Congrès FNCF 2020 - Richard Patry : "Le secteur dans son ensemble est très fragilisé"
À l’occasion de la 75e édition du Congrès de la Fédération nationale des cinémas français, organisée du lundi 21 au jeudi 24 septembre à Deauville, son président évoque les problématiques de l'exploitation dans ce contexte de crise sanitaire.
À l’aune de la crise sanitaire, de nombreux exploitants se retrouvent aujourd’hui dans une situation financière compliquée, voire dramatique. Les 165 M€ annoncés par Jean Castex pour le réarmement financier du CNC suffiront-ils à relancer la machine ?
Ce budget a déjà le mérite d’exister. Après, tout dépendra de la manière dont il sera utilisé. En faveur des salles, mais aussi des autres secteurs de la filière. Il y a un point essentiel : le cinéma français, ensemble, doit construire l’après-Covid-19. Or, depuis le début de la crise, les liens entre les professions du cinéma se sont distendus, chacun se concentrant sur ses propres difficultés. La fermeture des salles a eu le mérite de démontrer à tous que, sans elles, l’économie du cinéma en France n’existait plus. Et inversement, bien sûr, les salles ne sont rien sans les films. L’ensemble de la filière doit donc se réunir pour porter au plus haut ce modèle exceptionnel qui est le nôtre. Il faut le protéger, le développer, trouver de nouveaux moyens de financement.
Quel ordre de priorité doit, selon vous, être accordé à l’exploitation dans ce plan de relance ?
Le CNC doit, plus que jamais, jouer son rôle de médiateur, de régulateur, afin d’éviter que chacun soit dans le "take the money and run". Il faut s’assurer que personne ne soit abandonné. Au sein de l’exploitation, nous n’allons pas demander plus que ce dont nous avons besoin. Mais nous aurons besoin de beaucoup. Nous avons joué le jeu de la reprise, plusieurs distributeurs aussi. Pour tous ceux-ci, il va falloir trouver des moyens d’éponger l’endettement massif généré. Ne soyons pas dupes : nous fonctionnons à perte depuis la réouverture. Pas une salle de cinéma, quelle que soit sa "catégorie", n’a équilibré son activité depuis le 22 juin.
Dans ce contexte, quelles sont vos principales demandes ?
L’idée est de mobiliser des financements pour tenir jusqu’au jour où le public reviendra en nombre suffisant pour nous permettre de retrouver un équilibre économique. C’est notre priorité. Par ailleurs, si nous avons réalisé plus de 213 millions d’entrées en 2019, c’est parce que les exploitants investissent massivement pour préserver l’état du parc. Or cette crise a entraîné un arrêt brutal des investissements. Le risque est donc de se retrouver, comme dans les années 1970, avec un parc figé, qui vieillit, dont la qualité des salles et de l’accueil se dégrade au point de devenir moins attractif. Dans ces conditions, la crise s’installerait dans la durée et nous mettrions au moins dix ans à en sortir. Il faut donc réarmer les salles, avec des mesures basées sur le compte de soutien, afin qu’elles continuent de se développer. Nous avons la chance d’avoir cette colonne vertébrale que forme le soutien automatique. Or, sans spectateurs, pas de TSA, et donc pas de droits acquis ni de possibilité d’investir, ce qui conduirait à l’écroulement du système. Il faut donc renforcer ce dispositif.
Au regard des spécificités du parc français, certaines catégories de salles sont-elles plus fragilisées que d’autres ?
