Annecy 2015 - Pete Docter et Jonas Rivera racontent l'aventure "Vice-versa"
Date de publication : 16/06/2015 - 08:10
Il s’agit d’un récit initiatique à plus d’un titre, car pour chaque personnage "humain", c’est cinq autres – leurs émotions - qui sont caractérisés à l’écran. Quelles difficultés avez-vous rencontrées durant le développement ?
Vice-versa présente une intrigue très psychologique. Ne pensez-vous pas que cela risque de limiter l’immersion des plus jeunes spectateurs ?
Pete, en tant que réalisateur et producteur d’un projet d’animation aussi important, autant au regard de son budget que de ses ambitions, avez-vous toujours le dernier mot ?
Mais qui décide de ce qui fonctionne ou non ?
Pete, dans chacun de vos films, que ce soit Montres et Cie, Là-haut ou maintenant Vice-versa, apparaît un personnage d’enfant très caractérisé, autour duquel s’articulent finalement tous les enjeux narratifs. Est-ce une marque de fabrique ?
L’obligation d’universalité du film, au regard de ses ambitions à l’international, n’est-elle pas contraignante ?
Le marché global est d’année en année renforcé en offre d’animation à portée internationale. Ne craignez-vous pas une saturation un jour ?
Vous considérez-vous comme entièrement dédiés au cinéma d’animation ou pourriez-vous vous diriger vers des films en prise-de-vue réelle ?
Alors que le nouvel opus des studios Pixar est présenté au Festival d'Annecy ce mardi, veille de sa sortie nationale le 17 juin, son réalisateur et son producteur reviennent sur sa genèse et ses enjeux.
L’idée originale de Vice-versa aurait été inspirée par une histoire personnelle ?
Pete Docter : En effet, voir ma fille grandir a comme déclenché chez moi des réminiscences de ma propre enfance. Cette période fut compliquée. Ma fille, enfant particulièrement joyeuse et enthousiaste, est devenue, presque du jour au lendemain, très réservée et stoïque. Cela m’a poussé à me demander ce qu’il pouvait bien se manigancer dans sa tête. Au même moment, j’imaginais une histoire où les émotions seraient incarnées en personnages. C’est donc le mélange de vécu et d’imagination qui ont abouti au concept de Vice-versa.
Il s’agit d’un récit initiatique à plus d’un titre, car pour chaque personnage "humain", c’est cinq autres – leurs émotions - qui sont caractérisés à l’écran. Quelles difficultés avez-vous rencontrées durant le développement ?
PD : Il nous fallait retranscrire à l’écran un espace jusqu’ici inédit, qui est la pensée. Aussi, plus que l’écriture des personnages, c’est surtout visuellement que le défi était posé. L’histoire se situe dans l’esprit de la jeune Riley (le personnage principal, Ndlr), et non dans son cerveau, nous manquions de références pour le matérialiser à l’écran.
Jonas Rivera : Dès les premiers stades de l’écriture, nous nous dirigions vers une ambiance très science-fiction. En conceptualisant l’esprit humain comme un vaisseau spatial, composé de commandes, d’écrans... Mais cela ne suffisait pas car, comme l’a justement décrit Pete, nous n’étions pas dans un cerveau à proprement parlé mais dans l’esprit d’une jeune fille. Il fallait donc ouvrir nos perspectives, inventer la forme et la couleur des choses que nous souhaitions personnifier. Mais nous avons conservé l’idée de transformer des concepts abstraits en procédés mécaniques, comme le flux des souvenirs dans le Quartier Cérébral de la jeune fille.
PD : Comme vous le disiez, le challenge était également narratif. Il fallait définir les personnages et les histoires sur les deux réalités différentes. Trouver un moyen d’articuler le récit pour ne pas perdre le public. C’est la raison pour laquelle nous avons multiplié les conseils, les tests et les réunions avant de poser le projet sur papier.
Vice-versa présente une intrigue très psychologique. Ne pensez-vous pas que cela risque de limiter l’immersion des plus jeunes spectateurs ?
PD : Nous savions dès le départ que nous partions sur un concept très intime. Nous parlons de la façon dont les émotions prennent le pas sur la vie d’une jeune fille et sur la nécessité de trouver un équilibre sans en laisser une dominer ou une autre ignorée… et surtout en situation de crise ! Pourtant, elles ne contrôlent pas les faits et gestes de Riley, elles l’informent de ce qu’elle ressent dans des situations données. Nous avions certes des préoccupations face à la complexité de ce postulat, et nous en avons tenu compte tout au long de la production. Mais les résultats des projections tests sur les familles avec jeunes enfants nous ont confortés dans nos choix. Dans certains cas, ces derniers avaient même mieux compris que ce qu’imaginaient les adultes.
Pete, en tant que réalisateur et producteur d’un projet d’animation aussi important, autant au regard de son budget que de ses ambitions, avez-vous toujours le dernier mot ?
PD : Vous avez le dernier mot, du moment que ça marche ! Si ça ne fonctionne pas, nous sommes de toute façon les premiers à monter au front pour tout changer.
Mais qui décide de ce qui fonctionne ou non ?
