Cinéma

Congrès FNCF 2017 – L’après-VPF agite le Forum de discussion

Date de publication : 27/09/2017 - 08:21

Parmi les trois sujets phares des rapports des commissions de branches de la FNCF – avec la chronologie des médias et le piratage –, celui de l’avenir des contributions numériques a suscité de vifs échanges au Forum de discussion du Congrès, qui se tenait mardi 26 septembre à Deauville, notamment avec les rapporteurs de l’étude conduite par l'IGF et l'IGAC. La FNCF a, d’ailleurs, livré quelques résultats d’une étude parallèle sur le sujet.

Par la voix de Laurence Meunier, sa rapporteuse, la branche grande exploitation a ouvert le bal du Forum de discussion en critiquant directement le Rapport sur le financement de la projection numérique en salle, livré début août par l’IGF et l’IGAC. Un document qui "laisse les membres perplexes", a déclaré l’exploitante. "Le rapport relève bien des charges nouvelles que supportent les salles de cinéma et des économies significatives réalisées par les distributeurs. Mais les membres de la branche ne comprennent pas sa conclusion, qui ne tient pas compte de ce constat économique".

Dans ce contexte, la grande exploitation juge "non admissible" le postulat de "ne pas rechercher de nouveaux mécanismes de financements" pour remplacer les contributions numériques. Selon sa rapporteuse, "la problématique de renouvellement du matériel est largement sous-estimée dans le rapport" IGF/IGAC. "On ne peut minimiser les moyens financiers nécessaires au maintien du système de projection dans les salles, il s’agit certainement du plus grand défi que les salles devront affronter dans les prochaines années."

Et la branche de demander la mise en place d’une réflexion sérieuse sur le sujet, "sur la base des éléments économiques liés à la projection, indépendamment de toute autre considération sans rapport".

La rapporteuse s'est ensuite attaqué à la chronologie des médias et au piratage, "deux sujets [qui] paraissent de plus en plus indissociables" selon elle. "La baisse du chiffre d’affaires de la vidéo, dont la fenêtre a pourtant été rapprochée de la nôtre à plusieurs reprises" serait ainsi une conséquence directe du piratage selon la branche.

"Seule la lutte contre le piratage ramènera de la valeur", a poursuivi Laurence Meunier, déclarant "attendre des mesures" sur le sujet, tout en rappelant le caractère "intouchable" de la fenêtre salle à quatre mois. La rapporteuse a conclu en saluant le travail de la commission des questions sociales lors des négociations de la nouvelle grille de salaires et les nouvelles qualifications salariales.

La moyenne exploitation entre vigilance et inquiétude

S’avançant au pupitre en tant que rapporteuse de la moyenne exploitation, Marie-Laure Couderc a tenu à souligner, au sein de la branche, une "stagnation des entrées à périmètre constant d’environ +2,3%, avec des disparités allant de -10% à +7%". "Nos collègues, notamment art et essai, ont cruellement souffert d’une offre faible voire déficiente", a rajouté l’exploitante.

Partageant ensuite les félicitations adressées à la commission des affaires sociales autour des nouvelles classifications de métiers – "enfin !" -, la rapporteuse a enchaîné sur la chronologie des médias et le piratage. "Nous tenons à réaffirmer que la salle est le premier contributeur de la filière cinéma (…), soit aujourd’hui 1,4Md€", a pointé Marie-Laure Couderc. Notre fenêtre est certes la première, mais c’est la plus petite de la filière, et celle qui, au cours des années, a le plus rétréci. Renforçons-la et défendons-la, il est hors de question [qu’elle] diminue !"

Et l’exploitante d’insister sur la lutte contre le piratage : "La menace est mondiale et dangereuse pour l’exception culturelle française. Les plateformes SVàD actuelles et futures doivent trouver leur place dans un nouveau modèle de la chronologie et s’inscrire à leur tour dans un modèle vertueux de financement et de soutien à l’exploitation française". À ce titre, le rapport du Sénat paru fin juillet "interpelle et inquiète" les membres de la branche.

