Cannes 2017 : Entretien avec Fellipe Gamarano Barbosa, réalisateur de "Gabriel e a montanha"
Date de publication : 21/05/2017 - 08:10
Pour son deuxième opus, présenté à la Semaine de la critique, le cinéaste brésilien s'est inspiré de la véritable histoire de Gabriel Buchmann, jeune économiste qui avait choisi de faire le tour du monde par soif d'idéal.
Comment présentez vous "Gabriel e a montanha" ?
Le film suit les 70 derniers jours d'un voyage de Gabriel Buchmann, qui devait se dérouler durant un an dans le monde entier. Depuis la préparation de son doctorat en politique publique à l'UCLA de Los Angeles, où il était boursier, jusqu'à sa disparition mystérieuse sur le Mont Mulanje, au Malawi, en juillet 2009. C'est une histoire racontée du point de vue de celles et ceux qui l'ont rencontré, lui ont offert leur aide en lui procurant nourriture et gite et ont, en fin de compte, retrouvé son corps.
Pourquoi avez vous voulu faire un film sur ce destin tragique de Gabriel Buchmann ?
Gabriel Buchmann était un vieil ami. Nous sommes allés ensemble à l'école élémentaire et puis au lycée où se déroule d'ailleurs l'action de ma première fiction, Casa grande. Nous sommes ensuite allés à la même faculté d'économie à Rio, avant que je parte aux États-Unis pour étudier le cinéma. L'idée de faire un film à partir de son histoire m'est venue rapidement, dès que j'ai appris sa disparition en juillet 2009. À ce moment, il y avait toujours l'espoir qu'il soit vivant et puisse nous raconte ce qui avait pu lui arriver. Mais des habitants de la région du Mulanje, Luka White et Bernard Nyove, ont retrouvé son corps 19 jours plus tard avec toutes ses affaires et son appareil photo, lequel a constitué ensuite le point de départ de mes recherches. Gabriel nous avait quittés en laissant beaucoup de questions sans réponse. L'impulsion qui m'a poussé à faire ce film est guidée par le désir de trouver ces réponses.
Est-ce un film traitant de l'utopie ?
Je ne pense pas. Cela a trait aux nombreuses contradictions qui peuvent coexister au sein d'un caractère, aussi cohérent soit-il. Celui de quelqu'un qui a voulu vivre et embrasser le monde mais a dû mourir pour accomplir sa destinée. Cela traite donc bien plus du destin que de l'utopie. Je pense que le film parle aussi d'immortalité, car le cinéma a le pouvoir de ressusciter les morts.
Il a été difficile de convaincre des producteurs ?
Cela s'est fait tout naturellement. Rodrigo Letier et moi-même voulions travailler ensemble depuis quelque temps. Il avait fréquenté la même école que Gabriel et moi. Il avait été très frappé par cette histoire, qui avait fait la une de tous les médias au Brésil. Il a donc convaincu son partenaire, Roberto Berliner, de s'engager dans le projet. C'est ainsi que TvZero est venu à bord. Ils ont financé le film grâce à deux fonds brésiliens : FSA d'Ancine et Riofilme. Nous avons fait ensuite un accord de coproduction avec Yohann Cornu de Damned Films en France. Au milieu du tournage, nous avons reçu le soutien d'Arte et du CNC. Le film est alors devenu une coproduction officielle. Sur le terrain, la production exécutive a été faite par Clara Linhart, qui est aussi mon assistante et ma compagne dans la vie. Les autres producteurs ont été Vincho Nchogu, que j'avais rencontré en 2007 au Maisha Film Lab, créé par Mira Nair en Ouganda, et Mauro Pizzo, producteur exécutif avec lequel je travaille depuis mon court métrage de 2006, Beijo de sal.
Où et quand avez-vous tourné ?
Nous avons tourné au Kenya, en Tanzanie, Zambie et au Malawi. Cela représente un total de 6000 à 7000 kilomètres par la route, avec parfois juste un peu d'eau au milieu. Le scénario avait été à l'origine écrit pour sept pays, suivant le périple de Gabriel autour du lac Victoria : du Kenya à l'Ouganda, en incluant le Rwanda et le Burundi. Finalement, j'ai décidé de faire un raccourci entre Nairobi et Arusha, parce que je n'avais pas trouvé de vrais personnages en Ouganda et au Rwanda, seulement en Burundi. Une famille de notables y avait accueilli Gabriel. C'était des personnages très intéressants, mais au moment du tournage, le Burundi n'était pas un pays assez sûr. Nous avons donc tourné de mai à juillet 2016, à peu près aux mêmes dates durant lesquelles s'était déroulé le voyage de Gabriel en 2009. Tout cela a duré 70 jours.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Le tournage en lui-même était un défi logistique constant. Le moment le plus éprouvant a été sans aucun doute celui où il nous a fallu escalader deux montagnes très élevées. Je n'avais aucun montagnard dans l'équipe, mais tous respectaient mon choix de tourner dans les endroits ou Gabriel était véritablement passé, quelles que soient les difficultés à affronter. Mais c'est un véritable miracle que les 13 membres de l'équipe qui ont escaladé le Kilimandjaro soient tous arrivés au sommet, alors que le taux moyen de réussite est de 25%. Je tiens à rendre un hommage particulier à mon chef opérateur, Pedro Sotero, qui s'est durement battu et qui était encore étonnamment lucide à 5 850 mètres d'altitude. Je suis vraiment reconnaissant à cette équipe.
