Entretien Thierry Frémaux : "Nous allons faire vivre les films de la Sélection 2020" (en accès gratuit)
Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes, évoque, dans un entretien accordé au Film Français, la Sélection officielle 2020 annoncée mercredi, ainsi que l'accompagnement que le Festival lui apportera, et lance quelques pistes pour la suite des événements.
À quel moment est née l’idée de cette sélection 2020 ?
Ça a commencé comme quelque chose de très ludique et de très sérieux à la fois. Des cinéastes nous envoyaient leurs films, notre leitmotiv était : ne pas s’arrêter, ne pas renoncer, continuer. Quand nous nous sommes tous aperçus de la catastrophe, nous nous sommes demandé comment agir. Pour Cannes, l’évidence était là : il fallait préparer une Sélection officielle.
Y avait-il une demande des professionnels ?
Les professionnels nous ont encouragés dans cette voie. Ils nous ont envoyé de nombreux messages d’enthousiasme.
Comment se sont passées les discussions avec les producteurs et distributeurs ?
Très normalement. Nous leur avons expliqué la nouvelle donne. Ils ont apprécié que nous n’abandonnions pas le terrain. Pour le reste, tout le monde veut aller à Cannes, ça n’a pas changé. Enfin, cette année, il ne faut pas dire “à Cannes” mais “avec Cannes”, ce qui est plus touchant encore.
Quelles sont les pistes pour l’accompagner à l’automne ?
Il y a d’abord cette annonce dont la médiatisation est forte, ce qui est réjouissant. Pour la première fois depuis longtemps, on parle de films nouveaux, on parle de cinéma, on parle d’avenir. C’est ce que nous voulions. D’ailleurs, cela a contribué à décider Diaphana de la sortie du Ozon le 14 juillet, dans l’élan de cette annonce. Ainsi, les films français seront dans les salles dès la réouverture.
Ensuite, il y aura, de notre part, un travail de communication numérique, au moment de leur sortie – Cannes est puissant sur les réseaux sociaux et sur internet. Enfin, cet accompagnement sera une présence, une animation dans les festivals, dans les salles, dans les médias, bref, tout ce qui est de nature à faire vivre ces films.
Y a-t-il des cinématographies, dans cette sélection, qui ont été particulièrement émergentes ou frappantes ?
Quand on regarde la liste, on voit la présence de l’Europe du Nord (Danemark, Suède) ou celle des pays de la Méditerranée, dont Israël et Égypte. Le Japon et la Corée confirment qu’ils sont de très grands pays de cinéma. Le plus frappant a été le cinéma français : les propositions étaient nombreuses et de belle qualité. Alors nous avons décidé d’en retenir plus que d’habitude. Il y a là des réalisatrices et réalisateurs qui vont compter à l’avenir. Sinon, Disney nous est resté fidèle avec les films de Wes Anderson et Pete Docter. Si Cannes avait eu lieu normalement, nous espérions pouvoir montrer le nouveau Top Gun avec Paramount. Mais aujourd’hui, tout Hollywood est à l’arrêt.
Et des tendances en termes de genre ou de sujets ?
C’est un exercice toujours délicat : la première tendance, c’est de voir surgir une nouvelle génération, jeune, de plus en plus naturellement paritaire, internationale, et très libre vis-à-vis d’un héritage d’aînés illustres et parfois écrasants. C’est un excellent signal pour le cinéma mondial.
La part d’intime a littéralement envahi cette sélection. “Quels individus sommes-nous, ou avons-nous le droit d’être, au cœur des différentes sociétés” a été la façon majoritaire dont les cinéastes ont abordé les sujets de leurs films. Avec cette question : “si nous apprenons à savoir qui nous sommes, il y a un espoir de bâtir une autre société.” Ça résonne étonnamment avec le confinement… Nous avons vu des films où les héros veulent se libérer, à n’importe quel âge, peu importe le statut social. Des gens qui acceptent de tout perdre et de remettre en cause tout ce qu’ils possèdent.
Et puis les grands courants de l’animation seront présents : le Manga, le genre européen ou l’animation stylisée politique, la tradition entertainment et sociologique 3D Pixar ou le monde réel vu par un regard fantastique.
