Congrès FNCF 2019 - Odile Tarizzo : "En tant que femme, les combats sont loin d’être finis"
À l’occasion du 74e Congrès de la Fédération nationale des cinémas français, Odile Tarizzo, présidente de la commission des questions sociales, revient sur l’étude menée auprès des exploitants sur la part de femmes dans le secteur.
Pour la première fois, une étude a été menée sur la part des femmes dans l’exploitation, pourquoi cette initiative ? Et pourquoi maintenant ?
Cela répond d’abord à une obligation réglementaire, qui oblige chaque branche d’activité à négocier sur l’égalité professionnelle. Il n’y a pas de délai, mais nous devions entamer en 2019, les négociations sur ce thème-là. Sachant qu’il fallait répondre à cette obligation, nous avons souhaité réaliser un diagnostic de la situation dans la branche. Nous étions persuadés que tout fonctionnait bien, mais nous nous sommes demandé si nous pouvions avoir un retour de terrain pour avoir des éléments objectifs. Nous avons donc effectué ce diagnostic auprès de l’ensemble des entreprises de la branche, afin d’étudier la situation respective des femmes et des hommes, c’est-à-dire les conditions d’accès à l’emploi, à la formation, à la promotion professionnelle et les conditions de travail. C’étaient les grands axes que nous avions décidé d’analyser, et qui répondent à l’obligation réglementaire.
Nous avons choisi deux approches complémentaires. La première qui était une approche quantitative, à travers des chiffres, et des données fournies par les deux partenaires Audiens et Afdas. La seconde, un accès qualitatif sur un questionnaire que nous avons bâti, qui portait sur les conditions de travail, et notamment sur l’utilisation des dispositifs que nous avions négociés paritairement au niveau de la branche pour faciliter justement le travail des femmes. Sur ce dernier axe, nous avons un taux de retour supérieur à 60%.
Quels sont les enseignements, les grandes lignes, qui ressortent de cette étude ?
Nous ne nous attendions pas du tout aux résultats obtenus. Nous pensions être de bons élèves, or nous ne l’étions pas. Il y a cinq problématiques qui se sont révélées au niveau de la branche.
La première c’est une vision très genrée des métiers. En quelques chiffres, cela donne 67% des postes de direction sont par des hommes, 84% des postes techniques sont des hommes, 100% des postes sécurité sont des hommes. Et vous retrouvez les femmes dans les postes accueil (60%), et comptabilité, gestion administrative (79%). Rien de surprenant, mais vraiment plus marquée.
Le deuxième aspect, où nous pensions que tout se passait bien puisque nous négocions des salaires de branche, avec des grilles, etc., c’est la rémunération. Il existe des écarts à l’embauche entre les hommes et les femmes, et quelles que soit les fonctions. La différence de salaires est plus marquée au niveau des cadres, mais elle est très liée au statut, c’est-à-dire que les agents de maîtrise, les cadres et les non-cadres hommes ont quand même des salaires plus importants à l’embauche que les femmes. Et cette différence de rémunération augmente au fur et à mesure de l’ancienneté. Cela veut dire qu’à aucun moment dans l’évolution de carrière, il n'y a un rapprochement des salaires.
Le troisième point, nous avons mis en évidence des inégalités d’accès à la formation professionnelle. Par exemple, il y a 58% des hommes qui bénéficient de la formation pour 42% de femmes. Plus de 60% des salariés qui suivent des formations en matière de sécurité, audiovisuel, informatique sont des hommes, alors que l’on cantonne plutôt les femmes, en termes de formation, dans les ressources humaines et la paie, et en management. Sur ce dernier cas, nous nous demandons, est-ce que c’est parce qu’à un moment donné elles prennent les postes de management et on les accompagne ? Là, il y a une petite interrogation.
Nous avons aussi une répartition genrée du travail à temps partiel. Sur des personnes en CDI, 58% des femmes sont à temps partiel. C’est très marqué au niveau des non-cadres, 72% de ces derniers choisissent un temps partiel au niveau des femmes, les hommes le choisissent beaucoup moins, et les salariées cadres choisissent aussi plus le temps partiel que les hommes. Vous avez 11% des femmes cadres qui sont à temps partiel pour 5% des hommes. Il y a vraiment une approche du temps partiel par sexe et par statut, qui est très marquée. Cela reste donc un schéma très classique, très patriarcal, où c’est la femme qui choisit de mettre de côté sa carrière. Nous ne pensions pas être si en retard que cela, car c’est un point auquel je suis très attachée, en tant que première présidente femme de la commission sociale. Après je ne suis pas pour les quotas, la parité à tous prix, une femme vaut d’abord pour sa compétence, mais en tant que femme, les combats sont loin d’être finis.
Et enfin, le dernier point est en lien avec cela, ce temps partiel s’explique par la difficulté liée à l’exercice de la parentalité. Dans le questionnaire, nous avons mis en évidence que, dans l’évolution de carrière, il y a chez les femmes une coupure au bout de cinq ans d’ancienneté, quand elles atteignent la trentaine, et que la maternité arrive, nous perdons un nombre important de femmes dans le secteur, dû aussi à la spécificité du métier, avec les horaires décalées, les week-ends, les jours fériés, etc. À un moment donné, il y a donc des choix de vie personnels qui sont privilégiés par rapport à la typologie de notre métier. La courbe s’inverse totalement, c’est-à-dire que nous avons plus de femmes en accueil à l’embauche, qui ont moins d’un an d’ancienneté, et après vers 30 ans, les courbes se croisent, et nous avons plus d’hommes et moins de femmes.
Ce que l’on a mis en évidence sur le qualitatif, et qui nous a beaucoup surpris, c’est que l’on a négocié des avenants pour faciliter justement la prise en charge de la maternité, et nous avons notamment négocié des réductions de temps de travail pris en charge avec même salaire à partir du 6e mois. Par exemple, nous nous sommes rendu que seulement 6% des femmes enceintes avaient demandé à en bénéficier. Il y a une sous-utilisation des dispositifs.
Quelles sont les actions qui vont être mises en place pour palier ces manquements ?
Après avoir présenté ces résultats au conseil fédéral, nous avons mis en place, en août, un groupe de travail paritaire, avec des organisations syndicales salariés et employeurs, sur le thème de l'égalité professionnelle, pour définir des mesures correctives. Nous utilisons actuellement l’étude pour améliorer les cinq points de dysfonctionnement mis en évidence. La première commission s’est tenue fin août. Parmi les premières pistes, il y a le constat que nous n’avons pas assez communiqué sur les outils mis en place, et qu’il faut que l’on revalorise les postes de travail et les missions, pour diminuer cet aspect genré. Il est clair que nous avons un travail de communication, de revalorisation des métiers, des missions, et surtout des parcours professionnels.
Je pense que nous avons vraiment une politique de communication à mener au niveau de la fédération, pour essayer d’influer sur la vision de la femme. En deuxième point, un outil de formation, car je pense que le point de blocage se trouve au niveau du management intermédiaire. Il faut que nous fassions un outil de formation pour ce niveau de management, afin d'ouvrir les possibilités de carrière à des femmes.
Et enfin, tous ces points s’inscrivant dans une charte de branche avec vraiment un guide de bonnes conduites et un livret de parentalité, c’est-à-dire quels sont les moyens que vous avez d’être parents, et comment nous pouvons vous faciliter justement la parentalité dans ce métier-là.
Océane Le Moal
© crédit photo : FNCFVous avez déjà un compte
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