Cinéma

Annecy 2018 – Comment le CNC a organisé la renaissance de l’écran d’épingles

Date de publication : 15/06/2018 - 08:30

Ce "Stradivarius de l'animation", selon une formule de Michael Dudok de Wit, a été récemment utilisé par Justine Vuylsteker, afin de réaliser Étreintes, présenté cette année dans la compétition court métrage.

Imaginé par Alexandre Alexïeff, fabriqué et breveté par Claire Parker entre 1931 et 1933, l’écran d’épingles est composé de centaines de milliers de petits tubes blancs maintenus par simple pression à l'intérieur d'un cadre. À travers ces tubes, des épingles noircies affleurent à la surface. En étant plus ou moins enfoncées, puis éclairées latéralement, elles permettent de créer des ombres portées sur la surface blanche de l'écran, produisant ainsi une gamme complète de dégradés. Chaque dessin est ensuite photographié image par image. Le plus grand écran comportait 1 140 000 épingles. Actuellement il n'en existe plus que deux en activité dans le monde, le NEC (Nouvel écran d’épingles) conservé à l’ONF et l’Épinette, dont le CNC a fait l’acquisition en 2012, tous les autres étant devenus des pièces de musée.

L’immense valeur patrimoniale de l’Épinette n’a pas été le seul motif de son achat par le CNC. Il n’était certes pas question de le laisser partir dans une collection privée, mais l’idée de base était de relancer son utilisation dans un but de transmission afin que de jeunes cinéastes puissent se réapproprier cette technique si particulière qui semblait vouée à l'oubli. Une fois son écran restauré, le Centre a commencé par créer un atelier de formation se déroulant durant trois jours à Annecy en juin 2015. Huit candidats avaient été sélectionnés, parmi lesquels Céline Devaux (César du meilleur court métrage 2016 pour Le repas dominical), Florence Miailhe, Justine Vuylsteker ou encore Pierre-Luc Granjon. Un atelier encadré par Michèle Lemieux, seule personne au monde à savoir utiliser et entretenir l’écran à l’époque.

"Tout le monde était sorti ravi de l’expérience mais parallèlement extrêmement frustré, précise Sophie Le Tétour, chargée d'études pour la valorisation des collections au CNC. Le Centre a donc décidé d’organiser une résidence sur son site de Bois d’Arcy, afin que chacun puisse approfondir la pratique." Chaque cinéaste va pouvoir ainsi travailler durant un mois sur l'écran, dans un petit studio créé pour l'occasion. Et le virus prend. Céline Devaux utilise ainsi l'écran pour quelques séquences de Gros chagrin, Lion d'or du court métrage à la dernière Mostra de Venise. Quant à la jeune Justine Vuylsteker, elle réalise son dernier court métrage Étreintes, entièrement sur l’Épinette, durant une résidence chez Ciclic Animation à Vendôme (photo). Produit par Raphaël Andrea Soatto pour Offshore, en coproduction avec l’ONF, le film a été sélectionné pour la compétition 2018.

"J’avais vu un peu par hasard, lors d’une exposition, le film d’Alexandre Alexeïeff, Une nuit sur le mont Chauve, réalisé sur l’écran d’épingles. Et cela avait été un choc esthétique, raconte Justine Vuylsteker. J’étais absolument subjuguée par les images que je voyais devant moi. Cela a donné une direction aux recherches que j’ai ensuite entreprises pendant mes études, sur la lumière, le noir et blanc et les nuances. J’ai travaillé avec du papier découpé et du sable parce que la perspective de le faire sur un écran d’épingles me semblait alors tout simplement inenvisageable." 

Une fois la rencontre avec l’Épinette opérée, c’est lors de sa résidence d’un mois à Bois d’Arcy que la réalisatrice va voir apparaître tous les ingrédients qui donneront naissance à Étreintes. "On ressent une vraie intimité lorsque l’on travaille sur l’écran, car on est seul avec lui. Il faut également engager tout le corps quand on le manipule, car on doit être à la fois devant et derrière. Et constamment me venaient des images du couple qui a donné naissance à cet outil."

Pendant l’écriture de son scénario, Justine Vuylsteker a dû se baser sur des souvenirs de son utilisation de l’écran, étant dans l’impossibilité de faire des tests. "J’avais notamment imaginé beaucoup de cadres de fenêtres. Mais quand j’ai débuté le tournage, je me suis aperçue que tirer une ligne droite sur un écran d’épingles est absolument infernal. Heureusement, l’image du rideau est arrivée. L’outil nous impose des contraintes, mais nous donne aussi des solutions."

C’est aussi Une nuit sur le mont Chauve qui a donné à Florence Miailhe l’envie de faire de l’animation. "J’ai toujours été attachée au fait de pouvoir animer directement sous la caméra. On connaît les images très colorées de mon travail, mais j’étais déjà allée vers le noir et blanc avec le sable. Or l’écran permet une richesse et une subtilité dans les gris qui est assez incroyable, grâce à la résistance des aiguilles. C’est un outil très paradoxal en fait, car même si les épingles sont très piquantes, on obtient une matière très douce. En outre, on fait de la 2D, mais la surface de l’écran présente tout de même un léger relief, puisque les pointes font une saillie de 5 mm. Pour moi, c’est un travail qui s’apparente avec celui que l’on pourrait faire avec un instrument de musique, qui réagit très différemment selon la façon dont on le touche."

Patrice Carré
© crédit photo : Justine Vuylsteker / Ciclic Animation


L’accès à cet article est réservé aux abonnés.

Vous avez déjà un compte


Accès 24 heures

Pour lire cet article et accéder à tous les contenus du site durant 24 heures
cliquez ici


Recevez nos alertes email gratuites

s'inscrire