Quinzaine 2019 - Robert Rodriguez : "J'aurai aimé entendre des leçons comme celle-là lorsque j'ai commencé"
Date de publication : 22/05/2019 - 08:15
Il est venu présenter à la Quinzaine des réalisateurs une masterclass unique en son genre, dont son dernier film Red 11, projeté dans la foulée, constitue l’un des supports pédagogiques.
Pouvez-vous présenter Red 11 en quelques mots ?
Red 11 est l'histoire semi-autobiographique d'un jeune cinéaste qui se rend dans un centre de recherche médicale pour tester des médicaments afin de gagner l’argent nécessaire au financement du tournage de son film indépendant. Cela prend une tournure surréaliste quand il n'est plus sûr de ce qui est réel ou non. Essaient-ils vraiment de le tuer ? Ou ressent-il simplement les effets secondaires de cette drogue très bizarre qu'il a pris ?
On lit partout que vous avez amassé les 7 000 $ nécessaires au budget d'El mariachi en servant de cobaye pour des tests médicaux dans un laboratoire. Légende ou réalité ?
C'est une histoire entièrement vraie. Je l'ai non seulement détaillée dans un chapitre de mon livre Rebel without a crew - The Making of "El Mariachi" (tiré de mes journaux de l'époque), mais aussi dans Red 11, qui est également basé sur cette période de ma vie.
C'était tellement surréaliste d'être désespéré à ce point. Qu’un tel besoin d'argent puisse vous amener à vous soumettre à des expérimentations médicales. Ça faisait une belle matière pour un film.
Et Red 11 s'inspire très librement de cette expérience ?
Red 11 en est complètement inspiré. Durant les expériences je portais une chemise rouge et j'étais le numéro 11 du groupe de cobayes. Ils m’ont donc appelé Red 11 pour que le personnel sache instantanément quelle drogue je prenais grâce à la couleur de ma chemise.
Au moment où El mariachi allait sortir en salle en 1993, j'ai commencé à travailler sur une idée de film destiné à la télévision basé sur les expériences médicales que j'avais faites à l'époque. C'était un hôpital très étrange avec des patients désespérés, bref pas vraiment ordinaire. Selon moi, cela pouvait constituer une excellente histoire. J'ai noté autant d'idées que j'ai pu à partir de mes expériences de l'époque. À l'origine, il ne s'agissait que d'une comédie sur le monde de la recherche médicale et sur ces cobayes qui participent volontairement à des expériences contre un peu d’argent. J'ai gardé ces notes originales de 1993 sur mon ordinateur toutes ces années.
Quand j'ai voulu faire un nouveau long métrage pour 7 000 $ afin de célébrer le 25e anniversaire d'El mariachi, j'ai retrouvé mes vieilles notes et j'ai réalisé que c'était le projet parfait après toutes ces années. C’est d'une certaine façon mon film le plus personnel parce qu'il est basé sur du réel. J’avais aussi comme projet de tourner un documentaire sur l'ensemble du processus de réalisation d’un film, afin de servir de cours pour quiconque voudrait réaliser mais sans disposer des ressources adéquates.
Dans le but d’en faire un bon outil pédagogique, j’ai fait le choix de faire une première partie assez comique, proche de la façon dont j’avais vécu ces expériences, en ayant recours à des éléments de thriller, d’action et d’horreur dans la seconde. L’idée est de pouvoir expliquer comment faire des mises en scènes très diverses. Je crois que cet ensemble a donné un aspect assez jouissif à Red 11.
Vous êtes, je pense, le premier réalisateur à être passé d'un film de 200 M$, Alita: Battle Angel, à un autre de 7 000 $. Comment définiriez-vous cette transition ? Un saut dans l'espace-temps, une nouvelle liberté, un nouveau défi ?
Alita a été une expérience incroyable. C'était assez unique. Du fait de l’avoir réalisé avec mon ami Jim Cameron, j'ai eu l'impression de continuer à faire un film indépendant. Nous avions un énorme budget et nous pouvions inclure tout ce que nous voulions. Jim a gagné ce type de liberté grâce à ses succès. Environ un millier d'artistes ont travaillé sur le film, au sein de l'équipe et pour les effets visuels.
