Quinzaine 2019 - Lech Kowalski : "Le courage est une denrée rare"
Date de publication : 16/05/2019 - 08:45
Le cinéaste revient sur la genèse de son film documentaire On va tout péter, présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Il détaille ses méthodes de travail qui vont de pair avec son engagement.
Comment présentez-vous en quelques mots On va tout péter ?
Le film parle de guerre. Il s'agit de la lutte entre l'humanité et la dictature postdémocratique, composée d'une combinaison mortelle d'un gouvernement faible et de puissants intérêts commerciaux internationaux.
Quand vous avez commencé à filmer les ouvriers de GM&S, vous pensiez en faire un film ?
Je suis allé voir l'usine GM&S avec l'idée de faire un film. Mais on ne sait jamais ce que l'on va trouver. Quand je suis arrivé, j'ai été confronté à des hommes et des femmes désespérés et oubliés, loin de tout. En même temps, quelques minutes après mon arrivée, j'ai découvert des gens emplis de dignité et de passion, imprégnés du sentiment profond qu'ils ont raison sur quelque chose de très important : se battre pour une bataille qui pourrait être perdue vaut mieux que de renoncer. Ce sont les pensées qui me sont venues en fin de journée. Alors je suis revenu et j'ai filmé pendant encore sept mois, amassant 500 heures de rushes.
Vous avez mis au point un système qui vous permet de vous passer du circuit de financement institutionnel du cinéma…
J'ai toujours fait mes films avec des moyens financiers modestes. Les budgets sont toujours très faibles. Les plus gros moyens que j'aie jamais eus étaient des pubs pour gagner de l'argent. Un budget modeste me donne une plus grande liberté de penser, de rechercher, de filmer et de monter. La liberté est plus importante que tout pour moi en tant que créateur. Je déteste les dettes. Je ne me réveille pas chaque matin en m'inquiétant du paiement d’une hypothèque, du crédit pour la voiture ou du prêt bancaire pour des vacances que je ne peux de toute façon pas vraiment me permettre.
Comment donner du sens à 500 heures de rushes ?
Quand je commence à tourner, mon objectif est toujours de me mettre dans la position parfaite pour filmer une scène. Cela prend beaucoup de temps à trouver. Par conséquent, je tourne beaucoup, simplement, pour faire des recherches et découvrir ce qui est intéressant. C'est aussi une façon de permettre aux gens devant ma caméra de s'habituer à moi et de finir par m'oublier en continuant ce qu'ils font. 75% des 500 heures sont à jeter à la poubelle. De la camelote ! J'arrive rapidement à 10 ou au plus 15 heures de bon matériel. C'est à ce moment-là que la lutte pour faire le film dans la salle de montage prend une forme herculéenne, pour tout réduire à l'essentiel de l'histoire que je raconte. Ma formule est que le tournage est émotionnel, le montage intellectuel. Mais le film doit porter sur les sentiments, pas seulement sur l'information.
Vous travaillez essentiellement seul, mais avec un collaborateur pour le son et Odile Allard qui fait beaucoup de choses sur vos films ?
Je fais une grande partie du film moi-même. Mais Odile est la partenaire qui permet au projet d’aboutir. Le film n'existerait pas sans elle, elle est indispensable. C’est difficile car elle est constamment occupée avec une foule de détails du début à la fin. Et cela continue avec la distribution ! Il y a autant de choses à faire en dehors du tournage qu'il y en a à faire pendant. Odile est le fondement de notre effort créatif. Sur place, je préfère être seul. Parfois, j'ai une personne pour le son et un chauffeur. Je déteste conduire quand je filme. J'ai besoin d'être dans une bulle de création. Conduire détourne trop l'attention de l'endroit où je veux me situer sur le plan émotionnel. Quand je filme, je suis perdu dans la brume. Rien n'a d'importance si ce n'est d'être connecté à ce que je cherche. Ce n’est pas facile à expliquer.
À l’arrivée, le film est-il semblable à ce que vous aviez en tête au début ?
