Cannes 2018 - Entretien avec Agustín Toscano, réalisateur de "El motoarrebatador"
Après avoir réalisé avec Ezequiel Radusky Los dueños, présenté dans le cadre de la Semaine de la critique en 2013, Agustín Toscano revient, seul cette fois, à la Quinzaine des réalisateurs avec son 2e film.
Pouvez-vous présenter El motoarrebatador en quelques mots ?
Je pourrais dire que c'est l'histoire de deux personnes au travers desquelles les limites des préjugés sociaux, l'idée du bien et du mal, la dichotomie entre victimes et auteurs sont franchies. C'est un film qui navigue dans les complexités de l'esprit humain mais sur le ton de la comédie. Contextuellement, il s'agit aussi d'une radiographie de la périphérie de Tucumán, la ville la plus petite et la plus surpeuplée d'Argentine. La périphérie de la périphérie, pourrait-on dire avec une certaine ironie, parce que l'Argentine est la périphérie du monde réel.
Comment avez-vous eu l'idée principale du film ?
Je voulais travailler avec ces acteurs et j'ai eu l'idée d'écrire une histoire policière mais sans policiers. Le point de départ est le souvenir d'un choc survenu il y a plus de dix ans, lorsque ma mère a été agressée et traînée au sol pour lui arracher son portefeuille. Heureusement, ce fut sans séquelles majeures pour elle. J'avais fantasmé sur la vie de ce voleur et c'est comme ça que j'ai imaginé le reste du film. Je pensais que le voleur ne pouvait que se repentir. J'ai alors écrit cette histoire d'homme hanté par la culpabilité, tourmenté par ses actes, persécuté par son ombre et sa conscience.
Le développement du projet, l'écriture du scénario, le financement, la production ont pris beaucoup de temps ?
Pas moins de quatre ans. Le film met d'ailleurs en vedette les logos des nombreuses institutions et festivals qui nous ont soutenu et je leur en suis très reconnaissant. Mais il ne faut pas non plus négliger tous ceux qui ne nous ont pas aidé. Nous avons déposé de nombreux dossiers un peu partout et seul un petit nombre a reçu une réponse favorable. Certains fonds importants ont même refusé deux fois notre projet. Mais cela ne nous a jamais découragés. Peut-être qu'il fallait tout ce temps investi pour arriver à faire un bon film. La même chose était arrivée avec mon film précédent. Il n'avait reçu aucune aide. Pourtant nous y croyions toujours et, en fin de compte, il a été pris par la Semaine de la critique. Parfois, le temps qui s'écoule entre un refus et un autre finit par être utile pour continuer à réfléchir sur le projet, repérer ses lacunes, approfondir et mûrir les idées.
Quel est le budget final ?
Le film a coûté près de 10 millions de pesos argentins, soit environ 500 000 $.
Comment avez-vous trouvé et choisi vos acteurs ?
Les deux protagonistes principaux, Sergio Prina et Liliana Juarez, sont des amis très proches. C'est ma troupe, presque ma famille. Nous avons tous fréquenté l'Université nationale de Tucumán et la faculté de théâtre. Nous sommes des acteurs universitaires. C'est assez rare en Argentine. Je les ai mis en scène sur les planches et j'ai tellement aimé le duo qu'ils faisaient que je les ai pris dans mes films. Et je vais continuer.
Où et quand avez-vous tourné ?
En juin et juillet 2017, dans la province de Tucumán, au Nord de l'Argentine, dont je suis originaire. Nous avons tourné dans des quartiers périphériques, très marginaux, avec d'énormes décharges d'ordures, mais aussi des collines imposantes, plantées de citronniers, qui représentaient un véritable contrepoint dramatique. Je voulais montrer l'environnement de mon personnage comme s'il s'agissait d'un véritable paysage intérieur désertique.
Des difficultés particulières ?
Bien au contraire. Tout est allé dans le sens du film. Même la météo. Nous avons pu filmer des poursuites avec de vrais flics, tourner à l'intérieur de la prison, utiliser un supermarché entier comme décor. C'était merveilleux de recevoir l'appui de tant de gens, du gouvernement de Tucumán et de la municipalité. Très peu de films sont tournés dans cette région. Cela a généré une énergie très spéciale dont j'ai appris à en tirer profit.
Aviez-vous des désirs de mise en scène ou des besoins spécifiques ?
Je voulais sortir du naturalisme auquel j'étais habitué. Nous avons travaillé une certaine chorégraphie avec la caméra, en jouant avec les couleurs et les effets. Tout cela dans le but de générer des émotions. Il ne s'agissait pas d'accompagner simplement le personnage mais de donner un point de vue clair et précis avec la caméra.
En fin de compte, le film est-il similaire à celui que vous aviez en tête lorsque vous l'avez écrit ?
L'histoire est la même. Par contre, l'esthétique est à l'encontre de ce que j'avais en tête au début. C'est notre pari et je pense que c'est beaucoup mieux.
Cette sélection de la Quinzaine des réalisateurs a une signification particulière pour vous ?
Bien sûr. J'ai souvent vu les films que montre la Quinzaine. J'aime beaucoup ce qu'ils programment et les risques qu'ils prennent. Je crois que l'esprit de rébellion qui a donné naissance à la Quinzaine, il y a 50 ans, se reflète en quelque sorte dans les personnages de mon film. Il y a quelque chose d'irrationnel chez eux, un comportement "erroné" qui va à l'encontre de l'ordre social établi. Et c'est en un sens un trait distinctif, une marque commune entre la Quinzaine et mon film.
Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo :Vous avez déjà un compte
Accès 24 heures
Pour lire cet article et accéder à tous les contenus du site durant 24 heures
cliquez ici