Congrès FNCF 2018 - Richard Patry : "L’exploitation a besoin de développer un dynamisme permanent"
Alors que la grand-messe des exploitants tricolores ouvre ses portes aujourd’hui à Deauville, le président de la FNCF fait le point sur les dossiers chauds du moment, entre fréquentation estivale déficiente, après-VPF, réforme de l’art et essai et piratage.
La fréquentation en salle a beaucoup souffert cet été, avec des baisses prononcées en juin (-14,2%) et en juillet (-20,1%), mais aussi en août (-7,2%). Est-ce une source d’inquiétude ?
Objectivement, nous avions prévu que l’été ne serait pas bon, comme c’est le cas lors de toutes les années de Coupe du monde de football. Nous l’avions anticipé. Et, d’ailleurs, nous n’étions pas les seuls, nos amis distributeurs n’ayant pas programmé beaucoup de films. Ajoutez à cela la canicule et une Fête du cinéma qui n’est pas totalement à la hauteur de nos espérances pour lancer la saison, et vous obtenez ce type de dépression. Bien qu’elle nous semble conjoncturelle, cette chute, que nous n’attendions tout de même pas à un tel niveau, pose un autre problème. La fréquentation est comme un train : quand elle est stoppée, il faut énormément d’énergie pour la remettre en marche.
Excepté 2011 (217,2 millions de tickets) et 2016 (213,2 millions de billets, année biaisée par la première prise en compte des entrées réalisées dans les départements d’Outre-mer avec 3,6 millions de spectateurs recensés), la fréquentation annuelle n’est pas parvenue à atteindre les 210 millions d’entrées depuis 50 ans, et ce malgré une augmentations des investissements et du nombre d’écrans du parc français. Comment l’expliquez-vous ?
Il y a effectivement un plafond de verre que nous n’arrivons pas à dépasser, et n’avons pas d’explication automatique. Mais il est sûr par exemple que le piratage joue un rôle. Ce qui est clair, c’est que chaque branche du secteur – petite, moyenne et grande exploitations – investit pour maintenir la fréquentation. Et, malgré ces investissements, nous n’arrivons pas à franchir ce cap des 210 à 215 millions d’entrées. Je rêve de monter à 220 ou 230 millions. Avec nos investissements, nous devrions y arriver. Aujourd’hui, nous avons besoin de développer un dynamisme permanent, non pas pour accroitre la fréquentation, mais pour la maintenir. J’aimerais que tous les autres acteurs de la filière – distributeurs, producteurs, industries techniques… – se rendent bien compte de cela. Prétendre que l’exploitation ne jouerait pas son rôle dans le maintien de la filière est faux et blessant. Et si nous n’avions rien fait, où en serions-nous ? Au niveau de nos voisins européens ?
Lors de votre dernier Congrès, l’après-VPF avait cristallisé la majeure partie des inquiétudes de la profession. Quelles sont les pistes envisagées, notamment au sein de l’Observatoire sur la situation économique des salles de la petite et de la moyenne exploitations, dans lequel vous siégez, pour pallier à la fin des contributions numériques ?
Pour l’instant, l’Observatoire travaille sur deux questions principales : que peut-on considérer comme un délai d’obsolescence de vétusté du matériel ? Et sa durée de vie sera-t-elle plus longue ou plus courte que prévu ? Nous commençons à percevoir que le matériel aura certainement une longévité un peu plus importante que ce que nous avions initialement envisagé, et cette durée de vie reste très liée à la capacité qu’ont les salles à l’entretenir. Le coût et le financement de la maintenance sont cruciaux dans l’équation. Car le moindre problème engendre des dépenses très importantes. Quel soutien financier peut-on mobiliser le jour où un gros souci intervient ? Peut-on mettre en place des systèmes de mutualisation, de caisse préventive ? Nous ne disons pas qu’il va y avoir une date fatidique qui va s’imposer à tous. Seulement, toutes les études sur cette problématique sont faites dans un monde où il y a des VPF. Mais le monde en question va évoluer, et ce, sans la contribution des distributeurs. Donc, bien sûr, il y aura des problèmes. Plus l’on va avancer, plus l’on va en constater. Et nous ne voulons pas – et ne pouvons pas – attendre qu’ils arrivent pour les régler. Il faut commencer à anticiper les choses dès aujourd’hui, peut-être mettre de l’argent de côté ou en trouver ailleurs. Bref, définir des solutions pérennes pour les 10 à 15 ans à venir, afin d’être prêts à mobiliser des moyens, financiers ou autres, le jour où cela sera nécessaire. Le CNC doit assumer sa décision d’exclure la distribution de l’équation et prendre ses responsabilités pour préparer l’avenir.
