Tribune - "Revenir aux fondamentaux de la chronologie des médias", par Christophe Tardieu
Dans une tribune, l'ancien numéro 2 du CNC (directeur général délégué de 2014 à mars 2019), aujourd'hui à la tête du Domaine de Chantilly depuis décembre dernier, revient sur l' "indispensable " évolution des fenêtres d'exploitation des films.
En ces temps de confinement, me revient en mémoire d’avoir été naguère qualifié – affectueusement – de "Saint Sébastien de la chronologie des médias" pour avoir vainement essayé de négocier avec les professionnels du cinéma une évolution de l’exploitation dans le temps des films. Ce n’est pas tellement le goût du martyre qui m’anime aujourd’hui, mais plutôt celui d’essayer de contribuer, de façon désintéressée, à la réflexion sur l’indispensable évolution de ce système.
Je conserve plusieurs convictions :
D’abord le principe de la chronologie des médias est excellent car il veille à préserver les intérêts de toute la chaîne de l’exploitation des films. Ensuite, l’actuel système, fruit d’un compromis finement négocié par Véronique Cayla il y a une dizaine d’années et qui a réussi la gageure de faire rentrer un édredon dans une valise, doit évidemment évoluer pour tenir compte des évolutions de l’exposition et du financement des films.
Cette évolution doit intervenir rapidement au moment où l’Etat va imposer aux plateformes sur internet de devoir investir dans le financement du cinéma. Si l’on veut que ces dernières puissent accepter – de plus ou moins bonne grâce – d’investir fortement dans le cinéma français, il n’est pas possible de leur demander d’attendre 36 mois – 17 mois pour les plus vertueuses – comme aujourd’hui pour montrer les films. Car les vrais combats sont ailleurs : il faut que les obligations de ces plateformes soient différenciées – avec souplesse – entre cinéma et audiovisuel et que les investissements dans le cinéma se fassent en pré-achat c’est-à-dire en contribuant au plan de financement du film. Ces plateformes ont largement les moyens de le faire.
Ensuite, il serait vain de vouloir faire évoluer ce dispositif si l’on oubliait les grands principes qui doivent servir de tuteurs au système : favoriser l’investissement dans le cinéma, préserver la production indépendante qui garantit la pluralité artistique et soutenir la salle de cinéma qui est le plus bel écrin pour les films, avec un réseau en France d’une exceptionnelle qualité, de loin le premier en Europe.
Le défaut majeur du système est d’enfermer tous les films dans une même série de durée d’exploitation sur une trop longue période – jusqu’à 48 mois –, quels que soient leurs natures, leurs financements et leurs exploitations. Il faut redonner de la souplesse au système en gardant en tête un principe : ceux qui investissent le plus dans le film doivent avoir une priorité de diffusion et être avantagés par rapport à tous les autres.
Aujourd’hui le délai en salle est de 4 mois, avec des exceptions à 3 mois. Un tel délai n’est plus tenable alors que les sorties en salle sont toujours plus nombreuses chaque semaine et que la plupart des films sortent des écrans au bout de 15 jours.
Il ne serait donc pas absurde qu’en deçà d’un certain seuil de spectateurs qu’il conviendrait de négocier, au bout de deux mois, le film puisse connaître un autre mode d’exploitation, en l’occurrence celui de la VAD à l’acte (voire du DVD). Toutefois, quels que soient les mérites de ce mode d’exploitation qui a été terrassé par le piratage, force est de constater que les éditeurs de DVD et de la VAD à l’acte ne contribuent pas de façon importante au financement d’un film. Aussi conviendrait-il de limiter ce mode d’exploitation exclusif à 2 mois mais continuer à rendre la VAD à l’acte accessible en permanence.
La clé du système serait de n’avoir plus, à partir de 4 ou 5 mois après la sortie en salles que 2 fenêtres : celle pour les diffuseurs sur abonnement et celle pour les diffuseurs gratuits, en ne faisant plus de distinction entre le linéaire et le non linéaire.
Ces fenêtres devraient être courtes pour permettre de futures exploitations : 9 mois chacune semblent raisonnables mais ce point serait à négocier. En d’autres termes, le plus gros financeur payant et le plus important financeur gratuit disposeraient de l’exclusivité totale pendant ces fenêtres pour toutes les chaînes ou plateformes de leur groupe. Naturellement, l’absence d’un financeur "payant" permettrait au diffuseur gratuit de prendre la fenêtre du diffuseur payant.
Il y a le cas particulier d’une pluralité de financeurs. S’il est assez rare d’avoir plusieurs financeurs "payants" (on imagine mal un film financé par Netflix et Canal +…), le cas de figure est plus fréquent pour les diffuseurs "gratuits". Dans cette hypothèse la fenêtre gratuite est conservée par le financeur le plus important ainsi qu’aux chaînes de son groupe et le second financeur gratuit diffuserait à la fin de cette fenêtre soit 21 à 22 mois après la sortie en salle, ce qui est déjà un progrès par rapport au système actuel !
Il n’y a plus de raisons de faire une différence entre Netflix et Amazon d’une part, Canal + ou OCS d’autre part, à partir du moment où ils deviennent le principal financeur d’un film en pré-achat. Il serait d’ailleurs logique que les obligations de financement de Canal et d’OCS puissent baisser, même graduellement et sur plusieurs années, pour éviter un trou d’air dans le financement du cinéma français. Celui-ci repose depuis trop longtemps sur les seules épaules de Canal + et il est désormais indispensable que cela évolue. Je suis assez optimiste : rien ne dit qu’en baissant les obligations d’investissement de Canal + voire d’OCS, ces derniers les diminuent réellement, tant leur ADN et leur ligne éditoriale sont liés au cinéma. De toute façon, il est clair que les plateformes sur Internet vont investir de plus en plus dans les films : la réglementation va les contraindre en la matière et surtout il est de leur propre intérêt d’offrir à leurs abonnés la plus grande diversité possible.
Ce système réserve donc aux pré-acheteurs les plus importants l’exploitation du film pendant les 18 premiers mois après la Salle/VAD à l’acte. Mais la vie du film n’est pas finie après ! La loi de 2016 a fixé un principe d’exploitation suivie des œuvres. Les principes édictés en la matière doivent être renforcés pour inciter vivement et fortement les producteurs détenteurs des droits sur le film à exploiter réellement ces derniers à des prix raisonnables. Le médiateur du cinéma qui règle les conflits entre les distributeurs et les salles pourrait voir ses compétences augmenter et arbitrer des potentiels conflits entre producteurs et diffuseurs et surtout faire en sorte qu’aucun film ne puisse être non accessible à partir du moment où un diffuseur s’est manifesté et qu’il est disposé à proposer un prix décent.
Moderniser, adapter, favoriser les investisseurs, tenir compte de l’arrivée des grandes plateformes et assurer une longue vie aux films sont les principes cardinaux de cette réforme indispensable de la chronologie des médias. J’espère surtout que cette réforme radicale du système trouvera d’avantage d’échos et épargne quelques flèches aux futurs négociateurs !
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