le secteur est aujourd'hui sensible à tout ajustement mal défini qui pourrait être envisagé par les autorités publiques. Toute révision du fonctionnement du CNC ou des crédits d'impôt se traduirait par des conséquences dramatiques sur l'emploi et sur le dynamisme de notre filière », anticipe Iris Bucher.

Florian Krieg
© crédit photo : Florian Krieg

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