Cinéma

Lumière MIFC 2017 - Un point sur la diffusion du cinéma classique en salle

Date de publication : 20/10/2017 - 08:31

La table ronde pratique de ce jeudi 19 octobre au matin, organisée par le MIFC en collaboration avec l’Afcae et l’ADRC, fut l’occasion d’une mise en perspective des différentes pratiques de distribution et d’exploitation des films classiques dans les salles.

Le rendez-vous, accueillant un panel d’exploitants et de distributeurs spécialisés, fut introduit par Thierry Frémaux. Le directeur général de l’Institut Lumière a tenu dans un premier temps à saluer le travail de tous, qui participe ainsi à ce qu’il a désigné comme une "victoire. Car le fait que le cinéma classique soit partout est une sorte de victoire".

La table ronde réunissait ainsi, côté exploitants, Christine Beauchemin-Flot, directrice et programmatrice du Select d’Anthony, Maxime Frérot, directeur des cinémas Actes Sud, Sylvain Pichon, directeur d’exploitation des Méliès de Saint-Étienne, Arnaud Tignon, responsable de la programmation des Écrans de Paris mais également distributeur chez Sophie Dulac Distribution, et côté distributeurs, Jean-Fabrice Janaudy, directeur adjoint de Les Acacias, et Vincent Paul-Boncour, fondateur et dirigeant de Carlotta.

Une vitalité paradoxale

Et c’est par la voix de ce dernier que s’ouvre cet échange, histoire d’illustrer par le témoignage les spécificités de la distribution de cinéma classique et son évolution dans l’Hexagone. Société spécialisée dans les rééditions salle et DVD, Carlotta fêtera en effet ses 20 ans d’existence en 2018. "Historiquement, la France est un berceau de la cinéphilie, a débuté le distributeur. Aussi, le fait que le cinéma de patrimoine n’ai jamais été aussi fort en salle depuis 20 ans est en fait le fruit d’un travail remarquable, exercé par tous depuis des décennies, formant ainsi un terreau très riche. Car on ne crée pas un public de cinéma classique du jour au lendemain."

Toutefois, et c’est une conséquence de la numérisation selon le dirigeant, cette offre de niche partage désormais les mêmes problématiques que les titres inédits. "C’est tout le paradoxe de cette incroyable vitalité : il y a aujourd’hui trop de films en salle !" Un phénomène auquel Carlotta a tenté de répondre voilà trois ans en limitant son line-up annuel à huit titres, une décision "non suivie d’effets" qui l’a finalement poussé à réétoffer son programme, qui compte "une quinzaine de sorties par an aujourd’hui".

Autre effet de la numérisation selon Jean-Fabrice Janaudy, la "question du choix des films. La transition numérique fait qu’un certain nombre de titres ne sont aujourd’hui plus accessibles à des distributeurs indépendants et spécialisés". Une conséquence de la flexibilité de diffusion des supports numériques qui permet à certains cataloguistes de distribuer en propre leurs films. L’occasion pour le programmateur de revenir sur l’importance du rôle des sociétés de distribution, notamment dans la promotion et l’éditorialisation des œuvres. "Si les distributeurs disparaissent pour ne laisser place qu’à de grandes bibliothèques à la demande, je crains que la diffusion du patrimoine en salle ne soit aussi menacée."

"Aspect événementiel"

Identifiant pour sa part des "périodes plus propices" à la programmation du cinéma classique, à savoir l’été et la fin de l'automne juste avant les fêtes, Arnaud Tignon a témoigné de la nécessité devenue vitale dans un contexte ultraconcurrentiel, d’un "aspect événementiel pour mettre en valeur les sorties de répertoire".

"La réussite d’une programmation classique ne se formule pas en termes économiques", a jugé pour sa part Sylvain Pichon, interrogé sur les résultats des films de patrimoine dans une grande ville de province. "C’est avant tout une réussite patrimoniale et de partage qui doit compter." Parmi les avantages de ce type de programmation, l'exploitant a salué la "possibilité aujourd’hui de choisir entre beaucoup de chefs-d’œuvre", en opposition aux nouveautés dont la qualité est inégale, mais également le fait, dans sa situation, de se retrouver "souvent seul ou avec très peu de concurrence. Ce qui est agréable et permet de programmer par plaisir, et non pas par défaut".

La passion et le désir

"Aujourd'hui, la programmation des films classiques relève plus de la passion et du désir, qui ne sont malheureusement pas toujours partagés par le public", a surenchéri Christine Beauchemin-Flot, dont le cinéma programme une soixantaine de titres de répertoire sur les 400 qu’il affiche à l’année. La position particulière du Select, en banlieue parisienne, oblige l’exploitante à se distinguer par "une recherche constante d’idées pour des séances événementielles, car nous faisons face à la concurrence des salles spécialisées emblématiques de la capitale". La dirigeante s’appuie donc sur un "petit noyau de fidèles", animé par une intervenante rémunérée et l’organisation de pots en fin de séances pour renforcer "la convivialité et le partage".

Toujours à propos de la programmation, Sylvain Pichon a cité son expérience autour de Deep End de Jerzy Skolimowski, ressorti en 2011 par Carlotta. L’exploitant a ainsi fait le pari de traiter le film, méconnu à l’époque car invisible en salle depuis 40 ans, "comme une vraie nouveauté", avec un nombre de séances et une présentation au public identique à un titre frais. "Depuis, tous les films classiques programmés chez nous de cette manière ont fonctionné. Aussi, le principal enjeu n’est pas tant une promotion médiatique, mais la transmission vertueuse de la passion du distributeur à l’exploitant, qui lui-même peut la retransmettre à son public. Il faut nous donner envie à nous, avant tout."

Pour sa part, Maxime Frérot a misé sur la "transversalité" quant à sa proposition classique. À Arles, l’exploitant s’est associé à la médiathèque locale autour d’un site dédié au patrimoine, auquel il a rallié, depuis deux ans, le ciné-club étudiant de la ville, De Films en Aiguille, pour une programmation concertée. "Cela a dynamisé le public de ces séances en créant un événement intéressant, ce qui s’est révélé pertinent sur le moyen terme."

Une fragmentation du public

Enfin, en abordant la question du public, Vincent Paul-Boncour a livré l’analyse d’une "fragmentation de la cinéphilie" ces dernières années, due non seulement à une "offre pléthorique" mais également à la concurrence des autres supports de diffusion. Ce qui aboutirait à des résultats en salle beaucoup moins valorisant, l'audience étant stable mais plus éparpillée.

De plus, le distributeur a insisté sur le besoin d’une éducation cinéphilique constante : "Quand nous sortons Buñuel, Clouzot, Naruze ou Kurosawa, les moins de 25 ans connaissent pas ou peu leurs œuvres. Tous les dix ans, il est nécessaire voire obligatoire de faire redécouvrir les grands auteurs, car rien n’est acquis." L’occasion pour Maxime Frérot de rebondir, en prenant pour exemple l’édition du livre : "Sans grands auteurs classiques, nous plongerions dans une pauvreté culturelle affligeante."

Sylvain Devarieux
© crédit photo : L'assassin habite au 21 d'Henri-Georges Clouzot


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