Lumière MFC 2016 – Un tour du monde du cinéma de patrimoine
Le colloque inaugural du Marché du film classique s’est livré à un long panorama mondial du marché du cinéma classique. L’occasion de scruter les pratiques étrangères en termes de sauvegarde et d’exploitation du patrimoine, continent par continent, pour un constat souvent désenchanté comparé au modèle français.
La salle de la MJC Monplaisir (Lyon IIIe) était comble pour l’inauguration officielle de la 4e édition du MFC ce mercredi 12 octobre, avec l’ouverture du colloque inaugural animé par le toujours fringant Anthony Bobeau. L’évènement avait pour thématique centrale “Panorama par territoire du marché du film classique (distribution, exploitation salle, DVD/Blu-Ray, TV et VàD, festivals) en France et dans le monde”.
En guise d’introduction, Thierry Frémaux a tenu à rendre hommage à l’invité d’honneur du Marché cette année, Nicolas Seydoux, président de Gaumont. Une société “à la croisée des chemins et des mondes, anciens et nouveaux, qui a toujours su prêter attention à son patrimoine”.
Le dirigeant de la Marguerite a ensuite ouvert le bal des présentations en livrant sa perception du marché hexagonal du cinéma classique. “C’est un des grand défaut du cinéma : pour créer une œuvre, il faut un marché, ou plutôt des marchés”, a constaté Nicolas Seydoux, qui s’est ensuite arrêté sur une caractéristique française. “Les chaînes de télévision représentent le premier marché des films restaurés.” Ces dernières, selon le dirigeant, entraînent par ailleurs, par la mise à jour constante de leurs standards techniques, l’obligation de présenter la “qualité technique la meilleure possible pour chaque œuvre”. Certains films Gaumont en sont ainsi à leur troisième restauration, les télévisions représentant le premier chiffre d’affaires du catalogue de la société. Et son président de regretter, en fin d’intervention, le manque de réelles émissions sur le septième art “et notamment sur le service public”.
Manque de débouchés en Italie
Au tour de Gian Luca Farinelli, directeur de la Cineteca di Bologna, de prendre la parole pour témoigner de son expérience italienne. Le dirigeant, dont la structure “a dépassé les 1 000 restaurations”, a relevé l’état “catastrophique” du marché transalpin, pointant surtout le manque cruel de débouchés pour les films classiques, même locaux, dans son territoire. “Tout le contraire de la France : c’est un suicide que nous commettons.” Dans un marché qui atteint péniblement les 100 millions d’entrées annuelles, il reste peu d’ouverture. La concurrence avec les nouveautés, en grande majorité anglo-saxonnes proposées dans les circuits, rend frileux les distributeurs en salle et la télévision s’est totalement désintéressée du sujet.
“Pour former le public, il faut montrer les grands classiques en salle”, s’est écrié le dirigeant. “D’autant que le digital ouvre des possibilités incroyables, chaque exploitant pouvant se transformer en cinémathèque de la grande époque.” Un pas que sa structure a franchi en exploitant elle-même sa propre salle, pour un cinéma classique uniquement en VO, qui enregistre d’ailleurs le meilleur taux de remplissage de Bologne. “Le problème de nos films de patrimoine reste que, sauf quelques grands classiques, les Italiens n’aiment pas leur cinéma. Le cinéma français a beaucoup plus de succès !”
Au tour du journaliste Fabrice Leclerc (France Info, Paris Match) de livrer une présentation détaillée du marché nord-américain, concentré principalement sur les États-Unis. “Le cinéma de répertoire reste confidentiel, mais il y a un espoir”, a résumé l’intervenant. Ce dernier a pointé notamment un marché “renaissant” de l’art et essai outre-Atlantique (5% des recettes globales, mais en nette augmentation chaque année), poussé par un double phénomène : du crowdfunding citoyen et la volonté de certaines agglomérations moyennes de voir renaître des établissements en centre-ville.
