Congrès FNCF 2018 - Tribune : le Scare alerte sur l'accès aux films
Alors que s'ouvre aujourd'hui le 73e Congrès de la FNCF à Deauville, le syndicat s'alarme des difficultés accrues d'accès aux films pour les salles art et essai, déplorant une "tendance à la multiplication de copies dans une même ville [qui] ne cesse de s’accentuer" et "des entrées de plus en plus morcelées".
"La diversité peut-elle résister à l’asphyxie des salles art et essai en situation de concurrence avec des circuits ?
Le 73e Congrès de la FNCF s’ouvre avec des débats cruciaux pour notre avenir, notamment celui des moyens à trouver pour permettre d’aborder le virage de l’après-VPF. Nous souhaitons aussi alerter sur un autre enjeu, fondamental pour nos salles : celui de l’accès aux œuvres. Alors que l’été fut particulièrement meurtrier pour la fréquentation de l’ensemble du parc de salles, qui a notamment souffert de la chaleur mais aussi de la faiblesse de l’offre de films, force est de constater qu’il s’agit pour le secteur art et essai d’une situation malheureusement récurrente. Après cette traversée du désert, la rentrée s’avère cette année particulièrement sévère pour nos salles et les tensions plus affirmées sur les questions de programmation. Le nombre de médiations sollicitées en cette rentrée par des salles indépendantes en témoigne.
Nos salles particulièrement exposées à la concurrence, celles qui sont pourtant bien souvent les fers de lance de la carrière de très nombreux films d’auteurs se retrouvent prises en étau par plusieurs phénomènes :
- La multiplication des lieux de diffusion et d’acteurs nationaux dans une agglomération, couplée à un appétit grandissant des circuits sur une typologie de films d’auteurs de plus en plus large (films art et essai porteurs mais aussi "moyennement porteurs"), d’une part, et une incapacité à faire des choix, d’autre part, conduit à une multiplication des copies et des entrées de plus en plus morcelées, néfaste aux œuvres. Cette tendance à la multiplication de copies dans une même ville, dénoncée de longue date, ne cesse de s’accentuer. Les tandems ou tridems d’hier sont devenus des quatuors et quintets sans que personne n’en assume la responsabilité. Si certains d’entre nous ont le courage de dénoncer ces pratiques par leur refus de sortir un film lorsqu’ils jugent qu’il va être surexploité, au-delà du courage, il s’agit d’un geste plus que symbolique qui les privera véritablement au mieux du succès du film et, au pire, de sorties futures en dégradant leurs relations avec leurs partenaires les plus proches. De même, alors que des salles art et essai confirment de meilleurs résultats et une meilleure tenue de films "fortement art et essai" et "moyennement porteurs", il arrive même aujourd’hui que certains de ces films, dès lors qu’ils ont acquis une notoriété, soient proposés en priorité à des salles de type multiplexes, plutôt qu’à la salle qui lui offrira naturellement la rencontre avec son public, sur la longueur. Nous nous interrogeons sur le sens de ces choix.
- D’un autre côté, nos salles, qui revendiquent une liberté de choix de programmation, n’ont plus accès à des films non recommandés art et essai de qualité qui ne doivent pas demeurer le privilège des circuits. Dans ces cas, il s’agit bel et bien d’exclusivité donnée à certaines salles de circuit et de distorsions de concurrence.
- Soulignons aussi la mainmise exercée par les circuits usant de leur position dominante dans la manière dont sont utilisés les "labels" comme arme d’exclusivité.
Comment peut-on refuser un film non recommandé à une salle fortement art et essai sous ce prétexte, alors qu’il est tristement récurrent d’exposer chaque semaine des films recommandés à un, voire deux circuits concurrents, parfois en exclusivité ou en priorité ? Soulignons également que les films recommandés art et essai ont perdu 15,4 % entre 2016 et 2017, s'élevant à 40 millions d'entrées, son plus bas niveau de la décennie.
