Quinzaine 2019 - Erwan Le Duc : "Un maximum de désir et un certain désordre"
Date de publication : 19/05/2019 - 08:45
Ce journaliste attaché au service des sports du journal Le Monde présente à la Quinzaine des réalisateurs Perdrix, qui est son premier long métrage.
Comment présentez-vous en quelques mots Perdrix ?
Perdrix est un film d'amours et d'aventures : un garçon rencontre une fille, quelque chose se passe, et tout un monde bascule avec eux. On y rencontre des gendarmes mélancoliques, des nudistes révolutionnaires, une reconstitution historique, des vers de terre, du ping-pong, un maximum de désir et un certain désordre.
D'où vous est venue cette idée de film ?
Par ricochets, en partant d'une autre idée, presque d'un autre film, pour arriver à celui-là. L'image originelle, que je ne saurais expliquer, c'est celle d'un homme gisant au sol dans son propre sang, et entièrement déguisé en Staline. Puis, un morceau de tartelette aux myrtilles lui tombe dessus, et on découvre en contre-champ deux flics qui l'observent, dont l'une mange la-dite tartelette aux myrtilles. De cette image de départ, il ne reste aujourd'hui dans le film que la tarte aux myrtilles, ce qui n'est déjà pas si mal.
Quelles ont été les différentes étapes d’écriture ?
J'ai écrit la première version du scénario de manière quasi automatique, frénétique en tout cas, en deux semaines. Et j'ai réfléchi ensuite. Pendant longtemps... pour remettre tout ça en ordre, trouver le cœur battant du scénario, de ses personnages, leur équilibre dans le déséquilibre. Il y a eu beaucoup d'étapes d'écritures, dont les dernières sous la direction très attentive de mes producteurs Stéphanie Bermann et Alexis Dulguerian, avec lesquels on a essayé d'être le plus exigeant possible, pour toujours coller aux émotions de nos personnages, et faire que l'univers parfois insolite qui se déploie dans le film soit au service de ça, et ne le surplombe jamais. C'était difficile.
Vous êtes passé par le programme Next step de la Semaine de la critique en 2016. Quels en ont été les effets concrets ?
La Semaine de la critique avait présenté mon court métrage Le soldat vierge en 2016, et m'a invité dans la foulée à participer à cet atelier d'une semaine, qui m'a permis de faire des rencontres intéressantes, mais aussi et surtout de confronter mes idées et mon scénario à des points de vue extérieurs, avec pour consultants des réalisateurs dont les films avaient été montrés à la Semaine. Dans mon cas, l'Uruguayen Álvaro Brechner et l'Israélienne Hagar Ben-Asher, qui ont tous les deux été très généreux et pertinents dans leurs retours.
Comment avez-vous rencontré Stéphanie Bermann et Alexis Dulguerian de Domino Films ?
Par le biais d'un ami commun, à une période charnière où je cherchais de nouveaux producteurs pour Perdrix, qui seraient capables de lui donner un nouvel élan. J'ai discuté avec plusieurs productrices et producteurs, dont Stéphanie Bermann et Alexis Dulguerian. Il m'a très vite semblé qu'ils avaient tout compris au projet, du cinéma que je cherchais à faire, et de la manière dont ils pouvaient s'y prendre pour le produire. Et alors que j'arrivais avec un scénario que j'estimais terminé, Stéphanie m'a dit exactement l'inverse de ce que je voulais entendre, en m'expliquant qu'il y avait selon elle au minimum six mois de réécriture. Ce qui me paraissait évidemment beaucoup trop long. J'ai eu envie de lui montrer qu'elle avait tort, et nous avons commencé à travailler ensemble. Et il s'est avéré qu'elle avait tort, et moi aussi : la réécriture a duré plus d'un an.
Qu’attendez-vous d’un producteur en fait ?
Qu'il produise le film, ce qui n'est déjà pas rien. Et si possible, qu'on le produise ensemble, qu'on fasse le même film. Et ça c'est délicat, parce que c'est affaire de sensation. Chacun projette le film à partir d'idées, de mots, puis d'un scénario, et à chaque étape de fabrication, on va questionner ces idées, et voir si on se comprend, ou pas, si on mettait les mêmes choses derrières ces mots. Donc c'est un dialogue permanent, sur des choses parfois très théoriques, parfois plus poétiques, et enfin très concrètes, si tout se passe bien et que justement, ça devient concret. Donc le producteur, c'est celui qui doit permettre au film d'exister. Mais c'est aussi plus que ça, parce qu'à la fin, j'ai l'impression qu'un film ressemble autant à son réalisateur et à ses acteurs qu'à son ou ses producteurs.
Comment avez-vous choisi vos comédiens et sur quelles bases ? À commencer par Swan Arlaud…
J'ai longtemps cherché le bon comédien pour incarner Pierre Perdrix, un personnage en creux, qui fait le lien entre les autres et leurs univers assez singuliers, et qui se met soudainement à vivre sa vie. Je pensais à Swann Arlaud depuis un moment, j'ai fini par le rencontrer, et alors tout est allé assez vite, on s'est reconnus. Le rôle et le scénario lui ont plu, et il a réussi à donner vie au personnage dans toute son humanité et sa complexité, naviguant assez habilement entre les genres. À l'inverse, Maud Wyler, qui joue Juliette Webb, était présente sur le projet très tôt dans l'écriture. J'avais déjà travaillé avec elle sur plusieurs court-métrages, et quand j'ai fait les ateliers Emergence avec une première version du scénario, j'ai proposé à Maud d'y participer. Elle est vite devenue une évidence pour ce rôle, qui lui collait à la peau de manière assez surprenante. J'ai ensuite écrit le rôle de Juju en pensant à Nicolas Maury, dont j'appréciais le travail au théâtre et au cinéma. Et pour Fanny Ardant, ce fut une rencontre assez magique, en plein été à Paris, deux mois avant le tournage. Je la trouvais idéale pour ce rôle, et elle le fut.
Vous avez tourné dans les Vosges. Un choix délibéré ? Un lien avec cette région ?
Oui, ma mère est vosgienne, elle est née à Saulxures-sur-Moselotte, pas loin de là où on a tourné, donc c'est tout sauf un hasard. J'ai toujours écrit le scénario avec les montagnes, les forêts de sapin, et les lacs de montagne en tête, et par bonheur, la région Grand Est et le département des Vosges ont été parmi les premiers à soutenir le film. Et j'ai aussi reçu une aide à la réécriture de la Normandie.
A l’arrivée le film est-il semblable à ce que vous aviez en tête au début ?
Ce que j'avais en tête au début, honnêtement, je ne m'en souviens plus. Mais il est semblable à ce que j'avais en tête à la fin, ce qui me va très bien.
La Quinzaine est un bel endroit pour y présenter votre film ?
Un très bel endroit oui, avec une histoire prestigieuse et un parti pris souvent audacieux qui me rend très fier d'y être invité. L'annonce de la sélection a été aussi inespérée que joyeuse, pour moi et pour toute l'équipe.
Et vous continuez de travailler au Monde. Deux activités qui se nourrissent l’une l’autre ?
Je travaille au Monde depuis une dizaine d'années, comme journaliste, et je viens tout juste de reprendre après avoir pris un an et demi de congé sans solde pour faire le film. Je crois effectivement que les deux activités se nourrissent, elles se rejoignent par l'écriture, et s'éloignent à plein d'autres endroits, ce qui provoque des situations parfois surprenantes. J'ai par exemple appris la sélection de Perdrix à la Quinzaine alors que je terminais un papier sur le PSG.
Recueilli par Patrice Carré
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