Lumière MFC 2016 - Christophe Massie : “Une tension particulière pour les industries techniques sur la question du matériel”
Au lendemain du traditionnel rendez-vous technique en clôture du Marché du film classique, co-organisé par la Ficam et la SACD, le président délégué de la commission Observatoires métiers et marchés de la fédération, par ailleurs président d’Orfeo, revient sur les enjeux de ces échanges.
Lors de la traditionnelle rencontre technique que vous avez animée hier au Marché du film classique (MFC), vous avez décidé d’axer votre intervention sur les enjeux matériels à l’occasion d’une cessation ou d’un transfert d’activité. Pourquoi cette thématique ?
Lors du MFC de l’an passé, nous avions évoqué avec la SACD l’idée d’aborder cette thématique de manière conjointe, d’où les deux tables rondes. C’est la première raison. Les discussions sur l’exploitation suivie, qui viennent d’aboutir, ont soulevé la question de la non-exploitation et donc du matériel comme enjeu de la non-exploitation qui élargit le thème initial, c’est la seconde raison. Enfin, la numérisation généralisée conduit à une tension particulière pour les industries techniques sur la question du matériel.
Quelles préconisations émettez-vous dans le cadre de ces situations ?
Les ayants-droit cherchent du matériel et nous cherchons des ayants-droit. Nous devons travailler ensemble pour régler les différentes questions. Les ayants-droit doivent intégrer les contraintes financières de la gestion physique des supports réalisée par les industries techniques et les services associés. Et nous devons travailler ensemble pour faciliter les recensements des matériels et les restaurations, étape indispensable à la circulation des œuvres et leur valorisation. La Ficam est d’ailleurs à la disposition des ayant-droits et des auteurs pour avancer sur cette question, qui va dans le même sens que la préconisation de l’accord exploitation sur une traçabilité accrue.
À ce même rendez-vous l’an dernier, vous mettiez l’accent sur la nécessité pour la filière de “poursuivre son adaptation” dans un contexte de “mutation violente et globale”. Un an après, qu’en est-il ?
Nous avons progressé sur la prise de conscience des enjeux de la conservation numérique. Mais nous devons poursuivre la pédagogie sur les risques majeurs d’obsolescence des supports des 30 à 40 dernières années, en particulier des supports vidéo, a fortiori des premiers numériques, et sur la nécessité de conserver des supports ou des fichiers “les plus définis”. C’est une condition indispensable si l’on souhaite maintenir le potentiel “commercial” d’exploitation d’une œuvre et de ne pas basculer dans une conservation “patrimoniale” sans exploitation, ce qui est un des risques majeurs pour la fiction télévisuelle en particulier. Enfin, tous les acteurs, les ayants-droit comme les auteurs, doivent se rendre compte que les industries techniques françaises ont pu, bien sûr avec le CNC et les Archives Françaises du Film, mais aussi sur leurs propres frais de fonctionnement permettent à la cinématographie française un exceptionnel état de conservation des œuvres (à la différence d’autres cinématographies). Ce constat doit être fait mais aussi celui d’une mutation technologique, qui ne permettra pas de maintenir cet état de fait sans une mobilisation et une participation accrue des ayants-droit.
Cela fait plusieurs années que vous alertez sur la nécessité d’une double conservation des éléments, à la fois physique et numérique. Le message est-il passé ?
Les choses progressent. Les incidents passés et à venir contribuent à la prise de conscience. Les ventes de catalogue aussi font ressentir avec acuité la nécessité d’avoir mis de l’ordre dans son matériel et conserver les bons supports. La réflexion continue et les évolutions réglementaires vont sans doute orienter les pratiques (dépôt légal, agrément…). De même, un prochain travail d’actualisation des recommandations techniques de la CST va aider les producteurs à prendre les bonnes décisions.
Quelle proportion de films français sortis l’an dernier ont-ils bénéficié d’un retour sur film ?
Nous n’avons pas réactualisé le chiffre de l’an passé mais rien n’indique qu’il ait augmenté en 2016. Je vous rappelle qu’il n’était que de 20 %. Mais me permettrai-je d’ajouter que le pire est le nombre de film qui n’avait pas non plus sur cette période pris de disposition de conservation numérique, où là je n’ai pas de chiffres… Mais des plans de conservation numérique “rétroactive” sont en cours chez les producteurs.
Que représentent, en 2015, les activités de la filière restauration au sein du chiffre d’affaires global des entreprises adhérentes à la Ficam, et comment a-t-il évolué cette année ?
L’activité de restauration est devenue un secteur à part entière pour les industries et elle a contribué, par le soutien du plan de numérisation du CNC, à accompagner les mutations, même si elle n’a pas pu empêcher, à elle seule, les restructurations majeures. Par ailleurs, l’année 2015 n’a pas connu de progression par rapport à 2014 mais plus une stagnation de l’activité.
Jean Mizrahi, Pdg d’Ymagis, soulevait l’an dernier à cette table ronde l’obligation pour la filière de développer des méthodes et normes nouvelles afin d’assurer une “conservation numérique pérenne”, à l’heure où le transfert photochimique tend à disparaître. Quelles sont les pistes envisagées ?
La filière avait commencé à répondre à cette nécessité dès 2012. L’idée majeure est celle de la bascule vers des services de conservation ou de préservation, qui sont déjà à l’œuvre et développés ou proposés par de nombreuses entreprises du secteur. L’offre est là, elle est disponible… Par contre, la demande doit se confirmer. Une prochaine recommandation technique de la CST permettra aux producteurs d’avoir un guide pour faire leurs choix et la refonte du devis, validé par la Ficam et la CST, et ce sera un autre moyen pour la filière d’identifier clairement les décisions prises. Enfin, des modifications réglementaires à venir pourront aider à généraliser la demande. Mais pour l’offre, pas d’inquiétude… Aidez-nous à consolider la demande des producteurs !
Rappelant la fin prochaine du plan de numérisation, Laurent Cormier, directeur du patrimoine au CNC, avait également appelé les industries techniques à développer de nouveaux marchés à l’étranger pour compenser la diminution d’activité. Quelle est la part des activités internationales dans le CA de la filière restauration de la Ficam et quelle est son évolution ?
Nous avons constaté une nette augmentation des chiffres à l’exportation pour la restauration, de 2 à 7%, niveau faible qui a plus que triplé en un an. Nous avons un vrai savoir-faire et une vraie carte à jouer, en particulier par rapport à la numérisation en masse. Nos réalisations, comme l’action du MFC, prouvent qu’une restauration de qualité accompagne la nouvelle vie et prolonge l’exploitation d’une œuvre. Cette leçon est évidente pour les long métrages. Il faut que les ayants-droit le comprennent aussi pour d’autres œuvres, la fiction télévisuelle en particulier.
Propos recueillis par Sylvain Devarieux
© crédit photo : S.De.Vous avez déjà un compte
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