PD : C’est en général plutôt évident quand vous l’avez devant les yeux. Nous avons rarement de désaccords pour critiquer les différentes étapes de développement. Tout le monde s’accorde sur ce qui ne fonctionne pas. Après, il faut dégager des solutions. En général, à ce stade, elles apparaissent après beaucoup de concertation, que ce soit entre nous ou avec John Lasseter ou Andrew Stanton, qui sont les principaux suspects auxquels s’adresser dans ces cas-là. L’animation est plus que jamais un travail collectif.
JR : Au quotidien, comme Pete est le réalisateur, chaque objet, texture, réplique, forme, etc. doit obtenir son aval. On compte plus de 1 600 plans dans Vice-versa. Chacun d’eux suit une chaîne de production composée d’animateurs, de créateurs, de superviseurs… avant d’arriver devant les yeux de Pete, qui indique ce qu’il faut changer, modifier ou affiner. Certains de ces plans sont retouchés ensuite pendant une semaine ou deux avant d’être finalement validés. Tout le monde collabore sur ces plans, il y a un dialogue permanent entre les membres de l’équipe et l’exécutif. Tout le monde partage des idées, tente des choses. Seulement, le dernier mot revient toujours au réalisateur.
Pete, dans chacun de vos films, que ce soit Montres et Cie, Là-haut ou maintenant Vice-versa, apparaît un personnage d’enfant très caractérisé, autour duquel s’articulent finalement tous les enjeux narratifs. Est-ce une marque de fabrique ?
PD : Je dois avoir encore des choses à régler avec mon enfance, je suppose. Mais ce n’est pas vraiment conscient. En fait, j’ai vécu, et Jonas me comprends parce qu’il en a été de même pour lui, des moments très importants durant mon enfance. Et il n’y a pas un jour qui passe sans que ces derniers ne se manifestent d’une manière ou d’une autre. Ce sont des moments-clés qui ont été fondateurs pour nos vies, et c’est ce que nous retranscrivons dans Vice-versa.
L’obligation d’universalité du film, au regard de ses ambitions à l’international, n’est-elle pas contraignante ?
PD : Dans mon travail d’auteur, je m’affranchi totalement de ces impératifs en écrivant l’histoire. Je me concentre surtout sur les idées qui résonnent en moi. Ce n’est que plus tard, quand nous devons retranscrire ces dernières, que nous nous interrogeons sur la manière de les traduire pour qu’elles touchent le public. Et notre attention ne se porte pas tant sur les thématiques - sur ce point, nous nous dirigeons naturellement vers des valeurs humaines qui transcendent les cultures -, mais plutôt sur la forme.
JR : Après, s’adapter à un public global n’est pas une règle figée. Je prends pour exemple la scène du repas avec Riley et ses parents. Nous avons pensé à remplacer les images de hockey dans la tête du père par des plans de football, un sport globalement plus populaire, qui aurait permis à plus de monde de comprendre les enjeux de ce passage. Mais cela aurait pu déséquilibrer l’histoire, car la relation entre Riley et son papa s’est construite autour du hockey. Sur ce point comme sur d’autres, pour tout ce qui concerne l’histoire, nous avons privilégié son intégrité à son universalité.
Le marché global est d’année en année renforcé en offre d’animation à portée internationale. Ne craignez-vous pas une saturation un jour ?
PD : On s’en inquiète certainement. L’évolution technologique a beaucoup démocratisé la pratique d’un cinéma d’animation de qualité. Seulement, par-delà le monde, de nombreuses voix s’élèvent et de nombreuses personnes tentent des choses nouvelles. En cela, c’est plutôt excitant.
JR : Personnellement, cette abondance me plaît. Tous les projets ne sont pas forcément originaux, mais cela prouve le dynamisme créatif des productions d’animation dans leur ensemble. Et la vivacité du marché global.
PD : Le manque de choix et de variété n’est jamais bénéfique. La concurrence pousse à l’innovation. Et si une sélection s’impose, elle se fera toujours en faveur de la qualité. Ce qui nous pousse à donner le meilleur de nous-même.
Vous considérez-vous comme entièrement dédiés au cinéma d’animation ou pourriez-vous vous diriger vers des films en prise-de-vue réelle ?
JR : Nous pourrions, en effet.
PD : L’animation a ses spécificités, mais sur un plan plus général, nos pratiques sont les mêmes. Quand on regarde ce que font Brad Bird (réalisateur de Ratatouille et A la poursuite de demain, Ndlr) ou encore Andrew Stanton (réalisateur de Wall-E et John Carter, Ndlr), nous partageons beaucoup de choses dans notre façon d’aborder la mise en scène, les cadrages, le montage ou même encore la structure de la narration. Par contre, ce n’est définitivement pas le même challenge. Pour réaliser un film d’animation, nous partons de rien. Tout est à inventer. Et pourtant, nous parvenons à exprimer et à communiquer au public toute une palette d’émotions. La magie du cinéma d’animation vient de là : tout est artificiel, mais malgré ceci, ça touche les spectateurs.
Sylvain Devarieux
© crédit photo : The Walt Disney Co. France - Pixar
L’accès à cet article est réservé aux abonnés.
Vous avez déjà un compte
Accès 24 heures
Pour lire cet article et accéder à tous les contenus du site durant 24 heures
cliquez ici