Cinéma

Annecy 2016 - Quels écueils quand on passe du long métrage à la série TV et vice versa ?

Date de publication : 16/06/2016 - 08:50

La conférence "Organisation de production" proposait deux cas d’école autour de Ernest et Célestine, le film devenant série, et de la situation inverse, Les As de la Jungle à la rescousse, la série devenant un film.



Modérée par Alice Delalande, chef du service du soutien à la fiction et à l'animation du CNC, elle réunissait d’un côté Didier Brunner pour Folivari, accompagné des réalisateurs Jean-Christophe Roger et Julien Cheng, Thibaut Ruby de Schumby productions et d’autre part Jean-François Tosti et Stéphane Margail de TAT Productions.

Didier Brunner rappelait d’entrée de jeu les différences de budget absolument flagrantes qui séparent le long métrage de la série télévisée. "Ernest et Célestine est un film dont le budget était de 9,2 M€. Aujourd’hui celui de la collection, pour un format 26x13, est de 4,3 M€. Un budget qui semble divisé arithmétiquement par deux mais qui, dans les faits, est divisé par 10 si on rapporte le coût à la minute. Pour le film il était environs de 110 000 € contre 14 000 € pour la série". Didier Brunner ne souhaitait pas se lancer dans un Ernest et Célestine 2, le réalisateur Benjamin Renner ayant décidé de travailler sur un autre projet.

La difficulté majeure était donc d’optimiser considérablement la productivité tout en restant fidèle au style originel du film et donc à l’œuvre de Gabrielle Vincent. La solution va venir d’un processus utilisé pour la fabrication de la série Les grandes grandes vacances, produite par Les Armateurs. "Les personnages sont modélisés en 3D ainsi que l’animation mais les rendus sont faits en 2D, restant ainsi très fidèles au graphisme original de Émile Bravo. J’ai demandé à son réalisateur, s’il pensait que nous pourrions utiliser le même procédé pour Ernest et Célestine. Et un premier test nous a bluffés par son résultat". L’animation en 3D permettait en outre de passer à 8 secondes d’animation par jour contre 1,6 secondes en 2D.

Autre défi de taille, reconstituer une équipe autour d’un binôme de réalisateurs. Pour l’écriture, Daniel Pennac ne voulant pas non plus se lancer dans la série, c’est Jean Regnaud, l’auteur de Ma maman est en Amérique, elle a rencontré Buffalo Bill qui sera notamment sollicité en compagnie d’autres auteurs. Une partie de l’équipe du film Ernest et Célestine va participer à la série, notamment les deux décorateurs et le musicien Vincent Courtois. L’écriture du scénario nécessitait des partis pris nouveaux passant par l’invention d’un nouvel univers, proche de celui des livres mais avec des histoires différentes et moins mélancoliques. "La série a été cadrée par France Télévisions qui nous a dit qu’elle serait sur France 5 donc pour une cible 4-8 ans. Mais nous avons constamment essayé de faire bouger les lignes en faisant travailler des auteurs qui amenaient de vrais enjeux de fond". Une phase pour laquelle il faudra énormément discuter avec un diffuseur "pétri de trouille" selon les mots de Didier Brunner. Pour la chaîne des droits, des droits voisins seront négociés avec les Armateurs, le reste étant négocié directement avec les ayants droits et Casterman, éditeur des livres originaux.

TAT productions prenait ensuite la parole pour présenter sa série Les As de la jungle à la rescousse, centrée sur le personnage de Maurice, un pingouin persuadé d’être un tigre dirigeant une sorte d’Agence tous risques de la jungle. Une série au format de 11 minutes dont les derniers épisodes de la 2e saison viennent d’être livrés à France 3. 104 épisodes ont déjà été produits par la société, basée à Toulouse, qui possède son propre studio de fabrication intégré. "Étant prêts à faire un long métrage, nous nous sommes dits que partir des As de la jungle serait plus facile à développer et à monter résume Jean-François Tosti. En termes de budget nous passons d’un coût de 12 000 € à la minute sur la série à 60 000 € pour le film. Nous restons ainsi dans un budget très maitrisé, facilité par le fait que nous ayons notre propre studio. Et nous gardons également un contrôle artistique total". Le film est financé par France 3 Cinéma, Canal + et Ciné+, sa distribution étant assurée par SND

L’écriture du film a représenté une première difficulté par rapport à celle d’épisodes de 11 minutes menés à un rythme frénétique. "Pour que le long métrage fonctionne nous avons compris très vite qu’il nous fallait replacer les personnages au cœur de l’histoire en creusant leur psychologie tout en mettant en place des enjeux suffisamment forts et en réintroduisant des éléments que le format de la série nous avait parfois obligé à écarter". Autre problème, tenir compte du fait que le film pourrait être aussi bien vu par des fans de la série que par des spectateurs ne la connaissant pas du tout, ce qui impose des scènes d’exposition n’entravant pas le déroulement de l’action. "Le fait de bien connaître un univers, loin de simplifier l’écriture, l’a au contraire complexifiée".

Le passage du petit au grand écran suppose également un travail sur l’image beaucoup plus sophistiqué. Toutes les textures, notamment de peau des personnages ont dû être poussées et complexifiées, prenant en compte la nécessité de supporter des gros plans. Nous avons choisi de garder le même look à nos personnages, par contre nous avons amélioré les détails de certains". Directeur du studio de TAT, Stéphane Margail a assuré la bascule de la série au long métrage. "Nous avons dû retravailler les décors, notamment la végétation afin qu’elle soit bien plus variée. Même chose pour les sols qui étaient assez plats dans la série. En apparence ce sont des petits détails, mais c’est ce qui fait la différence. Cela a nécessité certains ajustements au niveau de notre pipeline, sans non plus le renouveler totalement. En fait, à part l’équipe on ne peut pas garder grand-chose. Il faut impérativement repasser sur tout, en se gardant néanmoins de prendre trop de risques financiers. C’est un équilibre à trouver car la finalisation de chaque élément prend beaucoup plus de temps que dans la série. En cinéma, on ne fait pas de compromis".

Patrice Carré
© crédit photo :


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