Red 11 est à l’opposé. J'ai délibérément adopté la méthode et les moyens que j'avais sur El mariachi, une méthode unique de réalisation que j'ai inventée plus par nécessité que toute autre chose à l'époque. Mais au fil des ans, j'ai réalisé qu'il pouvait y avoir un avantage à se dépouiller de toute ressource afin de compter uniquement sur la créativité, la débrouillardise et le sens artistique. En faisant le film avec mes fils, j'ai pu revivre l'expérience à travers leurs yeux et j'ai réalisé à quel point entreprendre quelque chose d’aussi infaisable avait bouleversé ma vie. Et ça n’a rien à voir avec fait qu'El mariachi soit ma première expérience cinématographique.
J’ai aussi voulu raconter cette expérience extrême dans un documentaire afin de pouvoir la partager avec d'autres cinéastes mais aussi tous ceux qui ont un rêve et ont besoin d'un élan supplémentaire pour les aider à affronter l'impossible.
Qui a eu l'idée de cette master class à la Quinzaine des réalisateurs ?
La Quinzaine a appris que j'avais fait un nouveau film pour 7 000 $ et a demandé à le voir pour une éventuelle sélection. Je leur ai fait savoir que même si le film se tenait tout seul, je ne l'avais pas réalisé dans le but de faire le tour des festivals, il constituait un volet pédagogique de mon cours de cinéma. Il allait également de pair avec ma série documentaire. Elle dure 2h30 mais j’ai envoyé à la Quinzaine seulement 35 minutes de temps forts accompagnées d'un conducteur de 25 minutes de discussions et d’échange. C’était un peu le fil conducteur de la masterclass que j’envisageais, l’idée étant qu’elle se termine par la projection de Red 11.
Ils ont adoré le film et cette combinaison avec la master class. Et c’est parti comme ça. Je suis très enthousiaste à l'idée de présenter cet exposé et je suis reconnaissant à la Quinzaine de me laisser un espace de parole pour ça.
L'idée est de partager vos recettes ?
J’ai toujours partagé ma méthodologie à travers mes commentaires de réalisateurs, notamment dans les suppléments DVD et Blu-ray de chacun de mes films et aussi dans mon livre. Inspirer les autres est une de mes activités préférées. Je n'oublie jamais à quel point j'aurais aimé entendre des leçons comme celle-là lorsque j'ai commencé. Alors je continue à le faire et j'ai toujours reçu des commentaires très positifs à ce propos. Mais cette série de documentaires ainsi que Red 11 portent mon amour de l'enseignement et à un tout autre niveau.
Votre livre semble épuisé. Une nouvelle édition à venir ?
Le livre circule toujours ici aux États-Unis et je vais peut-être bientôt en faire une version numérique. Mais à présent il est dépassé car j’y parle des méthodes de réalisation liées au tournage sur pellicule. Or les gens me demandent une actualisation prenant en compte le numérique. Pour le moment, j'ai préféré faire cette série documentaire de Rebel Without a Crew. Il faut avoir à l’esprit que Red 11 n'a jamais été conçu pour être montré en tant que tel, mais est destiné à servir d'exemple à ma série. L’objectif à présent est de faire circuler les deux, comme une sorte d’école de cinéma absolue.
L'idée est que n'importe qui, qu'il s'agisse de personnes issues des minorités, de femmes, de celles et ceux qui pensent que leur voix n'est pas entendue, ou même de cinéastes professionnels qui en ont assez du système, puissent utiliser ces méthodes dès demain et que, sans argent ni équipe ils soient capables de réaliser leurs rêves. Savoir qu’on peut quand même y arriver, même si personne ne croit en vous ou ne veut vous aider, est vital.
Venir à la Quinzaine a une signification particulière pour vous ?
Je suis venu à Cannes pour une projection hors compétition de Desperado puis en sélection officielle pour Sin City, qui a remporté un prix technique. C'est donc avec un grand plaisir que je reviens avec ce film qui raconte comment tout a commencé pour moi. Et je viens avec mes deux fils qui ont constitué toute mon équipe technique et qui ont l’âge que j’avais quand je n’étais encore qu’un cobaye de laboratoire, rêvant de faire El mariachi. La boucle est bouclée !
Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo :
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