J'ai une idée des thèmes que je veux explorer. Mais quand je commence à tourner, je cherche une histoire. Je cherche des gens, les bonnes personnes pour une histoire. Parfois, je filme deux-trois histoires ou plus avec l'intention de choisir la meilleure dans le montage final. Souvent, ces histoires interagissent. C'est alors que le film devient excitant. Cela se passe dans la salle de montage. Trouver les liens entre les histoires et les personnages. À la fin, je découvre le film. Il est impossible de savoir à l'avance de quoi il s'agira. Sinon, pourquoi le faire ? Je découvre de quoi parle le film quand son montage est terminé et que je le regarde à l'écran. À ce moment-là, je suis submergé par les émotions, j'en ai les larmes aux yeux et ensuite je ne veux plus revoir le film.
À vos yeux, il représente une vitrine sur une lutte, un éclairage…
J'étais curieux de savoir comment faire preuve de courage. Il s'agit d'une denrée rare dans la réalité postdémocratique moderne. La plupart des gens sont débordés, essayent simplement de vivre leur vie, jour après jour. Ils souffrent des indignités parce qu'ils ne pensent pas avoir d'autre choix. Le film est simple. Il s'agit de visages rarement montrés au cinéma et à la télévision. Et je donne à ces visages tout le temps dont ils ont besoin pour s'exprimer. Ce sont des héros. Ce sont aussi les visages d'une génération qui représente la fin d'une époque, à moins que les tristes puissances qui dirigent tout ne reviennent à la raison. Il ne s'agit pas seulement de rhétorique et de paroles. Tout ce que je vous décris est dans On va tout péter.
Vous avez été arrêté au moins une fois pendant le tournage. On entend beaucoup parler en ce moment des restrictions que subiraient certains journalistes indépendants pour filmer des manifestations. Que pensez-vous de ce genre de situation ?
J'ai été arrêté pour avoir simplement filmé ce que les autorités ont peur de montrer, même si elles ne savent pas ce que je filme vraiment, puisque personne n'a vu les images. J'ai eu des problèmes similaires dans le passé, en filmant des agriculteurs polonais se battant contre Chevron et leur propre gouvernement pour éviter de réduire leurs terrains agricoles. Leurs fermes ont été littéralement investies avec du matériel lourd, sans qu’ils puissent avoir le moindre choix en la matière. Comme une guerre éclair nazie. Le gouvernement a traduit les agriculteurs devant les tribunaux en disant qu'ils faisaient de l'obstruction. Le tribunal, la police, le gouvernement et Chevron voulaient voir mes images. Je les ai cachées. Je me suis aussi caché pendant deux semaines. Finalement, j'ai quitté le pays pour finir le film. Il y avait aussi beaucoup d'autres médias qui y ont tourné. Y compris Chevron, la 2e plus grande société énergétique au monde. Surtout des Américains.
La raison pour laquelle ils m'ont ciblé est que je n'ai pas de carte de presse. Je n'ai pas d'accréditation d'une agence de presse officielle. Je suis complètement indépendant. Et c'est de cela que les autorités et les gens au pouvoir ont peur. Ils peuvent manipuler les médias grand public, mais je représente une forme de vérité. C'est la raison pour laquelle ils ont arrêté Gaspard Glantz. Je ne connais pas les détails de son arrestation, sauf ce que j'ai lu dans les médias. Ils l'ont harcelé. Ils veulent qu'il disparaisse. C'est un héros, mais nous et notre société, sommes en grand danger.
La Quinzaine des réalisateurs est un bel endroit pour y présenter votre film ?
Je ne vois pas de meilleur endroit pour les débuts de ce film. C'est une histoire française et internationale, sur notre époque. Il est également amer de célébrer cette sélection car de nombreux travailleurs de GM&S ont perdu leur emploi. Ils n'ont rien à fêter. Pour beaucoup d'entre eux, la situation est désastreuse. L'usine GM&S n'existe plus. La famille GM&S a été brisée. Néanmoins, un groupe d'entre eux finance la location d'un bus pour venir au Festival. Un ami propriétaire de Paname, une brasserie parisienne, fait un don de bière et de nourriture. Nous ferons la fête à Cannes. Nous tirerons le meilleur parti d'une situation pourrie. La nouvelle se répandra. Que demander de plus à un film ? C'est le meilleur exemple de la puissance du cinéma.
