Congrès FNCF 2018 - Vives inquiétudes au Forum de discussion
Entre une baisse de fréquentation appuyée, des solutions à l’après-VPF qui se font attendre et une crainte grandissante face aux nouveaux opérateurs numériques, le Forum de discussion de la 73e grand-messe de l’exploitation a été l’occasion pour les trois branches du secteur d’alerter sur leur situation, tout en interpellant vivement le CNC.
Le Forum de discussion promettait d’être agité, et il le fut. Entre une fréquentation estivale en berne, des avancées plus que limitées sur l’après-VPF, des relations de plus en plus tendues avec le CNC ou encore une précarisation récurrente de certaines exploitations, le premier temps d’échanges de ce 73e Congrès de la FNCF a permis aux différentes strates du secteur d’exprimer leurs nombreux sujets de mécontentements et d’inquiétude.
À commencer par la branche grande exploitation qui s’est dite, via sa rapporteuse Laurence Meunier, "très inquiète et pessimiste quant aux résultats des huit premiers mois" de l’exercice 2018, avec une affluence relevée à -8%, contre -4,5% pour la fréquentation nationale. "Encore une fois, c’est la grande exploitation qui est la plus impactée par cette baisse", a jugé l’exploitante. Les causes, tant conjoncturelles que structurelles, "déstabilisent fortement l’équilibre financier de nos établissements, pouvant même à moyen terme remettre en cause les investissements nécessaires à leur attractivité".
La rapporteuse a ensuite évoqué l’épineux dossier de l’après-VPF, et plus précisément son absence de l’Observatoire numérique de la petite et moyenne exploitation. "Nous comprenons et acceptons que les cinémas les plus fragiles soient plus aidés par les pouvoirs publics, mais pas d’avoir été exclus par le CNC de la réflexion sur le sujet." La branche a également regretté que le Centre ait suivi les recommandations du rapport de l’IGF et l’Igac préconisant d’exclure les distributeurs des réflexions sur l’après-VPF, provoquant ainsi un "immense gâchis dont on voit mal comment se sortir. Consacrer entre 10% et 15% des sommes importantes économisées par les distributeurs permettrait d’obtenir une enveloppe d’environ 10 M€ par an, indispensable à la maintenance et au renouvellement de notre matériel", a estimé Laurence Meunier. La grande exploitation a de plus déploré l’absence de proposition d’alternative financière du CNC sur ce dossier, attendant du Centre qu’il soit "plus performant lors des 12 prochains mois qu’il ne l’a été sur les 12 derniers".
La branche s’est, par ailleurs, exprimée sur les engagements de programmation, qui tendent selon elle vers "une technocratisation de la programmation". Tout en demandant au CNC, alors que leur renouvellement approche, "de ne pas rechercher la surenchère lors de la négociation de ses engagements". Et Laurence Meunier de pointer du doigt, au passage, les producteurs. "Plutôt que de contraindre les salles à diffuser un nombre de films toujours plus important, le CNC devrait réguler la production française. L’accroissement constant du nombre de films français est l'une des causes des engagements, qu’ils ne peuvent que partiellement résoudre. Nous déplorons d’autant plus cette augmentation que leur qualité n’évolue pas en proportion."
La grande exploitation s’est en outre inquiétée de l’arrivée de "nouveaux opérateurs audiovisuels, qui font évoluer les pratiques d’accès aux films, particulièrement chez les jeunes", tout en déplorant à nouveau "l’inaction des pouvoirs publics pour lutter contre le piratage". Et Laurence Meunier de conclure : "la baisse de fréquentation participe à un climat morose, et pour le CNC c’est le moment de prouver à l’exploitation qu’il n’a pas qu’un simple rôle administratif et de contrôle, mais qu’il comprend ses problèmes et qu’il est à ses côtés. Nous ne l’avons pas ressenti l’année écoulée, et nous espérons faire un constat plus positif au prochain Congrès".
La moyenne exploitation en cinq problèmes
Prenant le relais, Marie-Laure Couderc, rapporteuse de la moyenne exploitation, a d’emblée indiqué que sa branche "est aujourd’hui confronté à cinq problèmes : la baisse de la fréquentation, la baisse du chiffre d’affaires, une hausse de nos coûts de maintenance, le nécessaire financement du renouvellement de nos matériels numériques et la fin des VPF". Pour le premier, la rapporteuse a annoncé des baisses allant de 4% à 12 % pour ses membres. Si la moyenne exploitation y trouve des explications conjoncturelles, telle la météo, la Coupe du monde de football et l’absence de films porteurs, elle évoque aussi une raison plus structurelle : "l’attractivité des films. L’ensemble de la filière doit s’interroger sur la non-qualité du film au profit du nombre, qui décourage le public et crée une confusion et une invisibilité des sorties des films".
