Congrès FNCF 2015 - Les relations entre exploitation et collectivités territoriales au centre de la table-ronde
La table-ronde du 70e Congrès des exploitants s’est concentré sur les enjeux culturels de la réforme territoriale et ses répercussions sur l’exploitation. La place des salles dans l’aménagement du territoire, mais également l’évolution de l’action des collectivités et des dispositifs d’éducation à l’image furent au cœur des débats.
Basculée au mercredi matin, la traditionnelle table-ronde de la grand-messe des exploitants se concentrait cette année sur la réforme territoriale et ses possibles conséquences sur l’exploitation française. Une question dont la pertinence se justifiait eu égard tant à l’importance centrale de l’intervention, financière ou structurelle, des collectivités territoriales vers le secteur, qu’au rôle déterminant joué par la salle de cinéma dans l’aménagement culturel du territoire.
C’est justement sur ce dernier point que s’est ouverte la discussion animée par Pascal Rogard, directeur général de la SACD, entouré d’intervenants exploitants, élus et institutionnels. L’occasion justement de dresser un état des lieux du parc de salle et de son implantation en métropole. A ce titre, Benoît Danard, directeur des études, des statistiques et de la prospectives au CNC, est venu présenter, en guise de préambule, la toute nouvelle carte interactive de l’implantation des établissements en France, non sans livrer une analyse de son évolution sur 20 ans.
Aménagement du territoire
Forts de ce point chiffré, les témoins ont amorcé les discussions en insistant sur l’importance de ce parc de salles dans le retour en force de la fréquentation sur ladite période. A l’image d’Yves Sutter, directeur général de Cinéville, pour qui le niveau d’équipement de l’Hexagone et celui de la fréquentation sont intimement liés. "Après, la question se pose de savoir si nous entrons dans une phase de stabilisation du marché ou s’il est encore possible de le développer, au risque de parvenir à saturation ? Et s’il y a un plafond, où se situe-t-il ?", a interrogé l’exploitant, pour qui le développement du parc est toujours possible du fait de la forte position du secteur sur le marché du loisir collectif. Un constat partagé par Jean-Pierre Villa de Véo Cinémas : "ces 20 dernières années, les investissements importants du secteur ont permis de reconquérir un public, grâce notamment au développement du parc de salles". Avec une interrogation : le phénomène de glissement de l’implantation des cinémas du centre-ville vers les périphéries a-t-il effectivement joué un rôle ?
Et l’exploitant de rappeler le rôle joué par les différents dispositifs d’autorisation (CDAC et CNAC) dans la régulation des ouvertures et extension de salles. Sujet qui fut récurrent durant ces près de trois heures d’échanges, le rapport Lagauche sur le régime d’autorisation d’aménagement cinématographique prônant notamment le passage des actuelles commissions départementales à des commissions régionales, plus que jamais d’actualité dans ce contexte de réforme territoriale.
Spécialistes des études de marché, Gérard Vuillaume (cabinet Gérard Vuillaume) et Eric Lavocat (Hexacom) ont à leur tour pris la parole pour apporter un regard complémentaire à celui des exploitants. Pour le premier, deux phénomènes se dégagent actuellement : une augmentation des extensions, notamment due à une offre de films croissante, et une plus forte pression dans les grandes villes, où la concurrence s’avère parfois acharnée. Et Eric Lavocat de compléter en se disant "frappé des nombreuses demandes de mono-écrans souhaitant rajouter une salle". Un constat que partage Yves Sutter, selon qui "un mono-écran est aujourd’hui quasiment obligé de passer à deux salles".
Rebondissant sur les précédentes interventions, Bernard Lafon, président de la Commission d’éducation à l’image de la FNCF, s’est fait l’écho d’une préoccupation commune à la plupart des exploitants présents : être attentif pour ne pas aboutir sur "une fracture géographique", prônant ainsi "l’égalité des territoires".
De l’avenir de l’intervention territoriale
Pour aborder le sujet des rapports entre exploitation et collectivité, la parole fut donnée à Michel Gomez (Délégué de la Mission Cinéma de la Ville de Paris) afin de porter en exemple concret la situation particulière de la capitale. Si l’exploitation parisienne comporte des spécificités de concentration inédites dans le reste du territoire (1 écran pour 6 000 habitants, 404 écrans en tout selon le dirigeant), elle bénéficie d’un soutien de la municipalité à hauteur de 1,3 M€. Michel Gomez a rappelé l’importance de considérer la salle comme un commerce différent des autres, "afin d’éviter qu’on lui applique des règles d’urbanisme non adaptées". Selon lui, "la salle demeure un outil d’urbanisme", qui doit jouir d’une complémentarité importante dans l’articulation de l’action des collectivités et celle de l’Etat, via le CNC.