La rapporteuse a ensuite abordé le sujet de la réforme art et essai, soulignant un manque de visibilité. "Nous restons vigilants quant à la problématique de classement des salles de la moyenne exploitation. Le rehaussement des pourcentages ne doit pas exclure des cinémas à travail constant". Et Marie-Laure Couderc de regretter que "le classement des films en amont de leur sortie n’est toujours pas d’actualité".

Enfin, le rapport IGF/IGAC a bien entendu animé la commission de branche le matin même. "Nous saluons le travail quasi ogiaque des rapporteurs", notant "toutefois un interminable couloir de portes ouvertes qu’ils enfoncent obstinément de la première à la dernière. Point d’analyse ni de chiffres, mais des affirmations gratuites, non fondées et fallacieuses." Et l’exploitante de témoigner la "consternation" de sa branche devant les propositions du rapport.

La branche a témoigné, enfin, du "surcoût avéré" de la transition numérique pour l’exploitation, plaidant par la suite un "partage équitable" de celui-ci. La moyenne exploitation aurait ainsi "massivement investi" pour assurer la stabilité de ses entrées. Cette dernière "est endettée, sa marge ne cesse de fondre. Nos équilibres sont fragiles."

La petite exploitation "a peur" pour son avenir

S’avançant en tant que rapporteur de la petite exploitation, Laurent Coët s’est quant à lui livré à un exercice original : se projeter dans un avenir hypothétique de sa branche. Ainsi, en 2024, "bon nombre de nos petites exploitations ont dû cesser leur activité, n’ayant pu renouveler et entretenir leur matériel devenu obsolète", a esquissé le porte-parole de la branche. "Nos collègues, qu’ils soient indépendants ou publics, n’ont pu s’adapter aux nouvelles technologies de projection."

Le rapporteur a également regretté le manque de suivi autour de la proposition, formulée l’année dernière au 71e Congrès, "d’une solution vertueuse de financement, l’IPN (Investissement permanent numérique). (…) Il aurait été donc important d’accompagner les salles vers un développement dès 2017, plutôt que de les condamner à siphonner leur fonds de soutien pour changer une tête de projecteur. En effet, le rapport du financement de la projection numérique en 2017 avait totalement occulté la régulation du marché et les comptes d’exploitation de nos établissements".

Et Laurent Coët de prédire, dans cet austère futur, la mort des dispositifs d’éducation à l’image et le manque d’action concrète contre le piratage. "C’est pour éviter un tel compte-rendu que nous devons agir sans attendre, a poursuivi l’exploitant. Car, aujourd’hui, la petite exploitation en colère a peur pour son avenir !"

La petite exploitation a ainsi fustigé la suppression des contrats aidés - "un nouveau coup qui nous est porté" -, tout en plaidant avec véhémence pour "un renouvellement total des dispositifs d’éducation à l’image. Alors que des opérations parallèles montées par des associations régionales sont un succès, nous regrettons qu’on ne s’appuie pas sur ces réussites et ce dynamisme pour moderniser notre approche".

Le rapporteur a ainsi appelé une présence renforcée et "au quotidien" du CNC sur le terrain. "Peut-on accepter une baisse unilatérale de la prime art et essai de 7%, l’année de l’annonce d’une réforme majeure ? Peut-on accepter que les engagements pris en mai 2016 pour garantir un meilleur accès aux copies ne soient pas appliqués ?" a interrogé Laurent Coët.

"Le déséquilibre profond de nos exploitations face à l’accès au films, l’attractivité de nos territoires, le questionnement de fond sur l’avenir de nos cinémas, la fracture numérique dans l’accès au haut débit, la situation économique fragile de nos exploitations, l’interrogation sur l’identité et la ligne éditoriale de nos lieux sont autant de sujets qui ont animé nos débats de ce matin." Et l’exploitant de conclure en appelant "à l’organisation des états généraux de la petite exploitation".