L’exploitante a ensuite évoqué les difficultés financières rencontrées par plusieurs membres de la branche, qui ont pour certains dû avoir "recours à des lignes de crédit de trésorerie" cet été. Et Marie-Laure Couderc d’interroger : "Comment, dans ce contexte, financer le renouvellement de notre matériel numérique ?" La branche s’est d’ailleurs dite satisfaite de la mise en place de l’Observatoire numérique, tout en espérant que, "dans les tous prochains mois, un financement pérenne nous accompagnera".
À l’image de la grande exploitation, la moyenne s’est également insurgée contre Netflix, tant sur son absence de contribution au financement du cinéma que sur la sélection récurrente de ses productions et acquisitions dans les principaux festivals mondiaux. Avant d’enchaîner sur l’art et essai, sujet d’inquiétude pour ses membres depuis la réforme du classement et l’instauration de seuils planchers pour les salles des catégories C, D et E. "La branche revendique à nouveau une bienveillance des commissions et de la présidente pour le classement des salles", a indiqué la rapporteuse.
Dossier récurrent pour la moyenne exploitation, les "séances illicites" ont une nouvelle fois été pointées du doigt. "Nous sommes de plus en plus inquiets de l’ubérisation de la diffusion de films sur grand écran", a commenté la rapporteuse de la branche, qui demande que "toute diffusion se fasse dans un cadre régulé et équilibré". "Nous sommes inquiets pour nos salles, nous sommes inquiets pour nos films, nous sommes inquiets pour nos matériels numériques, nous sommes inquiets pour nos équilibres financiers. Écoutez-nous, entendez-nous".
La petite exploitation alerte sur l’accès aux films
Clôturant les rapports de branche, Laurent Coët a commencé par évoquer l’intervention menée l’an dernier par la petite exploitation, où elle se livrait à un exercice d’anticipation afin de "relayer la peur de nos collègues face à l’immobilité ambiante sur des dossiers majeurs qui craignaient pour leur survie", a souligné le rapporteur.
Un an plus tard, l’exploitant assure que "les constats que nous ressentions sont confirmés par une enquête menée par l’Afcae", réalisée dans le cadre de l’Observatoire numérique de la petite et la moyenne exploitations. Il en ressort, sur un échantillon de 558 cinémas regroupant 1 082 écrans, que 58% des écrans ont connu "des pannes et des difficultés à un degré quelconque. Pire, 90% des monoécrans déclarent avoir rencontré une ou plusieurs difficultés sur leur projecteur et sur leur serveur", a certifié Laurent Coët. Aussi, la branche juge "qu’il est aujourd’hui nécessaire que l’Observatoire propose un mécanisme de financement durable, pour que nous puissions être en capacité de maintenir nos matériels en état de marche et faire face à l’urgence sans siphonner notre compte de soutien". Et ce afin d’éviter "les écrans noirs dans nos salles de cinéma".
Un dossier symptomatique des difficultés actuelles de la petite exploitation, aujourd’hui "prise à la gorge. Malgré nos efforts de gestionnaires, nous n’avons pas la possibilité de dégager des marges suffisantes pour notre développement", a déploré Laurent Coêt, qui a pointé pêle-mêle "l'augmentation des dépenses de fluide, des frais de personnels, l’achat des affiches à des prix non négociables et du matériel à des prix non négociables et leur coût de transport exorbitants".
Plus largement, "la part des coûts du numérique dans nos comptes d’exploitation est en explosion : frais de maintenance, abonnements aux réseaux de contrôle, remplacement des pièces détachées pour la projection ou de matériel de billetterie, extensions de garantie…". Une problématique d’autant plus prégnante que "la chute vertigineuse de fréquentation estivale a fragilisé encore plus des exploitations déjà précaires", estime le rapporteur.
Pour autant, c’est un autre sujet, de plus en plus récurrent pour la petite exploitation, qui semble préoccuper encore davantage la branche : l’accès aux films. "Les exigences de programmation des distributeurs, la pression que l’on doit subir de façon hebdomadaire le lundi matin, le flicage excessif qui met à mal la diversité tant souhaitée par nos spectateurs sont autant d’ingérences dans notre métier que nous ne pouvons plus supporter". D’autant qu’à "la régulation par les contributions numériques se substitue celle par un nombre excessif de séances imposées". Et l’exploitant de taper du poing sur la table : "Il est maintenant primordial de faire sauter le verrou de la 5e semaine !" L’occasion pour le rapporteur de rappeler le "rôle essentiel" joué par l’ADRC dans "l’accompagnement et le soutien de la diffusion" des œuvres auprès des membres de la petite exploitation. D’où la nécessité qu’une "réflexion s’engage sur l’avenir de cette structure historique dans l’évolution de ses missions".
