Le "Napoléon" d'Abel Gance va enfin être restauré
La Cinémathèque française et American Zoetrope vont restaurer ce monument de l'histoire du cinéma avec le soutien du CNC. Un travail colossal confié au laboratoire Eclair.
Le Napoléon d'Abel Gance est un véritable cas d'école, tant l'histoire du film, dès le début de son exploitation en 1927, est incroyablement complexe. Le 7 avril, lors d'une soirée de gala à l'Opéra de Paris est présentée une version de 3h47, teintée et comprenant les fameux plans triptyques. Un mois plus tard, ont lieu au cinéma Apollo plusieurs projections, destinées aux distributeurs et à la presse, d'une autre version, amputée de ses plans triptyques, mais durant 9h40. Le 24 novembre, une version dite "d'exploitation internationale" de 7 heures, est envoyée à la MGM. Mais la major la remonte aussitôt afin de la ramener à 1h46. Elle est présentée en tant que telle en janvier 1928. Six ans plus tard, Abel Gance décide de sonoriser son film. Mais il tourne de nouvelles scènes et refait le montage pour aboutir à une œuvre de 2h20 qui change de titre en devenant Napoléon Bonaparte. Lors de cette étape, les négatifs de 1927 sont perdus. En 1968, le cinéaste réitère l'opération avec un nouveau montage. Le film qui s'appelle à présent Bonaparte et la Révolution dure 4h35 et sort le 9 septembre 1971 au Kinopanorama. Entretemps, des restaurations commencent à avoir lieu, notamment les trois menées par Kevin Bronlow, de 1969 à 2000, qui vont intégrer en cours de route des éléments retrouvés par Bambi Ballard.
En fin de compte, suite au minutieux travail d'expertise effectué par Georges Mouret sur l'ensemble des éléments films retrouvés (930 boîtes), 22 versions différentes sont recensées. Et le travail d'inventaire des archives non film, considérables, laissées par Abel Gance et réparties entre la Cinémathèque et la Bibliothèque nationale, permet d'avoir une vue d'ensemble des histoires successives du Napoléon. Gance n'eut de cesse de remanier son œuvre originelle, s'opposant, parfois violemment à ceux qui voulaient sinon la figer, du moins la conserver, n'hésitant pas à dissimuler des éléments positifs ou négatifs qu'il souhaitait remonter. Ses rapports avec Henri Langlois furent ainsi entachés de périodes de tensions.
Restaurer le Napoléon d'origine supposait donc de pouvoir répondre à une question épineuse. Quelle version pouvait servir de référence et comment la reconstituer puisque tout avait été dispersé lors des remontages successifs ? C'est alors qu'une véritable pierre de Rosette fut découverte dans les archives de la Cinémathèque : un séquencier rédigé par Marie Epstein et annoté de la main de Gance, contenant l’ordre des séquences, avec leur métrage originel, de la copie présentée au cinéma Apollo en 1927. Dès lors, il devenait possible de revenir à la version initiale dont les témoignages des spectateurs et les critiques, avaient toujours loué la supériorité, à condition qu'elle soit enrichie des fameux plans triptyques. Mais le travail fondamental mené par Mouret, qui avait rendu ses conclusions en 2009, débouchait sur un écueil de taille : le coût d'une telle restauration.
Lors de la clôture du festival Toute la Mémoire du Monde, Francis Ford Coppola, présent au côté de Costa-Gavras, a annoncé le 1er février le lancement tant attendu des travaux par la Cinémathèque française et American Zoetrope avec le soutien du CNC. Deux ans de travaux devraient être nécessaires pour permettre de redécouvrir le film, 90 ans après sa première projection.
Patrice Carré
© crédit photo : DRVous avez déjà un compte
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