Lumière MFC 2016 – Douze laboratoires à l’honneur
Après le Rendez-vous des distributeurs la veille, le Marché du film classique s’est livré à un tour d’horizon des laboratoires pour sa dernière journée. Avec l’objectif avoué de placer cette année un coup de projecteur sur le travail de ces prestataires au travers d’exemples pratiques, images à l’appui.
Remplissant de nouveau entièrement son espace de la rue du Premier Film à Lyon, le Marché du film classique mettait cette année le travail des laboratoires en lumière. Le Rendez-vous, modéré comme de coutume par Anthony Bobeau, vit ainsi défiler une douzaine de prestataires, venus témoigner de leur travail de restauration et de numérisation de plusieurs œuvres classiques, dont la plupart sont présentées en sélection à Lumière.
Incarnée par Stéphane Chirol, son directeur commercial, et Charlotte Quémy, sa directrice d’exploitation, TitraFilm a ouvert le bal des présentations, témoignant d’une “culture d’entreprise très liée aux auteurs et aux œuvres” depuis sa fondation en 1933. Diversifiée et détentrice d’un pôle héritage depuis quatre ans, Titra est venue présenter deux cas pour illustrer son travail : celui de La pirate de Jacques Doillon, qui a nécessité un travail de substitution d’une partie de l’internégatif pour remplacer des bobines abîmées. Les dirigeants ont également évoqué le programme Alice Comedies formé par Malavida à partir de courts métrages muets de Walt Disney, pour lequel Titra a dû partir d’une restauration des années 1980 et d’une numérisation de Eye Institute, avec un gros travail sur les cartons et textes à partir d’une traduction originale du distributeur.
Les Polonais de DI Factory, qui ont démarré leur activité avec la postproduction d’Ida de Pawel Pawlikowski en 2012, compte désormais plus de 50 restaurations à leur actif. La société a axé sa présentation sur le travail de restauration et numérisation de 19 films du maître Andrzej Wajda, disparu le week-end dernier, dont six titres cette année. Un travail supervisé par l’auteur lui-même jusqu’à cet été, dans le but de former un coffret vidéo sorti en septembre. Par ailleurs, DI Factory a également œuvré dans le cadre du projet Martin Scorsese Presents: Masterpieces of Polish Cinema.
De retour sur le devant de la scène depuis son rachat par Ymagis, la société Eclair, personnifiée ici par Pierre Boustouller, directeur commercial de sa division restauration, avait pour sa part “préparé un petit film composé d’extraits de grands films” sur lesquels elle a œuvré. À une exception près, chacun d’entre eux est présenté à Lumière cette année : L’aventure c’est l’aventure (photo) de Claude Lelouch, Un éléphant ça trompe énormément d’Yves Robert, Manon des sources de Claude Berri, Quai des brumes, Trois chambres à Manhattan et Les enfants du Paradis de Marcel Carné, L’empire des sens de Nagisa Oshima, J’accuse d’Abel Gance, La chamade d’Alain Cavalier et Le corbeau d’Henri-Georges Clouzot, 700e restauration du laboratoire.
Pierre Boustouller a par ailleurs tenu à rendre hommage, comme plusieurs le feront durant ce Rendez-vous, au travail de la société Diapason, dont Eclair est partenaire pour la restauration sonore.
S’exprimant pour la société américaine Cineric Inc., Eric Nyari s’est principalement penché sur le travail accompli sur la restauration et numérisation des Amants crucifiés de Kenji Mizoguchi, et particulièrement sur la “fameuse scène du lac perdu dans la brume”. L’enjeu fut de reproduire l’univers artistique du cinéaste nippon en retravaillant les niveaux de gris, partant d’un matériel très abîmé (rayures, brûlures, bruit…). “Le Japon est très en retard par rapport à l’Europe ou aux États-Unis quant à la sauvegarde de son patrimoine”, a commenté le dirigeant au passage. “Beaucoup de matériel est aujourd’hui perdu, malgré un soutien appuyé de la Film Foundation et d’Hollywood.”
Le groupe Hiventy, partenaire du MFC, toujours en transition durant son accompagnement judiciaire, a réorganisé ses activités autour de trois pôles d’activités : hub, media servicing et restauration et postproduction, dont Olivier Duval, son Dga, entouré de Benjamin Alimi, directeur patrimoine, et Thierry Delannoy, responsable restauration, est venu exposer le travail. Non sans rappeler la particularité du groupe qui détient le dernier laboratoire photochimique de France, basé à Joinville-le-Pont. Et le dirigeant de dévoiler les coulisses de la restauration de La femme du boulanger de Marcel Pagnol, qui entre dans le cadre du projet de restauration de l’œuvre de son aïeul initié par Nicolas Pagnol. Une restauration basée sur trois supports, le négatif original nitrate, le marron (interpositif) nitrate et négatif son nitrate. Sachant que le négatif était coupé : manquaient à l’appel quinze minutes du film, d’où l’obligation d’harmoniser les sources pour permettre des raccords.