En conclusion, Laurent Coët a souhaité jeter les bases d’une réflexion chère à la branche : celle de l’avenir des monoécrans, qui constituent plus de la moitié du parc de salles français. "À une période charnière de leur existence, avec un changement majeur des habitudes du public, il nous semble opportun de nous questionner collectivement en mettant en place un groupe de travail spécifique autour des enjeux et de l’avenir. Ce groupe de travail qui peut sembler être un petit pas pour vous, serait au contraire un grand pas pour la petite exploitation." Un rapport qui a semblé faire écho aux préoccupations de nombreux exploitants présents dans la salle, qui l’ont accueilli par une salve d’applaudissements.
"Débloquer le verrou"
Introduisant l’ouverture des débats aux échanges avec la salle, Richard Patry a justement précisé que cette question de la cinquième semaine d’exploitation serait à l’ordre du jour du prochain comité de concertation numérique. Avec la promesse faite de "sortir très rapidement une recommandation pour débloquer ce verrou", selon le président de la FNCF. Le sentiment d’alerte autour de l’accès au film a, en effet, été rapidement partagé par les accrédités comme un sujet majeur, et majoritairement chez les membres de la petite exploitation, qui ont donné de la voix lors des échanges avec la fédération. "C’est le principal problème aujourd’hui", a ainsi appuyé Francis Fourneau, président de la branche en question, qui réservera prochainement une réunion au sujet. "Dans une nouvelle ère où il n’y a plus de VPF, il est de plus en plus difficile de travailler."
Le curseur des débats s’est ensuite déplacé sur un corollaire de l’accès aux films, à savoir la concurrence exacerbée entre exploitants indépendants et circuits des grandes et moyennes agglomérations. "La concurrence avec les grands groupes sur ces territoires tend à se durcir", a témoigné Sylvain Clochard, vice-président du Scare et exploitant du Concorde de Nantes. "Les copies se démultiplient à outrance dans les grandes villes. La stratégie d’ouverture renforcée des grands circuits sur le cinéma art et essai, et qui ne s’arrête pas seulement aux titres porteurs, assèche le marché au détriment de la petite et de la moyenne exploitation. Nous sommes, depuis deux ou trois ans, faceà une vraie logique de prédation de ces grands groupes sur les exploitations indépendantes."
L’occasion pour les pouvoirs publics, par la voix de Xavier Lardoux, directeur du Cinéma au CNC, de préciser de "réelles avancées" sur l’application des engagements de diffusion. "Parce que, tout simplement, nous avons enfin cette recommandation a priori des films art et essai. Depuis le 1er juillet, le dispositif fonctionne et, par conséquent, les engagements de diffusion sont totalement applicables et maintenant contrôlés." Et Stéphane Libs, président du Scare et exploitant des cinémas Star de Strasbourg, de percevoir toutefois un effet "assez pervers" desdits engagements : "Les films qui ne sont pas recommandés art et essai ne sont désormais plus proposés aux salles classées, alors qu’elles en ont aussi besoin."
Retrouver des marges
"La petite exploitation est en train de crever doucement", a réagi pour sa part Olivier Aubry, exploitant du Méliès de Bayeux, fléchant là le débat sur les problématiques de trésorerie de plus en plus récurrentes dans le secteur. Et cela surtout dans une période avare en fréquentation. "Devons-nous réactiver des dispositifs de relais de trésorerie avec des organismes comme l’Ifcic ?", s’est interrogé, en réponse, Richard Patry. "Cela reste un financement à rembourser, lui a répondu Michel Friedmann, dirigeant du circuit Grand Ecran. Ce que nous voulons, surtout, c’est retrouver nos marges." "Les marges ne se retrouvent que par un assouplissement de programmation", a réagi Yves Sutter, directeur général de Cinéville.
Les échanges furent également vifs autour des difficultés de programmation rencontrées, notamment, par les exploitants de monoécran. "Certains distributeurs insistent pour passer des films à 14 séances par semaine en deuxième semaine, quand bien même certaines étaient vides la semaine précédente", a témoigné Olivier Aubry. "Or, à moins de 30 spectateurs par séance, il faut comprendre que l’on perd de l’argent."