Et puis ensuite, il y a eu le Mont Mulanje. Arriver à l'endroit où le corps de Gabriel avait été retrouvé ne fut pas un moment facile. En outre, nous étions tous épuisés après 70 jours de route. La dernière journée, il nous a fallu marcher pendant quatre heures pour tourner la scène d'ouverture et de clôture du film, puis revenir. Ce qui fait que nous avons pu seulement consacrer entre deux et trois heures aux prises de vues. Mais ce jour-là, nous avons ramené environ dix minutes qui se retrouvent dans le film.
L'autre grand défi a été les voyages par la route. J'appréhendais beaucoup ces déplacements de 6000 kilomètres en camion, avec les acteurs, l'équipe et tout le matériel. Durant la première semaine, un véhicule s'est profondément embourbé sur la route d'Ewuaso, un village Massaï où Gabriel avait fait une rencontre importante. Une partie du matériel était dans la boue. Au bout de trois heures que je me suis rendu compte que j'avais des héros dans l'équipe : Pedro Von Tiesenhausen, qui était assistant décorateur, et Israel Basso, le chef électricien. Ils n'ont pas hésité à plonger littéralement dans la boue pour nous sortir de cette mauvaise passe. Et ils ont réussi.
Avez-vous mis au point une méthode de travail particulière ?
Le travail avec un mélange d'acteurs professionnels et amateurs a été plus facile que j'avais craint au départ. João Pedro Zappa et Caroline Abras, les acteurs qui jouent Gabriel et Cristina, avaient lu le scénario et nous avons répété à Rio avant le tournage avec l'aide du directeur de casting Amanda Gabriel. Ainsi, même s'ils ont parfois beaucoup improvisé, ils ont travaillé les scènes que j'avais écrites.
En revanche, je n'ai pas donné le scénario à lire aux acteurs que j'ai recruté localement. Comme ils n'étaient pas professionnels, je ne voulais pas qu'ils s'encombrent avec le texte. Je les ai utilisés dans des scènes qui comportaient des actions assez simples à effectuer. La plus grosse difficulté, était de leur transmettre des indications pour les aider à ne pas stresser et à avoir confiance en eux, sans qu'ils puissent deviner mes appréhensions qui étaient bien réelles. Beaucoup d'entre eux avaient adoré leur rencontre avec Gabriel, et ils étaient heureux de revivre les moments qu'ils avaient partagés ensemble.
Le montage a duré longtemps ?
Environ sept mois, ce qui me semble en fin de compte assez court, dans la mesure où nous avions 70 heures de rushes, puisque nous tournions environs une heure par jour. Par ailleurs, j'ai déjà eu une expérience de monteur à New York mais aussi au Brésil. J'ai toujours participé au montage de mes films, car c'est quelque chose qui fait partie du boulot de réalisateur. Les deux vont de pair. Le monteur qui est avec moi participe donc au moment le plus difficile dans le processus de réalisation d'un film.
Pour Gabriel…, j'ai pu travailler avec trois grands professionnels : le monteur français Théo Lichtenberger, le producteur français Yohann Cornu et le monteur son Brésilien Waldir Xavier – qui m'a aidé à trouver une certaine objectivité afin de raconter la meilleure histoire possible. Tout aussi cruciale a été l'aide de mes deux coscénaristes, Lucas Paraizo et Kirill Milhanovsky. Je n'ai pas voulu idéaliser Gabriel. Ce n'était pas toujours quelqu'un de facile et se confronter avec ça dans le film n'était non plus très simple.
Qu'attendez-vous de cette sélection à la Semaine de la critique ?
Mes attentes sont très élevées car j'aime toujours m'attendre à ce qui peut arriver de mieux. Je suis déjà allé à Cannes, il y a 11 ans comme deuxième assistant réalisateur du merveilleux film de Kirill Mikhanovsky, Sonhos de Peixe. Et je sais que les gens peuvent parfois passer à côté d'un film en dépit de sa beauté. Gabriel s'est lancé dans une entreprise de paix. Il avait un caractère très particulier, à l'opposé de tout cynisme, il espérait toujours le meilleur. J'ai essayé de faire un film aussi pur que lui. Voyons comment les gens vont réagir.
Quelle est actuellement la situation du cinéma indépendant au Brésil ?
Je pense que le contexte est très intéressant. Nous percevons les effets d'une politique publique très réfléchie en termes de subventions qui tente d'être au niveau des attentes internationales, et notamment celles des grands festivals. On peut le critiquer, mais je pense qu'il est important de rechercher une sorte de consensus visant à créer une beauté artistique capable d'unifier le monde. Nous en avons besoin. Et le Brésil est partie prenante de ce processus. C'est important de participer à cette période de l'Histoire du cinéma brésilien, durant laquelle les cinéastes peuvent raconter des histoires qui leur sont très personnelles. Nous avons beaucoup de choses parce que, avant nous, beaucoup se sont battus pour arriver à ce que nous avons maintenant : un système de financement solide et cohérent. J'espère qu'il survivra. Mais je suis un grand optimiste. Je me dis que bien fous seraient ceux qui seraient tentés de le démanteler.
Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : Mauro Pizzo
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