Semaine 2019 - César Díaz, réalisateur de "Nuestras madres" : "Je voulais interroger l’après-guerre guatémaltèque"
Date de publication : 22/05/2019 - 21:00
Il vient de remporter le prix de la SACD avec ce film, présenté à la Semaine de la critique, qui donne la parole à une génération durement touchée par une guerre civile encore méconnue.
Quelques mots sur votre parcours ? Vous avez été monteur avant de commencer à tourner des documentaires puis de passer à la fiction…
J’ai étudié le scénario en Belgique et à La femis en France, la question de l’écriture cinématographique a toujours été au centre de mon travail et de ma réflexion. C’est à travers la volonté d’interroger le langage cinématographique que je suis arrivé au montage et que j’ai fait une carrière. L’exploration du documentaire est venue à partir de l’envie de travailler sur le réel, je voulais comprendre comment construire un récit avec les événements que l’on filme ici et maintenant, et j'ai finalement glissé vers la fiction mais en ayant une base sur le rapport entre celui qui filme et celui qui est filmé.
Le film est né alors que je faisais des repérages pour un documentaire. J’ai rencontré les femmes d’un village qui m’ont raconté le massacre dont elles avaient été victimes pendant la guerre civile. Dans la tradition orale indienne, il faut nommer les choses et le répéter pour qu’elles deviennent réelles. Quand je suis arrivé au village, on m’a amené sur les lieux du massacre et ça m’a bouleversé.
Comment présentez-vous Nuestras madres ?
C’est un film sur une génération touchée par la guerre civile au Guatemala. Ernesto est un jeune homme qui cherche son père disparu pendant la guerre. Un jour, une femme du nord du pays vient demander de l’aide pour retrouver son mari assassiné pendant le massacre de son village. Sur une photo, Ernesto reconnaît le visage de son père et met tout en œuvre pour déterrer les corps du village sans savoir que la vérité sur son identité se trouve ailleurs.
Je voulais interroger l’après-guerre guatémaltèque avec les cicatrices que ça a laissé.
Tout est donc parti d’un repérage ?
C’est en effet à ce moment-là que j’ai découvert l’histoire du massacre d’un village dans les hauts plateaux guatémaltèques. Les femmes, seules survivantes de ce massacre, répétaient sans cesse leur histoire pour qu’elle soit “réelle” et pour qu’elle se sache et que ces événements ne se répètent jamais. Ensuite, je suis parti de ma vie personnelle pour créer un univers et les personnages principaux. Je ne voulais pas faire un film autobiographique mais je voulais partir du sentiment qui m’habite pour interroger les rapports familiaux. Les deux éléments en main m’ont permis de construire le scénario entre l’Histoire du pays et les histoires des personnages.
Quelles ont été les étapes d’écriture ?
Cela a été long car les personnages étaient trop proches de moi, notamment le jeune homme qui cherche son père. Mais le processus a été passionnant et j’étais très bien accompagné, non seulement à La femis mais après avec des consultants de scénario passionnés.
Comment s’est faite la rencontre avec votre productrice, Géraldine Sprimont ?
C’est par l’intermédiaire de la productrice française Delphine Schmit. Elles avaient l’habitude de travailler ensemble. Géraldine a été séduite par le projet et, tout naturellement, nous avons commencé à travailler tous les trois.
Le développement du film a été long… Quelles ont été les étapes les plus importantes ?
Le plus dur a été de développer un film dans un pays où l’industrie est inexistante et qui ne peut rien apporter en matière de financement. Le moment clé a été le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et le fait que le film, de par mon parcours et ma nationalité, est devenu belge. C’est très intéressant que, dans une époque de repli identitaire européen, ce film tourné au Guatemala et en espagnol soit belge. Ça lance un message comme quoi les citoyens intégrés comme moi peuvent enrichir l’Europe sans oublier leurs passés.
Vous avez apparemment mélé des comédiens mexicains et guatémaltèques… Pourquoi ce choix ?
Au départ, je voulais travailler uniquement avec des comédiens non-professionnels, des véritables acteurs de leurs vies, mais je me suis rendu compte que j’avais écrit un film qui demandait un travail d’incarnation différent, surtout pour les personnages du fils et de la mère. Je me suis lancé au Guatemala dans un casting vers les acteurs de théâtre et les gens autour de la culture. Il faut savoir qu’il n'existe pas au Guatemala une véritable école de comédiens pour le cinéma et j’étais déçu. J’ai fait un casting ouvert pendant une semaine, j’ai vu autour de 500 personnes mais ça n’a rien donné. Je suis donc parti au Mexique pour chercher des acteurs.
Où et quand avez-vous tourné ?
Le tournage a eu lieu entre avril et mai 2018. Nous avons tourné à Guatemala City, dans le village de Pambach dans le département d'Alta Verapaz, et à Monterico sur la côte pacifique.
Des difficultés particulières durant le tournage ?
Le plus dur était la violence quotidienne de Guatemala City. C’est l’une des villes les plus violentes au monde. Nous avons dû tourner avec la protection de la police et nous avons engagé des gardes de sécurité privée. Parfois, il y avait des moments de tension dans certains quartiers. Heureusement qu’une bonne partie de l’équipe française et belge ne comprenait pas les codes du Guatemala sinon ils auraient eu très peur.
Autre anecdote intéressante, notre matériel a été coincé à la douane pendant presque la totalité du tournage, nous avions prévu un peu de retard et l’équipe a voyagé depuis l’Europe avec le minimum pour tourner et il s’est avéré que nous avons fait le film presque avec ce matériel et ce que nous avons pu louer sur place.
Qu'attendez-vous de cette sélection à la Semaine de la critique ?
Que ça permette au film d’être vu par le plus grand nombre de personnes, cette histoire guatémaltèque est méconnue et elle mérite d’être racontée parce qu’elle nous permet aussi de réfléchir sur nos rapports filiaux et sur la gestion de nos deuils.
Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo :
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