Cinéma

Lumière MIFC 2019 - Torsten Radeck : "Réintroduire l’empreinte du cinéma classique dans les salles allemandes"

Date de publication : 17/10/2019 - 08:20

Pays invité d’honneur cette année, l’Allemagne a fait l’objet, le 16 octobre, d’un focus particulier au sein du MIFC, par le biais d’un table-ronde et de plusieurs projections. L’occasion de revenir, avec le directeur du marketing Home Entertainment de Studiocanal GMBH, sur les spécificités et attentes de ce marché autour du cinéma de patrimoine.

La première journée du MIFC était dédiée à l’édition vidéo. Quel est l’état du marché allemand en ce qui concerne l’exploitation du cinéma classique sur ce média ?
En vidéo, l’Allemagne a été longtemps un très grand marché, très stable, générant de nombreuses recettes sur tous les segments cinématographiques. Et d’autant plus sur le cinéma classique, souvent mis en valeur par des rééditions spéciales. Aujourd’hui, depuis une demi-douzaine d’année, le marché perd près de 20% de sa valeur chaque année. Les revenus de la vidéo physique, surtout, ont durement chuté depuis 2013, et pas seulement pour ce qui concerne le cinéma – il en est de même pour les séries, spectacles filmés, etc. Dans ce contexte, la baisse s’est moins faite sentir pour le cinéma classique, qui décroît tout de même de 10% de recettes chaque année. Cela pousse les éditeurs à spécifier nos choix de rééditions. Et de les évènementialiser avec de belles éditions, des produits collectors…

Est-ce que les plateformes de streaming ont pris le relais de cette baisse de la vidéo physique ?
Pas forcément. Mais les plateformes par abonnement prennent désormais un volume important de parts de marché, pour sûr. Pourtant, les usagers n’y consomment principalement que des contenus originaux produits pour ces services, le cinéma n’y est pas primordial. Aussi, cela influe sur leurs politiques d’acquisition, qui exigent des tarifs de plus en plus bas. Le marché allemand est dur en ce qui concerne les prix des films. Et si vous souhaitez exercer dans le cinéma de patrimoine, il faut vraiment avoir une politique forte de catalogue, avec des numérisation et restaurations en 4K et beaucoup de matériel complémentaire. C’est ce que nous pratiquons chez Studiocanal. C’est d’ailleurs l’avantage d’être un grand groupe réparti sur plusieurs territoires.

Et comment le public répond à l’offre de cinéma classique dans les salles allemandes ?
C’est un public pas très développé, qu’il faut le dynamiser sans cesse. Nous avons par exemple lancé le label Arthaus Classics voilà deux ans, afin de ramener les œuvres classiques au grand écran. Mais le nombre croissant de nouveautés en salle – on compte désormais près de 15 sorties par semaine -, ne laisse que peu d’espace pour les rééditions. En comparaison, la France apparaît comme un paradis pour ce genre de cinéma.

Pourtant, l’Hexagone est tout autant touché par cette problématique de manque d’espace en salle...
Mais vous avez cette culture du classique, et même un système d’éducation à l’image qui l’encourage. En Allemagne, c’est vraiment compliqué. Nous avons tenté de ressortir Belle de jour de Luis Buñuel en 4K, accompagné d’un vrai dispositif de sortie. Les premières semaines, nous n’avons attiré que 3 000 spectateurs en salle. Nous avons tenté de changer de stratégie avec des sorties évènements, limitée à une seule journée dans tout le territoire. Cela a attiré des spectateurs plus jeunes. Cela fonctionne mieux, et nous avons connu de beaux succès, comme Les ailes du désir (photo) de Wim Wenders, qui a attiré près de 20 000 personnes en salle. Cette année, avec la version définitive d’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola ou encore Léon (The Professionnal) de Luc Besson, nous avons réalisé 12 000 à 20 000 entrées en une seule journée d’exploitation.

Comment le patrimoine cinématographique est-il soutenu institutionnellement ?
Il existe de nombreuses institutions, comme Deutsche Kinemathek, qui soutiennent les ressorties de classiques. Et notamment dans les grandes agglomérations. Mais ces séances ne sont pas aussi répandues qu’en France. Nous sommes nombreux à nous mobiliser pour réintroduire l’empreinte du cinéma classique dans les salles, et nous bénéficions du soutien de la majorité des exploitants.

Y a-t-il une différence nette de résultats au box-office entre les œuvres patrimoniales allemandes et celles du reste du monde ?
Je ne ferais pas ce type de distinction, car cela dépend toujours du film. Nous comptons bien sûr de nombreuses œuvres allemandes qui ressortent chaque année, mais je ne pense pas que le fait qu’elles soient allemandes jouent particulièrement en leur faveur. Prenez Les ailes du désir, l’excellente réception de sa réédition en copie restaurée tient plus du fait que ce fut un grand succès populaire en Allemagne il y a trente ans, plutôt que de sa nationalité. Le désir du cinéphile porte sur le film, et non sur son origine.

Quels grands défis vous attendent encore à l’avenir pour favoriser le cinéma classique outre-Rhin ?
En vidéo, il est nécessaire d’intéresser les grandes plateformes de streaming au cinéma classique. Pour le moment, elles se concentrent surtout sur les dernières nouveautés, quand il ne s’agit pas de leurs propres contenus originaux. Il y a certes de nouveaux acteurs locaux, plus spécialisés, qui se développent, mais ils restent peu significatifs pour le moment.
Un autre challenge réside dans l’éducation à l’image. Ce qui est fait en France à ce niveau est d’ailleurs exemplaire ! En Allemagne, les dispositifs scolaires ne s’agencent pas à la même échelle, et sont plus le fruit d’initiatives singulières que d’une politique culturelle d’envergure. Pourtant, c’est tout ce que l’on peut espérer à l’avenir.

Propos recueillis par Sylvain Devarieux
© crédit photo : Tamasa Diffusion


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