Vous avez reçu plus de 2 000 films, un record. Avez-vous une explication ?
Comme chaque année, la production mondiale se concentre à Cannes. Nous flirtions avec les 2000 depuis longtemps. Mais il n’y a pas de cause à effet avec la crise sanitaire ! Après, je le répète chaque année, ces films n’ont pas tous le niveau de Cannes.
Vous attendez-vous à ce que ce chiffre baisse en 2021, avec le gel des productions ?
Sur le plan mondial, on peut penser que ce chiffre va baisser oui, puisque les tournages sont arrêtés, que la situation économique est devenue très fragile. Pour Cannes, je n’ai pas d’inquiétude, nous aurons de nombreux films. Et nous en trouverons 60 pour faire la Sélection de la 74e édition.
Outre Benedetta, combien y a-t-il de films qui ont fait le pari de 2021 ?
Je ne vous le dis pas, vous tenteriez d’en chercher les titres ! Cela dit, c’est difficile à savoir. Mais la première conséquence est que le processus de sélection 2021 débutera plus tôt, dès le mois de novembre. Cela dit, je précise que Benedetta était déjà sélectionné en compétition en 2020, il le sera donc l’année prochaine. Les autres ont tous accepté humblement de repartir à l’assaut de la sélection 2021. Ça promet !
Que certains films aient fait le choix de miser sur Cannes 2021, libérant ainsi des places, pourrait-il permettre à certains cinéastes de se révéler à travers cette édition ?
Disons que le fait que cette Sélection ne se déroule pas sur 12 jours avec 50 000 festivaliers au même endroit, pour la célébrer et la critiquer, nous a offert quelques libertés. Par exemple, il y a plusieurs comédies, genre rare à Cannes car toujours plus sévèrement jugé. Là, en salle, elles vont faire merveille. C’est la même chose pour les premiers films, qui sont nombreux. Nous avons pu prendre des risques et faire quelques essais. Ça va être passionnant de voir le destin de ces films, non plus en projection au Palais des festivals, mais dans les salles.
Vous évoquez dans votre texte publié à la veille de l’annonce de la sélection des discussions avec Locarno et un accord avec San Sebastián. Y a-t-il d’autres festivals qui pourraient se joindre à Cannes pour mettre en lumière sa sélection ?
Oui, nous parlons avec les festivals qui nous suivent : Deauville, Toronto, Pusan, San Sebastián qui accueilleront les films de Cannes. D’autres festivals, en France et à l’étranger, nous ont envoyé des invitations, à notre grande surprise. Nous allons passer l’été à organiser tout ça.
Y aura-t-il des passerelles avec le festival Lumière ?
Oui, le festival Lumière accueillera tout ou partie de Cannes Classics, puisque le cinéma de patrimoine est sa vocation. Et la programmation ménagera de la place pour faire de nombreuses avant-premières pour les films de la Sélection.
Y aura-t-il une articulation entre cette sélection et le Marché ?
Jérôme Paillard a pris la bonne décision d’organiser un marché en ligne. Autant nous ne voulions pas d’un “festival en ligne”, autant rassembler les professionnels était une bonne solution. Et le succès est là : 6 000 participants, des colloques en ligne, des interventions, des invités. Et en prime Thierry Breton, commissaire européen en charge du Marché intérieur et du Numérique qui débattra avec Pierre Lescure.
Pas de polémique Netflix cette année ?
Non. D’avoir choisi de soutenir les films qui sortent en salle exclut de facto les autres. Si Cannes avait eu lieu normalement, nous aurions pu montrer, en séance spéciale, le film que Spike Lee a réalisé pour la plateforme. Celui-ci sera montré sur Netflix le 12 juin, la question ne se pose plus !
Qu’en est-il de la présidence ?
Ce mercredi 3 juin, Pierre Lescure a été réélu pour son troisième mandat. Le secret de Cannes, c’est la stabilité ! Pierre a annoncé vouloir en faire un mandat de transition, un mandat de succession afin de préparer l’avenir. Car nous allons beaucoup travailler, beaucoup consulter pour réfléchir au futur de Cannes. Nous vous en dirons plus l’hiver prochain
Laurent Cotillon
© crédit photo : Marcel HartmannVous avez déjà un compte
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