Congrès FNCF 2020 - Line Davoine : "Les aides apportées au secteur ne doivent et ne peuvent exclure personne"
La présidente de la commission de branche de la grande exploitation de la FNCF revient sur les problématiques auxquelles ses membres font aujourd’hui face, appelant de ses vœux des mesures exemptes de "discrimination".
Beaucoup d'observateurs pointent une chute de fréquentation très prononcée au sein de la grande exploitation, en particulier concernant les multiplexes de périphérie. Comment la branche se situe-t-elle par rapport à la tendance nationale, mesurée par le CNC à -66,5% (par rapport à 2019) pour les mois de juillet et août ?
À fin août, la baisse de fréquentation de la grande exploitation était supérieure à celle de la moyenne nationale sur l’année 2020, à -66% contre -63,5%. Cette baisse est donc plus forte que celle des moyenne et petite exploitations, ou du panel art et essai qui résiste mieux avec un recul de 55%. Les multiplexes, et notamment ceux situés en périphérie, fortement dépendants des blockbusters, ont passé un été très difficile, avec une chute de fréquentation pouvant aller dans certains cas jusqu'à -75% sur juillet-août. En outre, la réduction du nombre de films distribués est un problème qui affecte tous les cinémas, mais plus encore bien évidemment ceux qui comptent un grand nombre de salles, car l'offre actuelle ne permet pas un renouvellement suffisant de leur programmation.
On a souvent tendance à présenter la grande exploitation, et en particulier les circuits, comme plus résistants à ce type de crise en raison de l'importance de leurs moyens financiers. Qu'en est-il réellement, alors qu'à l'étranger plusieurs groupes se retrouvent au bord de la faillite ?
Méfions-nous des clichés ! Cette crise est inédite et touche uniformément tous les cinémas. Ceux qui ont habituellement des niveaux de charges élevés, ce qui est souvent le cas des cinémas de la grande exploitation, sont forcément plus impactés car ils ne peuvent pas réduire leurs charges en proportion de la baisse du chiffre d’affaires. À cela s'ajoute le fait que la grande exploitation a investi ces dernières années, et s'est donc endettée. En valeur absolue, ce sont des sommes considérables qui sont perdues par ces opérateurs. C’est pour cela que les aides apportées au secteur ne doivent et ne peuvent exclure personne. Mais la situation en France est particulière : l’État a déployé des moyens importants pour l’ensemble des entreprises, tous secteurs confondus, afin qu’elles évitent la faillite, qu’elles ne licencient pas leurs salariés. En cela, notre situation diffère énormément des pays voisins, sans même parler des États-Unis, et nous pouvons espérer qu'il y ait chez nous beaucoup moins de cinémas ou de circuits en situation critique.
Bon nombre de membres de la branche ont de fortes difficultés à négocier leur(s) loyer(s) avec leur(s) bailleur(s), notamment lorsqu'ils sont installés au sein de centres commerciaux. Quelle importance cette problématique revêt-elle aujourd'hui pour la grande exploitation ? Craignez-vous que certaines salles soient, en conséquence, contraintes de fermer leurs portes ?
La charge des loyers et la complexité des baux, dans les centres commerciaux, ne sont pas des éléments nouveaux. La loi Audiovisuel de 1991 cherchait déjà à maîtriser cette charge que la crise rend encore plus insupportable. Pour les cinémas concernés, c’est un facteur supplémentaire de tension économique, car il s’agit d’une charge fixe que l’on ne peut pas ajuster au niveau des recettes. Il est toutefois très difficile de dresser un état des lieux précis sur ce sujet, car chaque bail fait l'objet d'une négociation confidentielle entre le bailleur et le locataire. Nous espérons qu'aucun cinéma ne sera contraint de fermer ses portes à cause de ce facteur aggravant.
Alors que Jean Castex a annoncé fin août le réarmement financier du CNC à hauteur de 165 M€, quels chantiers doivent selon vous être adressés en priorité pour l'exploitation, et pour la branche en particulier ?
Faut-il penser branche ? Nous ne le croyons pas. La complexité de la situation est telle qu'elle nécessite une réponse globale, pour tous les cinémas. Il faut un ensemble d'aides pour assurer la pérennité de tous les établissements du secteur, parce que ce sont des entreprises avec 15 000 emplois à la clé, mais aussi parce que l’économie du cinéma est en bonne partie assise sur les centaines de millions d’euros que les salles remontent vers les ayants droit. Nous attendons des mesures claires et précises, mises en œuvre rapidement compte tenu de la gravité et de l’urgence de la situation, qui ne reposent pas sur l'exclusion de certains au prétexte de leur taille. Les pertes engendrées par la crise actuelle sont proportionnelles à la taille des cinémas, les plus gros ne sont pas moins touchés que les plus petits, voire le contraire. Nous attendons donc, en priorité, le maintien du dispositif d'activité partielle au-delà de 2020, avec un taux de prise en charge à 100%, ainsi que l'accès aux aides issues du plan de relance de l’économie dans les mêmes proportions que l’ensemble des cinémas, sans discrimination. En outre, alors que la situation du secteur est préoccupante, ces mesures d'aide ne doivent pas être liées à des contreparties sans rapport avec la crise actuelle. Chacun, quelle que soit sa taille ou son statut, fait face à des enjeux économiques qui lui sont propres, mais ceux des uns ne sont pas moindres que ceux des autres. Cessons de croire que le pré du voisin est plus vert et que la taille d'une entreprise est une assurance tous risques.
Lors de l'annonce du port du masque obligatoire à l'intérieur des salles, de nombreux commentaires désobligeants ont fleuri sur les réseaux sociaux, en particulier sur les pages de cinémas de circuits. Quelle a finalement été la réaction concrète des spectateurs dans les salles ?
Contrairement à ce que l'on pouvait légitimement craindre, les spectateurs ont en réalité, dans leur très grande majorité, plébiscité le port du masque. Cela les a même rassurés. Les messages sur les réseaux sociaux ne sont pas représentatifs de la majorité de nos spectateurs.
Malgré ce contexte difficile, êtes-vous confiante pour les mois à venir ?
Les exploitants ont toujours su s'adapter, et le public nous montre qu'il a toujours envie d'aller au cinéma lorsque les films sont là. Nous subissons l'évolution de l'épidémie et la stratégie des distributeurs, américains notamment, sans aucune prise sur ces facteurs, ce qui rend l'horizon des prochains mois très brumeux. Mais si le CNC, les pouvoirs publics, les collectivités territoriales et la filière dans son ensemble s'associent pour que le cinéma reste le loisir préféré des Français, alors oui, il y a de quoi être confiante.
Propos recueillis par Kevin Bertrand
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