Annecy 2016 - Comment "Ma vie de Courgette" est devenu un film
Claude Barras a mis dix ans pour faire aboutir un projet dont le style, entre réalisme et stylisation cartoon, sert à la perfection un propos sensible sur la maltraitance.
En 2006, Claude Barras se retrouve à Cannes avec Cédric Louis pour présenter en compétition officielle, Louis, court métrage qu’ils avaient coréalisé. Un film sur une petite fille boulimique peinant à trouver sa place dans le monde. Cédric Louis fait alors découvrir à Claude Barras le livre de Gilles Paris, Autobiographie d’une courgette dont l’univers était proche de leur film, avec l’idée d’en faire un long métrage. "Je suis alors monté à Paris pour rencontrer Jean-Marie Carpentier, des Éditions Plon. Il m'a pris en amitié et proposé une option sur l'adaptation à "prix d'auteur". Il avait traité des droits d'adaptation de La planète sauvage quelques dizaines d'années auparavant et m'a souhaité le même succès !" raconte Claude Barras.
Après un premier temps de défrichage et d’écriture assez long, les producteurs suisses de Claude Barras (Rita Productions) lui proposent de travailler avec Céline Sciamma. "J’avais pu voir Tomboy quelques mois auparavant et j’avais adoré le film. Nous nous sommes donc rencontrés régulièrement pour échanger nos idées, et, très vite, en évitant l’écueil du journal intime que l’adaptation nous tendait, Céline a su donner au scénario une réelle structure, classique et rigoureusement articulée." Il faudra aussi doser avec justesse l’équilibre entre humour et émotion, les dialogues du livre, déjà brillamment écrit, servant de modèle de référence.
Claude Barras va ensuite partir sur un processus assez particulier de production, tournant une première version du film avec des acteurs. "Ils n'ont pas seulement interprété les voix, mais bel et bien joué les rôles et nous les avons filmés. Pour les enfants, nous avons travaillé avec des acteurs non professionnels. Nous les avons choisis à la fois pour leur voix et pour leur capacité à rester spontanés devant le micro. Leurs personnalités et leurs âges ont également été déterminants car nous voulions créer un groupe qui fonctionne le plus naturellement possible, composé d'acteurs qui puissent véritablement vivre les scènes lors de la captation." Une façon de faire qui va allonger d’autant la durée de travail et de production mais qui était absolument essentielle pour le réalisateur. "Les voix sont une particularité essentielle à la sensibilité quasi documentaire du film, et tout le monde le reconnait aujourd'hui. C'est un peu la "Swiss touch" de Ma vie de Courgette et je dois remercier ici Marie-Eve Hildebrand pour son énorme travail de casting et de direction d'acteur. Elle a également monté les voix sur le story-board animé. Ces voix naturalistes que l'on écoute au final sont en fait une composition de multiples prises 'arrangées' par ses soins."
Pour la partie animation, Claude Barras choisit la technique de la stop motion avec des marionnettes. "C’est une technique très exigeante car, contrairement aux techniques numériques, on ne peut plus corriger l'animation une fois les plans tournés. On appelle cela de l'animation directe ou développée. C'est comme un concert de jazz, on peut s'y préparer, mais une fois lancé, l'animateur doit composer avec ses erreurs et ses difficultés pour créer du beau, l'illusion de la vie, animer un être inanimé, image après image. C'est proche de la magie." La mise en scène va se faire au rythme de trois secondes par animateur et par jour sur 15 plateaux en parallèle, grâce à une planification extrêmement sophistiquée.
La grande particularité du film se situe dans son style à mi-chemin entre réalisme et cartoon avec des personnages au design très épuré. "Hergé, père de Tintin, affirmait que plus le style graphique d’un visage est simplifié, plus le spectateur peut y projeter ses émotions et s’identifier avec lui, explique Claude Barras. La clé de l'univers de Ma vie de Courgette réside dans le regard des personnages. Leurs immenses yeux, grands ouverts sur le monde, font la part belle à l’émotion et à l'empathie." Tout le travail d’animation a consisté à styliser et simplifier le réel pour en restituer l'essentiel. Plus d’une vingtaine d’animateurs ont travaillé sur le film. "Afin de préserver le plus possible une continuité de style, nous avons attribué une séquence à chaque animateur. Cela lui permettait de traverser le parcours émotionnel des personnages du début à la fin de la séquence. Et les petits changements de styles entre animateurs pouvaient ainsi s'effectuer directement entre les séquences et pas au milieu des plans."
Film intimiste, Ma vie de Courgette se présente comme une œuvre initiatique que son réalisateur a voulu destiner à un large public. "Je pense que les films servent à divertir, certes, mais aussi à réfléchir, à dialoguer, à heurter, à sensibiliser ! Par rapport au jeune public, mon travail se situe en contrepoint à la surabondance de divertissement. D'ailleurs, de quoi doit-on nous divertir absolument ? Posons-nous la question !"
Patrice Carré
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