S’il n’existe que peu d’opportunités pour les films classiques en vidéo physique, “l’apport de la VàD et des plateformes permet un accès nouveau aux films de répertoire, les analyses montrent que cette mise à disposition fait revenir les gens dans les salles”. Marque de ce regain, la réouverture de nouvelles salles consacrées au cinéma classique, comme au Metrographe à New York, ou à l’Egyptian Theater ou au New Berverly – cinéma programmé par Quentin Tarantino depuis 2014 –, à Los Angeles. Et le journaliste de rappeler l’existence de certains distributeurs salles spécialisés, comme Janus Films, mais aussi de chaînes de télévision thématiques puissantes, comme TCM. Fabrice Leclerc a évoqué un territoire qui a “amorcé depuis peu un travail de conservation”, en citant la prise de conscience du Congrès américain de la disparition de plus d’un tiers des films muets d’avant 1929, et de 90% de sa production antérieure à 1914. “Mais les États-Unis conservent beaucoup de retard sur la France ou l’Italie dans ce domaine.”
Toujours en Amérique du Nord, le cas du Canada et surtout du Québec fut également évoqué par Gérald Duchaussoy, en charge du MFC. Il a dressé le tableau d’un marché totalement sinistré. Si le Québec se penche depuis le début des années 2000 sur la préservation de son patrimoine cinématographique, essentiellement à l’initiative d’un important mécène, le groupe Québecor qui a investi 22 M de dollars canadiens dans la restauration de films, “le marché demeure restreint”. Le groupe a par ailleurs suspendu son soutien à la manifestation Éléphant ClassiQ, tenue en novembre 2015 et qui, consécutivement, ne connaîtra pas de nouvelle édition.
Le flou latino-américain
Docteure et chercheuse en cinéma, Gabriella Trujillo s’est exprimée en qualité de spécialiste des cinématographies d’Amérique latine. Sur “une échelle énorme” – plus d’une vingtaine de pays et 630 millions d’habitants –, l’universitaire dresse un tableau global plutôt sombre des différents marchés qui composent la zone, peu unifiés, malgré une langue commune à presque tous et souvent plongés dans un grand flou concernant les droits d’exploitation.
Avec quelques points positifs au cas par cas, comme un marché de la vidéo physique encore vivace au Chili ; une politique de restauration active, notamment par le mécénat privé, en Argentine et de nouvelles stratégies de diffusion au Mexique via les plateformes de VàD. L’intervenante a également cité l’initiative du Recam (Reunión especializada de autoridades cinematográficas y audiovisuales del Mercosur), structure pancontinentale basée à São Paulo au Brésil, formée avec l’ambition de développer un marché commun sud-américain de l’audiovisuel et du cinéma. “Même si l’Amérique latine accuse un retard important en termes de conservation et restauration, elle va à la conquête d’un important marché virtuel”, souvent en réaction à l’implantation offensive des grands opérateurs américains.
Présentant le continent asiatique, Muyan Wang, critique de cinéma, a pour sa part préféré le mot “circulation” à celui de “marché” pour décrire le contexte du cinéma classique en Chine. Il s’agit notamment d’un réseau important et historique de cinémas itinérants dans les zones rurales. Un modèle qui tend à disparaître à la suite de l’exode conséquent des jeunes générations vers les centres urbains. Sans autre tissu structurel concret pouvant proposer des solutions de diffusion, que ce soit en exploitation salle – quasi monopolisée par les nouveautés –, ou en télévision – “presqu’aucune chaîne ne propose de films anciens aujourd’hui” –, le patrimoine chinois est ainsi tombé dans l’oubli. Muyan Wang estime que neuf dixièmes des films du territoire sont déjà perdus : “La prise de conscience de la nécessité de sauvegarder et restaurer est née très tard en Chine.”
Le constat est somme toute le même à Hong Kong, qui bénéficie pourtant d’une cinématographie foisonnante et encore hégémonique à certains égards sur la zone, mais manque cruellement, comme en Chine, de structures de distribution intéressées. À Taïwan, autre territoire scruté, l’intérêt est plus important, de la part notamment des institutions et des professionnels, pour un cinéma de patrimoine, qui connaît cependant très peu de succès en salle.