Débat avec les rapporteurs

Face aux vives réactions suscitées par le rapport de l’IGF et de l’IGAC, la FNCF avait décidé d’inviter trois de ses rédacteurs, François Hurard, Lucie Ruat et Rémi Tomaszewski, pour en présenter leurs contours. Présentation précédée d’un mot d’introduction de Christophe Tardieu, directeur général délégué du CNC, qui a rappelé que ce rapport était né des revendications formulées l’an passé par l’exploitation à l’occasion du Congrès, en particulier la création d’un IPN (Investissement permanent numérique).

Peu convaincue par les conclusions de ce rapport, la FNCF a diligenté une "étude complémentaire" sur cette question, confiée au cabinet Millot-Pernin. Objectif : évaluer les charges supplémentaires (surcoût) et les économies induites par la transition numérique, et déterminer l’incidence globale de la transition numérique par établissement, rapportée écran par écran et en euro constant. Présentée sur la scène du CID par Sylvain Perrocheau, cette "étude d’impact du déploiement du numérique en salles sur les équilibres économiques des sociétés d’exploitation cinématographique" a été réalisée auprès de 42 cinémas représentant 262 écrans, parmi lesquels 31% d’établissements comptabilisant de un à trois écrans, 29% de quatre à six écrans, 19 % de sept à dix écrans, et 21% plus de dix écrans. Le cabinet a ainsi comparé les données comptables des exercices "pré-transition numérique" (2007-2008) et "post-transition numérique" (2014-2015) de ces 42 cinémas.

Surcoût moyen de 8 700€ par an par écran

Il en ressort, en premier lieu, un surcoût global par écran de 8 700 € par an pour l’ensemble des établissements concernés. Dans le détail, 38 cinémas (soit 91% du panel) affichent un surcoût global par écran par an, trois enregistrent un résultat global négatif – c’est-à-dire une économie – et un affiche un résultat global par écran équilibré. En outre, 62% des établissements du panel reconnaissent une économie (directe ou indirecte) sur les frais de personnel. Ceux qui déclarent ne pas avoir réalisé d’économies sur les frais de personnels sont, en grande partie, issus de la petite exploitation.

Parallèlement, il apparaît que le surcoût global par écran décroît au fur et à mesure que le nombre de salles augmente. Ainsi, la moyenne du surcoût annuel lié à la transaction numérique se monte à 11 300 € pour les cinémas de un à trois écrans, à près de 10 000 € pour les complexes de quatre à six écrans, à 8 000 € pour les sites de sept à dix écrans, et à 4 000 € pour les multiplexes de plus de dix écrans.

Le cabinet Millot-Pernin a également constaté que près de 40% des postes en surcoût observés concernent la charge d’amortissement, 13% les dépenses d’électricité, 11% la maintenance, et 7% les consommables. L’étude relève, au passage, que près des 2/3 des économies induites par la transition numérique se concentrent sur les frais de personnel. Tout en soulignant que "les économies sur les frais de transport ne sont pas négligeables (1 000 € par écran par an, en moyenne), mais se réduisent en fonction de la taille croissante de l’établissement".

"Réelle inquiétude"

Sans surprise, l’essentiel des prises de parole de la salle se sont portées sur l’après-VPF, François Thirriot, président du SFTC et exploitant du Métropolis de Charleville-Mézières, faisant part d’une "réelle inquiétude".

Yves Sutter, directeur général de Cinéville, s’est quant à lui fait l’écho d’une large part de l’exploitation en pointant le décalage entre les analyses du rapport et ses conclusions. "Comment peut-on passer d’un constat où il est assez explicitement dit qu'il y a des charges nouvelles et supplémentaires dans l’exploitation, alors que la distribution a fait des économies significatives sur les frais techniques, et arriver à cette conclusion (la préconisation du non renouvellement des VPF, Ndlr) ? Aujourd’hui, je considère que le montant que les distributeurs versent pour acquérir des films relève de leur propre concurrence, tout comme le montant qu’ils dépensent en marketing." Et le dirigeant de Cinéville de s’adresser directement aux rédacteurs du rapport : "Est-ce que, par votre conclusion, vous indiquez que nous devons financer la concurrence entre distributeurs ?"