En décembre dernier, nous avions alerté les pouvoirs publics et la profession sur la situation économique de nos salles, confrontées à une concurrence de plus en plus massive en raison d’implantations toujours soutenues sur des territoires de plus en plus restreints, et dont un rapport de l’INSEE avait mis en avant la moindre rentabilité. Nous mettons encore une fois en garde concernant la dangereuse dégradation des conditions de programmation, responsable de la situation de précarisation économique d’établissements qui assurent pourtant vaillamment un rôle essentiel dans l’action culturelle, qui exposent toute la diversité des films, jusqu'aux films à moins de dix copies nationales, qui irriguent et entraînent la diffusion des œuvres sur toute la profondeur du territoire.
Nous, programmateurs indépendants et art et essai, tirons la sonnette d’alarme depuis de nombreux mois sur la situation parisienne et la difficulté d’accès aux copies des salles indépendantes. Ces problèmes se propagent aujourd’hui dans les villes en régions et gangrènent toute la France.
Ces préoccupations s’inscrivent dans un contexte particulier pour notre secteur :
- Le Congrès de la FNCF devrait remettre cette année au centre des débats la question de l'après-VPF. Il faut impérativement, il en va de la survie économique de nombreuses salles, trouver les moyens à très court terme de les accompagner pour faire face aux nouvelles charges financières liées à la maintenance, à l’entretien et au renouvellement partiel ou total de nos équipements numériques.
- Alors même qu’un nouvel accord sur la chronologie des médias s’apprête à être signé par les différentes organisations professionnelles du secteur, il convient de rappeler que, si le Scare privilégie la mise en place de conditions favorisant les acteurs contribuant à la diversité de la création, il a voté, au Conseil fédéral de la FNCF, contre la signature de cet accord. Il a ainsi souligné que les efforts consentis sur l’élargissement des dérogations – permettant à 67% des films d’avoir une sortie vidéo anticipée à trois mois au lieu de quatre – sont supportés par les salles art et essai et les films de la diversité, et demandé des mesures contre le piratage.
- Le Lion d’or a été remis à Venise à une œuvre qui ne sera exploitée que sur un seul canal privé, et donc réservée aux abonnés d’une seule société, nous revendiquons haut et fort des pratiques à contre-courant d'un système purement économique et consumériste, soi-disant "moderne". Nous dénonçons ainsi la rotation et l’accélération rendant obsolète les œuvres de plus en plus rapidement. Nous défendons des pratiques qui construisent du lien, des pratiques qui favorisent la sortie et la rencontre dans nos lieux plutôt que le repli sur soi et la vision individualiste des films chez soi. Nous essayons de créer du désir et non de l’addiction.
Nous dénonçons le glissement vers la vulgarisation des métiers et l’automatisation des plans de sortie source d’uniformisation. Nous revendiquons notre expertise et notre altérité aussi et nous déplorons toute tendance visant à l’exclusivité qui crée de l’exclusion. Encore faut-il nous en laisser les moyens. Nous avons besoin d’être soutenus dans cette démarche".
Le conseil d’administration du Scare :
Christine Beauchemin-Flot, Le Select d'Antony ; Stéphane Libs, Cinémas Star de Strasbourg
Frédérique Duperret, Comoedia de Lyon ; Sylvain Clochard, Le Concorde de Nantes
Yves Méjean, Le Dôme d'Albertville, Chanteclerc d'Ugines ; Pascal Robin, Les 400 Coups de Châtellerault
Martin Bidou, Louxor, Nouvel Odéon à Paris, Astrée et Forum à Chambéry, Le Sémaphore à Nîmes,
Jérémy Breta, American Cosmograph de Toulouse ; Paul-Marie Claret, Méliès de Saint-Étienne,
Olivia Reggiani, Cinéparadis de Chartres, Ermitage et CinéParadis à Fontainebleau ; Boris Thomas, Ciné Saint-Leu d'Amiens,
Caroline Tronquoy, Théâtre André-Malraux de Chevilly-Larue, Jean-Marie Virginie, cinéma Ventura d'Athis-Mons et Agnès Varda de Juvisy.
Président d’honneur : Michel Humbert
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