Comme l’an dernier, les problématiques de concurrence des projections non commerciales furent abordées à la suite de plusieurs témoignages. "Toute projection de ce type passe par les Drac, or elles font un peu n’importe quoi, a ainsi jugé Michel Friedmann. Ces dernières doivent être plus vigilantes." "Nous avons certainement besoin de renouveler la régulation sur le non commercial", a reconnu Richard Patry.
Le sujet des CDACi fut ensuite posé sur la table, et ce afin de critiquer certaines décisions prises à des fins purement politiques sur des "territoires peu pertinents" en termes de concurrence, mais également dénoncer le seuil de 300 fauteuils en-deçà duquel une décision n’est pas requise. "Nous avons déjà demandé de délocaliser les CDAC pour diminuer l’influence des politiques sur les commissions", a répondu Richard Patry. Ce dernier a, par ailleurs, jugé "compliqué" d’imposer une commission "dès le premier fauteuil", mais a reconnu qu’il pouvait être "pertinent" de remettre en question le seuil des 300 sièges.
Un déficit d’image
Face à la concurrence accrue des grands services de SVàD, et dans un contexte qui voit leurs stratégies de production prolifiques désormais récompensées par les grands festivals internationaux, les exploitants se sont ensuite interrogés sur leur image auprès du grand public. "Nous souffrons d’un déficit d’image vis-à-vis de services comme Netflix, a remarqué Stéphane Libs. Il nous faut travailler sur de nouvelles campagnes, dans les médias, pour montrer qui on est et ce que l’on fait". "Nous sommes en train de perdre la bataille de la communication avec Netflix", a renchéri Richard Patry. "D’autant que les déclaration de cet opérateur sont iniques, alors qu’il prône une exclusion et une exclusivité des contenus", a jugé le président de la fédération, qualifiant le Lion d’or de Venise attribué à Roma de "coup d’épée dans le dos".
Abordant le sujet de l’après-VPF, Raphaël Maestro, président de l’association Cina et du réseau Ciné Passion en Périgord, est pour sa part revenu sur l’enquête menée par l’Afcae pour l’Observatoire numérique, rappelant "qu'une salle sur deux rencontre des pannes ou des problèmes" avec son matériel numérique. "Pour toutes les salles, cela a une incidence financière d’environ 1 500 € par an, en dehors des maintenances et des consommables. Ils s’ajoutent aux 30% de frais d’exploitation supplémentaires absorbés par les salles, notamment de la petite exploitation. Et ce, pour le même nombre de spectateurs."
Et l’exploitant d’élargir le débat. "Il faut aller au-delà de tous ces rapports et sujets qui s’entrechoquent. Nos spectateurs ne désertent pas mais vont moins souvent nous voir à cause des nouveaux canaux pour consommer des images. Et ces derniers vont devenir historiques, car ils représentent une nouvelle forme d’usages qui entre totalement dans les mœurs de la population occidentale. Nous ne pourrons pas lutter contre cela. Il faut être plus proactif. Nous devons réinventer le modèle, et ce, en partant du monoécran. Ce dernier, qui représente la moitié des établissements en France, est un reflet des politiques culturelles depuis des décennies". Raphaël Maestro propose ainsi de "former un groupe, au sein duquel la fédération a toute sa place, mais également l’ADRC", afin de s’attaquer à ces problématiques. "Il va falloir former les élus, former les exploitants."
La question de l’offre fut également à plusieurs reprises débattue. L’occasion pour certains accrédités de dénoncer une production française parfois peu qualitative, expliquant en partie la chute de fréquentation estivale. Une "idée préconçue" selon Christophe Courtois, directeur de la distribution de SND. "Quand on analyse la fréquentation sur les huit premiers mois de l’année, on constate que les films français ont progressé de 4% en entrées, là où les films américains ont perdu 9,6%."
Et le distributeur de réorienter la discussion sur le nombre important de nouveautés sortant en salle chaque année, "la vraie question de fond" selon lui." Il y a trop de films, a ainsi confirmé Richard Patry. Nous sommes arrivés à une limite qui n’est plus acceptable. Nous ne pouvons plus rajouter de séances, cette spirale doit cesser. C’est un grand chantier, qui passe notamment par la remise à plat des aides publiques, très natalistes. La question se pose : si une œuvre ayant bénéficié d’un soutien cinéma n’est peut-être pas à la hauteur d’une exploitation en salle, ne pourrait-elle pas être diffusée directement sur d’autres médias sans pour autant rembourser les aides ?"
Kevin Bertrand et Sylvain Devarieux
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