En réaction, François Huard a rappelé la "situation de fragilité" dans laquelle la distribution se trouve aujourd’hui, soulignant "des pertes de recettes sur d’autres marchés". Il a également insisté sur les fortes différences existant au sein même de l’exploitation. "Nous avons une situation contrastée. C’est bien pour cette raison là que nous ne pouvons pas avancer un dispositif unique qui s’appliquerait uniformément à toutes les salles, comme l’était le VPF."

Prenant le relais, Richard Patry et Cédric Aubry (président de la branche moyenne exploitation de la FNCF) se sont étonnés de la durée de vie du matériel de projection estimée par l’IGF et l’IGAC dans leur rapport, à savoir 10 à 15 ans. "Les exploitants équipés en 2009 remplacent déjà leur matériel", a assuré le président de la FNCF. "C’est une réalité", a appuyé Cédric Aubry.

"Pas d’après-VPF sans consensus"

Jocelyn Bouyssy, directeur général de CGR, a quant à lui annoncé réfléchir actuellement à remplacer ses premiers projecteurs, installés il y a près de dix ans. "Les 300 Série 1 que je possède aujourd’hui apportent une luminosité dans la salle de cinéma qui devient un scandale. Je prendrai donc moi-même, s'il le faut, la décision d’investir aux alentours de 15 M€ dans le groupe, simplement pour respecter mes spectateurs." Et l’exploitant de souligner : "on ne voit pas de solution, on ne nous propose rien".

Pour autant, Richard Patry s’est dit conscient que "il est très clair que nous n’obtiendrons pas d’après-VPF sans un consensus général, comme c’était le cas à la création. Il faut aussi que l’on se remette autour d’une table pour discuter avec les distributeurs". "Nous avons peur du lendemain et ce ne sont pas les réponses apportées aujourd’hui qui nous donnent de l’espoir", a rajouté Laurent Coët.

En conclusion, Christophe Tardieu s’est voulu rassurant. "Ce rapport, même s’il est terminé et définitif, n’est qu’une étape dans le travail du CNC et des pouvoirs publics. Il revient maintenant au CNC de s’en emparer pour réfléchir à la suite des opérations et, en discutant, de voir de quelle manière les constats qui ont pu y être effectués peuvent donner lieu à des suites concrètes. Car la situation n’est pas homogène entre les différentes salles, entre la petite, la moyenne et la grande exploitation. C’est maintenant le moment, sur le base des conclusions de ce rapport, de réfléchir aux manières, eu égard aux investissements numériques nouveaux que les plus fragiles des exploitants doivent consentir, dont nous pouvons les accompagner. C’est un travail auquel on peut s’atteler très rapidement. Ne vous imaginez pas que le dossier est clos. C’est au contraire le commencement d’un nouveau travail, entre le CNC et l’exploitation, pour voir de quelle manière il est possible de soutenir ceux qui pourraient souffrir de ces nouveaux investissements numériques."

"Ce que nous demandons, et nous le répétons, c’est que ce dossier reste sur la table, a réagi, favorablement, Richard Patry. Il y a une vraie urgence à réfléchir sur un après VPF. Nous avons fait une proposition d’IPN, mais nous ne sommes pas bornés, nous sommes capables de réfléchir à autre chose. L’important est que ce dossier reste ouvert, qu’il soit au centre des préoccupations du CNC dans les prochaines semaines et les prochains mois. Nous prenons donc acte, aujourd’hui, de ce début de discussion."

Kevin Bertrand et Sylvain Devarieux
© crédit photo : DR


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