Le film parle de guerre. Il s'agit de la lutte entre l'humanité et la dictature postdémocratique, composée d'une combinaison mortelle d'un gouvernement faible et de puissants intérêts commerciaux internationaux.
Quand vous avez commencé à filmer les ouvriers de GM&S, vous pensiez en faire un film ?
Je suis allé voir l'usine GM&S avec l'idée de faire un film. Mais on ne sait jamais ce que l'on va trouver. Quand je suis arrivé, j'ai été confronté à des hommes et des femmes désespérés et oubliés, loin de tout. En même temps, quelques minutes après mon arrivée, j'ai découvert des gens emplis de dignité et de passion, imprégnés du sentiment profond qu'ils ont raison sur quelque chose de très important : se battre pour une bataille qui pourrait être perdue vaut mieux que de renoncer. Ce sont les pensées qui me sont venues en fin de journée. Alors je suis revenu et j'ai filmé pendant encore sept mois, amassant 500 heures de rushes.
Vous avez mis au point un système qui vous permet de vous passer du circuit de financement institutionnel du cinéma…
J'ai toujours fait mes films avec des moyens financiers modestes. Les budgets sont toujours très faibles. Les plus gros moyens que j'aie jamais eus étaient des pubs pour gagner de l'argent. Un budget modeste me donne une plus grande liberté de penser, de rechercher, de filmer et de monter. La liberté est plus importante que tout pour moi en tant que créateur. Je déteste les dettes. Je ne me réveille pas chaque matin en m'inquiétant du paiement d’une hypothèque, du crédit pour la voiture ou du prêt bancaire pour des vacances que je ne peux de toute façon pas vraiment me permettre.
Comment donner du sens à 500 heures de rushes ?
Quand je commence à tourner, mon objectif est toujours de me mettre dans la position parfaite pour filmer une scène. Cela prend beaucoup de temps à trouver. Par conséquent, je tourne beaucoup, simplement, pour faire des recherches et découvrir ce qui est intéressant. C'est aussi une façon de permettre aux gens devant ma caméra de s'habituer à moi et de finir par m'oublier en continuant ce qu'ils font. 75% des 500 heures sont à jeter à la poubelle. De la camelote ! J'arrive rapidement à 10 ou au plus 15 heures de bon matériel. C'est à ce moment-là que la lutte pour faire le film dans la salle de montage prend une forme herculéenne, pour tout réduire à l'essentiel de l'histoire que je raconte. Ma formule est que le tournage est émotionnel, le montage intellectuel. Mais le film doit porter sur les sentiments, pas seulement sur l'information.
Vous travaillez essentiellement seul, mais avec un collaborateur pour le son et Odile Allard qui fait beaucoup de choses sur vos films ?
Je fais une grande partie du film moi-même. Mais Odile est la partenaire qui permet au projet d’aboutir. Le film n'existerait pas sans elle, elle est indispensable. C’est difficile car elle est constamment occupée avec une foule de détails du début à la fin. Et cela continue avec la distribution ! Il y a autant de choses à faire en dehors du tournage qu'il y en a à faire pendant. Odile est le fondement de notre effort créatif. Sur place, je préfère être seul. Parfois, j'ai une personne pour le son et un chauffeur. Je déteste conduire quand je filme. J'ai besoin d'être dans une bulle de création. Conduire détourne trop l'attention de l'endroit où je veux me situer sur le plan émotionnel. Quand je filme, je suis perdu dans la brume. Rien n'a d'importance si ce n'est d'être connecté à ce que je cherche. Ce n’est pas facile à expliquer.
À l’arrivée, le film est-il semblable à ce que vous aviez en tête au début ?
J'ai une idée des thèmes que je veux explorer. Mais quand je commence à tourner, je cherche une histoire. Je cherche des gens, les bonnes personnes pour une histoire. Parfois, je filme deux-trois histoires ou plus avec l'intention de choisir la meilleure dans le montage final. Souvent, ces histoires interagissent. C'est alors que le film devient excitant. Cela se passe dans la salle de montage. Trouver les liens entre les histoires et les personnages. À la fin, je découvre le film. Il est impossible de savoir à l'avance de quoi il s'agira. Sinon, pourquoi le faire ? Je découvre de quoi parle le film quand son montage est terminé et que je le regarde à l'écran. À ce moment-là, je suis submergé par les émotions, j'en ai les larmes aux yeux et ensuite je ne veux plus revoir le film.