Les inquiétudes des exploitants à la veille du redécoupage territoriale se sont bien entendu porté sur la question des financements. "La collectivité est souvent étranglée entre la baisse des dotations de l’Etat et l’augmentation des missions qui lui sont attribuées", a statué Pascal Rogard. Jean-Pierre Villa a pour sa part détaillé deux niveaux concrets de relation entre collectivité et exploitation, sur lesquels la réforme en cours risque d’avoir un impact : les investissements, où il relève une "frilosité" des collectivités, et le fonctionnement, qui dépend, là, de la relation qu’entretient chaque établissement avec ses élus locaux : "avec les nouvelles cartes, le changement des interlocuteurs risque de bouleverser les relations (des exploitants, Ndlr) avec chaque collectivité". "On ne maîtrise pas qui va faire quoi", a réagi Bernard Lafon, qui pointe pour sa part l’exclusion des intercommunalités de la loi Sueur et le flou qui règne autour de l’implantation future des DRAC comme sujets de première importance.
Les réactions furent nombreuses dans la salle. François Aymé, président de l’Afcae, a regretté que l’exploitation occupe "désormais une place très minoritaire dans les conventions passées entre les régions et le CNC", tout en saluant l’initiative pédagogique d’un guide de l’exploitation à destination des élus que prépare la FNCF. Revenant sur les CDAC, Jeanne Seyvet, médiatrice du cinéma, a quant à elle relevé que ces commissions souffraient de l’opacité qui règne autour de leurs décisions, les débats n'étant pas rendus publics, "alors qu’elles pourraient laisser d’autres messages, plus constructifs". Et la médiatrice de rappeler qu’elles n’utilisent pas tous les outils à leur disposition, notamment la prise en compte des engagements de programmation.
Education à l’image
Ce troisième et dernier volet de la table-ronde fut introduit par une intervention vidéo de Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Education nationale, venue rappeler son attachement à l’éducation à l’image. La ministre a ainsi énoncé les différentes dispositions prises par les pouvoirs publics pour renforcer ces dispositifs, et notamment leur importance dans le nouveau programme scolaire initié à la rentrée, leur place dans le "parcours artistique et culturel" récemment défini, tout en invitant les exploitants à participer au dispositif de "réserve citoyenne" afin de transmettre leurs connaissances et leur expérience auprès des élèves.
En réponse, les intervenants ont pour leur part témoigné des inquiétudes autour des dispositifs Ecole, Collège ainsi que Lycéens et apprentis au cinéma. "On constate une lente érosion de la pratique de ses dispositifs, et une stagnation, voire un recul, du nombre d’élèves concernés", a relevé Bernard Lafon. Si tous les intervenants ont reconnu l’importance de ces dispositifs aux yeux de nombreuses salles, notamment de la petite et moyenne exploitation, beaucoup ont souhaité des évolutions "nécessaires". Des propositions ont été émises autour de la formation et de la sensibilisation des enseignants, mais également de l’évolution de l’offre : "la tonalité art et essai ne doit-elle pas être nuancée quand on s’adresse à un public adolescent ?", a interrogé Michel Gomez. Là encore, la question de l’égalité de moyens selon les territoires s’est posée : "on peut envisager la mise-en-place d’un système de mutualisation, nécessaire dans les territoires les moins peuplés et les plus éclatés", a avancé Bernard Lafon.
La conclusion fut confiée à Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission des Affaires culturelles au Sénat, qui a assuré que le thème de l’éducation culturelle serait abordé par les sénateurs dans le cadre de la réforme territoriale. La sénatrice de Seine-Maritime a par ailleurs invité les exploitants ainsi que "tous les acteurs de la culture" à s’organiser à la veille des élections régionales pour porter leurs ambitions et leurs revendications auprès des futurs élus. "La balle est aussi dans votre camp !"
Kevin Bertrand et Sylvain Devarieux
© crédit photo : S.De.Vous avez déjà un compte
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