Christian Lurin, directeur du pôle patrimoine de Technicolor, a pour sa part tenu à faire un point sur l’archivage des données de restauration. “Quelles informations devons-nous transmettre aux futures restaurateurs ?” a interpellé le dirigeant, une interrogation somme toute légitime dans un marché numérisé dont les formats de fichiers évoluent d’année en année, parfois sans possibilité de retour en arrière. Christian Lurin a mis en avant la méthode de création des rapports de restauration et de mastering pratiquée par son entreprise, témoignant au passage que pour la restauration récente, en 4K 16bits, de Showgirls de Paul Verhoeven (réédité en septembre par Pathé), l’ensemble des données représentaient 25 To, ce qui laisse entrevoir également une problématique de stockage. Enfin, le dirigeant a opéré une focale sur la version restaurée du Roi de cœur de Philippe de Broca, dont la bande-annonce a été projetée aux accrédités.
Régional de l’étape, le Lyonnais Lumières Numériques, également partenaire du MFC, était représenté par son fondateur et dirigeant Pierre-Loïc Precausta. Le laboratoire, qui souffle ses cinq bougies cette année, intervient sur une dizaine d’œuvres par an, et voit, pour la première fois cette année, deux d’entre elles sélectionnées à Lumière : Compartiment tueurs et Un homme de trop de Costa-Gavras. L’équipe de Lumières Numériques est parti de copies jadis déposées à la Cinémathèque française et relativement abîmées, le reste du matériel étant aux États-Unis. Soit un total de 600 kgs. Pour Compartiment tueurs, l’un des enjeux se formait autour de la brillance, le long métrage étant tourné en noir et blanc – et en scope, pour un film en huis-clôt –, avec des scènes nocturne et des pavés mouillés. L’étalonnage a été accompagné par le cinéaste en personne. Les deux titres intègreront un coffret édité par Arte en fin d’année.
S’avançant pour L’immagine Ritrovata et sa branche française L’Image Retrouvée, Davide Pozzi, son directeur, a décidé de ne pas s’arrêter sur des images mais de mettre l’accent, en préambule à la table ronde technique de l’après-midi même organisé par la Ficam, sur les problématiques matérielles. “Le principal souci pour le client est d’avoir les meilleurs éléments originaux possible”, a constaté le dirigeant italien. “L’important, pour l’avenir, est de continuer sans cesse à étudier et développer de nouvelles technologies pour localiser et traiter ces éléments originaux le mieux possible”, a-t-il poursuivi, soulignant au passage le rôle important de la Fédération internationale des archives du film (Fiaf) en la matière. “Notre travail de recherche nous a aussi permis de nous rendre compte qu’il existait quatre versions de Cinema Paradiso alors que Giuseppe Tornatore ne se souvenait que de deux d’entre elles”, a-t-il ensuite témoigné.
Créée en 2008 et diversifiée dans la restauration numérique, Mikros Image s’est distinguée en centrant sa présentation non pas sur des extraits d’un film mais d’une série télévisée, animée de surcroît. À la demande de Procidis, le laboratoire est intervenu sur la série Il était une fois la vie d’André Barillé, à partir de négatifs en 16 mm, avec la mission de la moderniser et de l’adapter aux standards télévisuels modernes. Au-delà de son recadrage, passé du 1.37 au 1.66, et de son réétalonnage, les équipes de Mikros devaient aussi, chose rare, retirer le grain de l’image. Une demande expresse de l’ayant-droit, par ailleurs proscrite dans le cadre d’une restauration cinématographique, assez rare pour être soulignée. La série est depuis diffusée sur la RTBF et sera reprise sur France 4 en fin d’année.
Malheureusement retenu dans son pays d’origine, l’Afrique du Sud, Benjamin Cowley, dirigeant du Graver Road Distribution Group, est apparu par le biais d’une vidéo enregistrée. Dans cette dernière, il témoigne de la situation difficile du patrimoine local : “L’Afrique du Sud a perdu beaucoup de ses œuvres patrimoniales durant la censure de l’apartheid.” Basée au Cap, la structure a restauré une cinquantaine de titres, dont Joe Bullet de Louis de Witt, mais également le curieux Umbango de Tonie van der Merwe (1986), un des rares westerns en langue zoulou, tourné en 16 mm à l’époque et dont les coulisses de la restauration furent brièvement dévoilées.
Enfin, clôturant ce tour d’horizon des prestataires, le Hungarian Film Lab, personnifié sur place par son directeur de la restauration Gábor Pintér, compte deux de ses titres traités sélectionnés à Lumière cette année – Love de Gaspard Noé et Ikarie XB1 du Tchèque Jindřich Polák –, tous deux ayant précédemment été présentés à Cannes. Appuyant pour sa part la pratique éthique dans le processus décisionnel des restaurateurs, le dirigeant s’est aussi penché sur le travail de sa structure sur le court The Undesirable (1914), un des premiers films de Michael Curtiz, ainsi que sur Such Is Life (Takový je život) de Carl Junghans (1928), dont la version muette originale a totalement disparu après censure des autorités tchécoslovaques de l’époque.
Sylvain Devarieux
© crédit photo : Les Films 13Vous avez déjà un compte
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