Quelle partie du parc a été amortie à ce jour ?
C’est très compliqué à savoir. Les seules données disponibles sont celles de Cinenum. Mais nous sommes assez proches de la fin. Signalons toutefois que nos inquiétudes sur les sujets corolaires à l’après-VPF, à savoir des problématiques de programmation, d’explosion de nombre de films et de gratuité d’accès aux écrans, restent d’actualité.
Sentez-vous le CNC attentif à ces problématiques ?
Pas assez à notre avis. Le CNC devrait être beaucoup plus attentif à ces problématiques.
La réforme art et essai a divisé une partie du secteur, plusieurs membres de la moyenne exploitation craignant notamment un déclassement et une baisse des subventions. Cette inquiétude est-elle toujours prégnante ? Faut-il s’alarmer du nouvel écrêtement qui a été mis en place cette année par le CNC en raison du dépassement – pour la 2e année consécutive – de l’enveloppe art et essai ?
L’inquiétude est réelle, particulièrement pour la petite et la moyenne exploitations, qui sont les plus impactées par le nouveau critère du nombre de séances (15 % dans les catégories D et E, 20% en C, Ndlr). Je pense, en tout cas, qu’il faut attendre que le système prenne sa pleine mesure. Il y a eu un écrêtement financier, c’est vrai, et ce n’est jamais bon. Néanmoins, nous avons aussi connu cette année l’ouverture de la valorisation des labels et des aides pour les films peu diffusés. C’est un problème plus philosophique qui dépasse la réforme actuelle. Ce système est fait pour inciter, son succès dépend donc du caractère incitatif qu’il crée. Or, si le CNC annonce une enveloppe fermée, l’incitation perd de sa force. Après, reste à savoir quelles seront réellement les ressources que le CNC pourra y consacrer. Et sa capacité à aller chercher d’autres sources de financement, notamment chez les nouveaux diffuseurs. C’est là où nous devons rester solidaires. Il est primordial que le Centre trouve des solutions de financement pérennes et dynamiques pour les années à venir.
Vous consacrez la table ronde de ce 73e Congrès au sujet, vaste s’il en est, du piratage. Ce choix peut paraître étonnant, puisque la fenêtre salle est aujourd’hui la moins impactée de la filière…
Les films français ne sont pas piratés en salle, ou quasiment jamais. Par contre, plusieurs titres américains, dont certains sortis cet été justement, sont faciles d’accès sur des sites pirates. Mais, soit, admettons que la salle ne soit pas du tout impactée – ce qui n’est pas le cas, comme je l’ai évoqué en début d’interview. Personne ne niera que Canal+ est aujourd’hui très touchée par le phénomène. Et la santé de Canal+ est cruciale pour notre secteur. Nous avons besoin qu’il soit capable de financer les films que nous passerons demain sur nos écrans. C’est l’intérêt général de la filière, dans sa globalité, qui prime. Donc je ne suis pas d’accord avec vous : les salles de cinéma sont réellement impactées par le piratage, directement et indirectement.
Propos recueillis par Kevin Bertrand et Sylvain Devarieux
© crédit photo : Mano pour LFFVous avez déjà un compte
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