Le secteur dans son ensemble est très fragilisé. La difficulté économique n’est pas catégorisable, mais elle diffère évidemment en fonction des types d’exploitations. Certaines souffrent encore plus que d’autres : toutes les salles qui ont ouvert depuis le début de l’année, ou qui sont sur le point de le faire, se retrouvent dans le pire scénario imaginable. D’autant que la plupart ne bénéficie pas de compte de soutien. Nous allons donc demander une aide spécifique à cette situation. Par ailleurs, la solution proposée pour les loyers n’est pas la bonne. Certains bailleurs réclament toujours des loyers, même sur la période de fermeture. Cette problématique, qui concerne beaucoup de salles de circuit et d’établissements de centre-ville de toutes catégories, constitue une véritable inquiétude. Il y a, aussi, les établissements en pleine phase de remboursement d’emprunts, avec de fortes annuités et d’importants coûts de suspension des échéances, faute de trésorerie pour les régler. Enfin, les salles adossées à des collectivités territoriales seront à terme aussi très exposées en cette période de raréfaction des moyens publics. Les arbitrages budgétaires des collectivités territoriales en période de crise pourront, en effet, se faire au détriment du service public du cinéma. Il faudra aussi que les collectivités s’engagent pour garantir qu’aucune fermeture n’intervienne.
Y a-t-il justement des risques de fermeture dans les mois à venir ?
Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour l’empêcher. La fédération se battra jusqu’au bout pour qu’aucun cinéma ne soit laissé sur le bord du chemin. Par ailleurs, nous savons qu’il va falloir faire des efforts, des sacrifices, pour reconquérir le public, faire des économies, optimiser nos fonctionnements, le tout sans faire de concession sur la qualité de l’accueil et de la projection évidemment.
Quel impact peut selon vous avoir, en termes de fréquentation, la combinaison du port du masque et de la distanciation physique pour les établissements situés en zone de circulation active du virus ?
Nous sommes convaincus que le port obligatoire du masque en salle couplé aux mesures de distanciation sociale dans les zones rouges forme une mesure discriminante pour le secteur culturel, et les salles de cinéma en particulier. Si la situation sanitaire l’impose, pourquoi ne pas l’appliquer partout ailleurs ? Les trains, les écoles, les restaurants et presque tous les autres lieux de vie où le masque est obligatoire n’appliquent pas cette distanciation. Pour autant, notre problématique première demeure de rassurer les spectateurs. Et, comme le relèvent certains de nos collègues, nous les rassurons par ces mesures. La cohabitation de deux systèmes, avec de grandes disparités entre les zones rouges et vertes, constitue en tout cas une réelle difficulté. Cela brouille le message auprès des spectateurs. Nous demandons l’unification des mesures dès que cela sera possible sur tout le territoire, en faveur du masque obligatoire mais sans distanciation sociale.
Durant l’été, plusieurs films français initialement prévus en salle ont été vendus à Amazon Prime Video et Netflix, tandis que quelques studios ont décidé de lancer directement leurs titres en PVàD ou sur leur propre plateforme, comme Mulan sur Disney+. Vous avez d’ailleurs eu des mots très durs à propos de Disney, déclarant au Parisien : "Ils nous abandonnent, ce sont des lâches"…
Nous ne souhaitons plus polémiquer avec Disney sur ce sujet, les choses ont été dites. Concernant les films français vendus aux plateformes, j’espère que ce phénomène restera très conjoncturel pour les entreprises qui y ont participé, même si cela ne nous a évidemment pas fait plaisir. L’amorce d’un nouveau modèle me semble d’ailleurs peu probable. D’abord, car les plateformes n’auront pas toujours les moyens de payer des films aux prix auxquels ces acquisitions ont été réalisées. Ensuite, parce que l’essence même de notre filière est basée sur l’addition des recettes dans les différents médias. C’est essentiel pour le bon financement de notre secteur. Or je ne vois pas comment une plateforme pourrait remplacer à elle seule les recettes salle, celles de la vidéo, les achats des télés payantes et gratuites… Il est donc nécessaire d’attaquer franchement la problématique du financement du système par les plateformes de streaming, qui restent les grandes gagnantes de cette crise.
Propos recueillis par Kevin Bertrand et Sylvain Devarieux
© crédit photo : ManoVous avez déjà un compte
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