À vos yeux, il représente une vitrine sur une lutte, un éclairage…
J'étais curieux de savoir comment faire preuve de courage. Il s'agit d'une denrée rare dans la réalité postdémocratique moderne. La plupart des gens sont débordés, essayent simplement de vivre leur vie, jour après jour. Ils souffrent des indignités parce qu'ils ne pensent pas avoir d'autre choix. Le film est simple. Il s'agit de visages rarement montrés au cinéma et à la télévision. Et je donne à ces visages tout le temps dont ils ont besoin pour s'exprimer. Ce sont des héros. Ce sont aussi les visages d'une génération qui représente la fin d'une époque, à moins que les tristes puissances qui dirigent tout ne reviennent à la raison. Il ne s'agit pas seulement de rhétorique et de paroles. Tout ce que je vous décris est dans On va tout péter.
Vous avez été arrêté au moins une fois pendant le tournage. On entend beaucoup parler en ce moment des restrictions que subiraient certains journalistes indépendants pour filmer des manifestations. Que pensez-vous de ce genre de situation ?
J'ai été arrêté pour avoir simplement filmé ce que les autorités ont peur de montrer, même si elles ne savent pas ce que je filme vraiment, puisque personne n'a vu les images. J'ai eu des problèmes similaires dans le passé, en filmant des agriculteurs polonais se battant contre Chevron et leur propre gouvernement pour éviter de réduire leurs terrains agricoles. Leurs fermes ont été littéralement investies avec du matériel lourd, sans qu’ils puissent avoir le moindre choix en la matière. Comme une guerre éclair nazie. Le gouvernement a traduit les agriculteurs devant les tribunaux en disant qu'ils faisaient de l'obstruction. Le tribunal, la police, le gouvernement et Chevron voulaient voir mes images. Je les ai cachées. Je me suis aussi caché pendant deux semaines. Finalement, j'ai quitté le pays pour finir le film. Il y avait aussi beaucoup d'autres médias qui y ont tourné. Y compris Chevron, la 2e plus grande société énergétique au monde. Surtout des Américains.
La raison pour laquelle ils m'ont ciblé est que je n'ai pas de carte de presse. Je n'ai pas d'accréditation d'une agence de presse officielle. Je suis complètement indépendant. Et c'est de cela que les autorités et les gens au pouvoir ont peur. Ils peuvent manipuler les médias grand public, mais je représente une forme de vérité. C'est la raison pour laquelle ils ont arrêté Gaspard Glantz. Je ne connais pas les détails de son arrestation, sauf ce que j'ai lu dans les médias. Ils l'ont harcelé. Ils veulent qu'il disparaisse. C'est un héros, mais nous et notre société, sommes en grand danger.
La Quinzaine des réalisateurs est un bel endroit pour y présenter votre film ?
Je ne vois pas de meilleur endroit pour les débuts de ce film. C'est une histoire française et internationale, sur notre époque. Il est également amer de célébrer cette sélection car de nombreux travailleurs de GM&S ont perdu leur emploi. Ils n'ont rien à fêter. Pour beaucoup d'entre eux, la situation est désastreuse. L'usine GM&S n'existe plus. La famille GM&S a été brisée. Néanmoins, un groupe d'entre eux finance la location d'un bus pour venir au Festival. Un ami propriétaire de Paname, une brasserie parisienne, fait un don de bière et de nourriture. Nous ferons la fête à Cannes. Nous tirerons le meilleur parti d'une situation pourrie. La nouvelle se répandra. Que demander de plus à un film ? C'est le meilleur exemple de la puissance du cinéma.
Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo :
L’accès à cet article est réservé aux abonnés.
Vous avez déjà un compte
Accès 24 heures
Pour lire cet article et accéder à tous les contenus du site durant 24 heures
cliquez ici