Interpellé par l’assistance, l’intervenant a également précisé que la situation s’améliore sur la zone en termes de lutte contre le piratage, notamment grâce à des pétitions lancées à l’initiative de professionnels, qui ont récemment convaincu les autorités de fermer de nombreux sites pirates.
Les bazars indiens
Se penchant sur le cas indien, Némésis Srour, chercheuse et cofondatrice de la plateforme Contre-courants, a décrit un territoire “où chaque région, et parfois chaque localité, possède sa propre industrie cinématographique, à son échelle”. Citant le cas de Bollywood – industrie centrée autour de Bombay, en langue hindi –, l’intervenante a cité la disparition de la presque totalité du patrimoine muet sur la zone. Une demi-douzaine subsiste en effet en entier et une douzaine fragmentée, sur un total de 1 700 titres recensés. Ceci pour démontrer le peu de cas fait par les professionnels locaux de la préservation du patrimoine cinématographique. Une situation somme toute logique, dans un pays où, selon elle, les gouvernants ont toujours regardé le cinéma comme un industrie et les films comme des produits plutôt qu'un patrimoine culturel.
Plus pittoresques, “les marchés aux puces et bazars font souvent office d’archives et agissent, dans une économie approximative, pour la préservation des œuvres avec beaucoup de matériel récupéré et conservé.” Némésis Srour a par la suite cité deux acteurs principaux de la préservation des films, la Film Heritage Foundation, lancée sur une initiative privée en 2014, et la National Film Archive of India, qui gère un catalogue de 6 000 titres, mais ne s’intéresse qu’aux films primés, populaires et surtout cofinancés par l’État. “Nous parlons ici de préservation, parfois avec numérisation, mais sans restauration”, la plupart des laboratoires ayant abandonné le traitement photochimique, la filière locale manque de structure pour assurer ce travail. Une situation paradoxale, selon des interventions de l’auditoire, quand plusieurs prestataires indiens se présentent aux ayants-droit et producteurs étrangers, surtout américains, pour des services de traitement numérique.
L’Afrique, c’est politique
Bouclant ce tour du monde, Thierno Ibrahim Dia, éditeur de la revue Africiné, a tenu a mettre en avant les problématiques politiques qui ont empêché la plupart des territoires – plus d’une cinquantaine – qui composent le continent de préserver son patrimoine filmique. Car cette zone manque cruellement d’infrastructures, que ce soit en termes de lieux de diffusion ou de techniciens, mais elle possède quelques qualités : “Le gros atout africain, ce ne sont pas les salles, mais la population, jeune et connectée. Certains opérateurs ont contourné le manque de salles par une numérisation pour une diffusion via smartphone.”
Notant toutefois quelques territoires plutôt en avance en termes institutionnels, comme le Maroc, l’Égypte, la Tunisie, l’Afrique du Sud, ou encore le Tchad, dont les gouvernants ont permis au pays, grâce à une coopération allemande, de s’équiper de sa première salle numérisée. L’éditeur s’est également brièvement penché sur le cas du Nigeria et de sa fameuse industrie “nollywoodienne”, qui représente 2 000 productions par an selon certaines sources. Mais elle “s’apparente beaucoup à du théâtre filmé. Ce déficit qualitatif l’empêche d’être considérée comme une réelle cinématographie. Et cette industrie demeure autocentrée et auto-complaisante”.
L’Afrique est donc un continent dans lequel les institutions étrangères – British Institute, Institut français et Goethe Institut –, jouent un rôle important pour la diffusion des œuvres. Les acteurs étrangers – Film Foundation et Cineteca di Bologna en tête –, y agissent pour la préservation et la restauration des œuvres, car le continent représente un marché d'avenir selon plusieurs études.
Sylvain Devarieux
© crédit photo : 'La fiancée de Frankenstein' de James Whale (1935) - ©UniversalVous avez déjà un compte
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