Cannes 2018 - Entretien avec Marie Monge, réalisatrice de "Joueurs"
La jeune cinéaste, qui a notamment réalisé le court métrage Marseille la nuit, nommé aux César en 2014, raconte la genèse de son premier long métrage, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs.
Comment êtes-vous venue au cinéma ?
Je viens d’une famille très cinéphile, nous regardions au minimum un film par jour. Très jeune, lorsque j’ai compris que ça pouvait être un métier, qu’il y avait des gens qui se réunissaient pour écrire des histoires, inventer des personnages, créer des costumes, des décors, j’ai su que je voulais faire ça de ma vie. J’ai commencé à tourner des films amateurs à l’adolescence, puis je me suis inscrite en licence de cinéma, à Paris. Parallèlement à cette formation théorique, j’ai cofondé avec David Pierret et Elsa Seignol, rencontrés à l’université, le collectif Novocaine au sein duquel j’ai réalisé mes premiers courts métrages. Ces films m’ont permis de rencontrer Sébastien Haguenauer qui a produit mon court Marseille la nuit.
Pouvez-vous présenter Joueurs en quelques mots ?
Joueurs raconte l’histoire d’une jeune fille (Ella) qui tombe folle amoureuse d’un joueur compulsif (Abel) et va plonger avec lui dans l’univers des cercles de jeux parisiens. C’est un film qui tient autant du récit d’initiation que de la tradition des films d’amants maudits.
Quel fut l'élément déclencheur de votre scénario ?
Le désir du film est né il y a longtemps, lorsqu’une nuit, un peu par hasard, j’ai accompagné un ami dans un cercle. J’ai immédiatement été fascinée par ce milieu parallèle et ses personnages hautement romanesques. Peu à peu, je me suis mise à faire des entretiens, avec des joueurs, des croupiers et, pendant des années, j’ai accumulé une matière documentaire qui a permis de convaincre mes producteurs de se lancer dans l’aventure. Julien Guetta, avec qui j’avais travaillé sur Marseille la nuit, m’a rejointe. Lorsque l’écriture du scénario a débuté, en 2014, c’était le crépuscule de ce monde, les derniers cercles étaient en train de fermer leurs portes. Aujourd’hui, alors que le film se termine, on annonce la réouverture de nouveaux établissements.
Par quel biais avez-vous rencontré vos producteurs ?
J’ai rencontré Michaël Gentile, qui a produit le film, grâce à mon ami David Pierret – lui même producteur associé – avec lequel j’ai tourné mes premiers courts métrages.
Comment avez-vous choisi vos acteurs et sur quelles bases ?
Je retrouve Karim Leklou, c’est notre troisième film ensemble, et j’espère qu’il y en aura beaucoup d’autres. J’ai toujours envie de tourner avec lui, c’est mon ami mais surtout un comédien fabuleux. Stacy Martin, je l’avais adorée dans Nymphomaniac, au point d’aller la rencontrer au Festival d’Angers. Elle nous a inspiré tout au long de l’écriture. Je la trouve infiniment gracieuse et émouvante. Elle me fait penser à Jean Seberg. Une fille très belle mais trop intelligente pour s’en soucier vraiment, qui a du chien, de la répartie, de la profondeur.
Pour le personnage d’Abel, je n’ai pas eu d’acteur en tête pendant longtemps, j’étais surtout inspirée par des gens que je connaissais. Tahar Rahim s’est absolument emparé du rôle. Il lui a offert son charme, son énergie, sa générosité. J’avais besoin qu’on aime Abel, qu’on comprenne ce qu’Ella lui trouve au point de tout abandonner pour lui. Tahar fait parti des gens qui éclairent une pièce quand ils y entrent. Et surtout, c’est un acteur qui prend des risques, qui accompagne son personnage jusqu’au bout, sans filet, qui a gardé la rage et l’appétit des débuts. C’est rare avec une carrière comme la sienne !
Aviez-vous des envies de mise en scène, des besoins précis ?
J’avais envie de filmer dans la rue, dans mon quartier, de capter le Paris que j’aime et que je connais. Je suis très excitée à l’idée de plonger la fiction, le romanesque, dans un territoire brut, quasi documentaire. Par ailleurs, les cercles ayant fermé, il fallait tout reconstituer ! C’était un vrai enjeu de décors, de casting, de costumes… La préparation du film a été longue et dense, il a fallu bien sûr réécrire en fonction du plan de travail, s’adapter aux conditions financières, renoncer à des choses, en transformer d’autres, mais j’ai eu des alliés à chaque étape ! Notamment les comédiens, qui sont ce qu’il y a de plus importants pour moi sur un film. J’ai besoin de passer du temps avec eux, de les connaître, que nous construisions ensemble le personnage. Ça peut passer par des essayages, des répétitions, des discussions, ou bien des livres, des films… Par exemple, nous sommes allés ensemble jouer au cercle Clichy, au casino d’Enghien, et même voir des courses de voitures en Belgique !
Quand et où s'est déroulé le tournage ?
Le tournage a duré huit semaines, de fin octobre jusqu’à Noël. Nous avons tourné principalement à Paris, dans le quartier de Strasbourg-Saint-Denis et des Grands-Boulevards, mais aussi à Aubervilliers, Versailles et Fleury-Mérogis. C’était un tournage très intense mais très fort.
Des difficultés particulières ?
C’est un film qui parcourt plusieurs univers différents, s’aventure dans des séquences d’action… Les ambitions étaient multiples et les conditions financières serrées. Et puis, c’était le début de l’hiver, nous tournions beaucoup de nuit, dans le froid… Il a fallu tout l’enthousiasme, l’investissement et la créativité de l’équipe et de la production pour y arriver.
À l'arrivée, le film est-il conforme à ce que vous aviez en tête au départ ?
Oui, il ressemble à l’envie première, même si bien sûr il s’est construit avec les surprises du tournage, les décisions de montage. Je crois en tout cas qu’il a le cœur et l’énergie de ceux qui l’ont inspiré. Et de ceux qui l’ont fait.
Qu'attendez vous de cette sélection à la Quinzaine des réalisateurs ?
C’est un honneur et une chance extraordinaires de faire partie de cette sélection ! La Quinzaine des réalisateurs, c’est mythique. De savoir que le film va faire partie de son histoire, c’est déjà énorme pour moi. J’espère qu’il saura y trouver sa place et son public.
Déjà venue à Cannes ?
Oui, mais jamais avec un film. Tout va être très différent.
Recueilli par Patrice Carré
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