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Cinéma

Cannes 2021 - Nathalie Álvarez Mesen réalisatrice de 'Clara Sola' : "Parler des normes patriarcales qui se transmettent, même sans hommes"

Date de publication : 08/07/2021 - 18:05

Présenté à la Quinzaine des réalisateurs, ce premier long métrage a été entièrement tourné au Costa Rica, pays natal de la réalisatrice.

Pouvez-vous nous parler de votre carrière de réalisatrice ?
Avant de réaliser Clara Sola, je n'avais tourné que des courts métrages, à la fois dans le cadre des écoles que je fréquentais et de manière indépendante. Après avoir réalisé des films en Suède et aux États-Unis, j'avais hâte de retourner au Costa Rica, où j'ai grandi, et de tourner mon premier long métrage en espagnol.
 
Comment présenteriez-vous Clara Sola en quelques mots ?
C’est un drame avec un soupçon de réalisme magique, qui se déroule au Costa Rica. Nous sommes invités à suivre le voyage d'une femme qui cherche à se libérer de l'oppression sociale et religieuse, ce qui la conduit à un éveil sexuel et mystique très lié à la nature.
 
D’où vous est venue l'idée de ce film ?
Les personnages s'inspirent d'un mélange de photographies et de peintures, notamment d'artistes comme la peintre suédoise Karin Broos. Mais le voyage qu'ils effectuent et les thèmes abordés découlent de la nécessité de parler des normes patriarcales qui se transmettent comme une tradition, même dans les foyers où aucun homme n'est présent - d'une génération de femmes à la suivante. J'ai grandi avec cela en Amérique latine, mais ce sont malheureusement des schémas universels qui trouvent souvent leurs racines dans la religion. Je me suis intéressée au rôle que les femmes doivent jouer dans la société et à ce qui se passe lorsque la nécessité de jouer un rôle est supprimée - comme cela se passe lorsque nous sommes seuls dans la nature. C'est de là qu'est née Clara, un personnage sans véritable filtre, qui se considère comme faisant partie de la nature et non comme en étant séparée.
 
Comment avez-vous élaboré le scénario ?
Le scénario a été développé et écrit avec Maria Camila Arias de manière assez conventionnelle, sauf que nous avons travaillé par skype pendant plusieurs années, même si c'était avant la pandémie. À ce jour, nous ne nous sommes rencontrées que trois jours dans la vie réelle, ce qui est assez amusant. En outre, le scénario a été soumis à plusieurs ateliers d'écriture, avec le soutien de mentors incroyables. Plus tard, même les acteurs et le lieu de tournage ont influencé le scénario.
Même si cela ne fait pas partie du processus d'écriture à proprement parler, j'aime aussi mettre l’accent sur le montage du film. Avec Marie-Hélène Dozo, nous avons retravaillé le matériau pour qu'il prenne la forme qu'il a aujourd'hui. Le film est donc en réalité un véritable travail d'équipe.
 
Nima Yousefi (Hobab) était votre première partenaire de production. Comment les autres sont-ils arrivés ?
Nima est là depuis le tout début. Quand il est arrivé à bord, Clara Sola n'était qu'un synopsis d'une page portant le même titre qu'aujourd'hui, mais il a cru suffisamment en l'histoire et en moi en tant que réalisatrice pour commencer ce voyage avec moi. Ensemble, nous avons été assez têtus pour faire en sorte que cela se produise. Avec le temps et la patience, nous avons trouvé des partenaires aussi passionnés que nous par l'histoire - à travers des recherches, des ateliers, des marchés, des festivals... Cela a pris du temps, mais au final, chaque personne derrière ce film y tient profondément et a protégé sa vision première, y compris parfois contre moi. C'est un long processus, au cours duquel on peut s’épuiser. Il est essentiel d'avoir les bons partenaires qui vous rappellent constamment quelle était l’essence du projet à son origine.
 
Combien de temps a duré le développement du film et quelles ont été les étapes les plus importantes ?
Ce fut un long chemin. L'étape la plus importante a été de choisir de tourner au Costa Rica, bien que le pays dispose d'un soutien financier très modeste.  Mais c'était la bonne chose à faire aussi bien pour l'histoire que pour moi personnellement. Nous avons donc compensé ce qui a pu nous manquer en termes de budget, par du temps supplémentaire et d'excellents partenaires sur place et dans d'autres pays.
 
Comment avez-vous choisi votre actrice ?
Je savais dès le départ que je voulais une danseuse pour jouer Clara. Même si elle est un personnage très immobile, elle a une vie énorme en elle, et une personne avec une large gamme de mouvements et une conscience corporelle était indispensable. J'ai assisté à de nombreux spectacles de danse pendant le processus de casting et en voyant Wendy Chinchilla Araya, j'ai été subjuguée. Nous l'avons invitée à auditionner et c'est la deuxième personne que nous avons vue. Je joue toujours avec les acteurs lors de mes auditions et il était clair, en jouant avec elle, que nous avions trouvé notre Clara avant même de la voir à l'écran. Mais elle avait 10 ans de plus que le personnage du scénario, alors nous avons continué à chercher quelqu'un d'autre et avons continué à appeler Wendy pour des rappels parce que la façon dont elle incarnait le personnage était inoubliable. Cela nous a amenés à réécrire le scénario pour elle et à réaliser que cela rendait l'histoire plus intéressante. Le rôle était fait pour elle.
 
Votre expérience au théâtre vous a-t-elle conduit à adopter une méthode particulière de travail sur le plateau avec vos acteurs ?
Ma formation en théâtre me pousse à accorder beaucoup d'importance au travail des acteurs. Mais pour ce film, nous avons travaillé exclusivement avec des non-acteurs dans les rôles principaux. À l'exception de Wendy qui dansait, personne n'avait fait quoi que ce soit en rapport avec la comédie auparavant. J'ai travaillé avec un coach d'acteurs, Carlos "Fagua" Medina, pendant les répétitions pour aider nos "acteurs naturels" à se sentir ouverts à la vulnérabilité les uns envers les autres et à explorer les personnages et leurs arcs dramaturgiques. Pour développer une dynamique de groupe, nous avons travaillé avec des improvisations théâtrales et des jeux.
Avec Wendy, la construction du personnage était cependant différente, car Clara est très éloignée d'elle sur le plan physique. Je l’ai donc beaucoup aidée à créer des images intérieures qui se reflétaient sur son corps et son expression. L'image la plus récurrente que nous utilisions était "le loup". Nous pouvions augmenter ou diminuer le volume de son loup profond en fonction de la situation. L'autre image était "les petites racines qui enserrent le corps", ce qui l'aidait à maîtriser son incroyable mobilité et à livrer une performance intérieure très émouvante de l’intérieur.
 
Où et quand le tournage s'est-il déroulé ?
Nous avons tourné au début de 2020 à Vara Blanca, au Costa Rica. Nous avons terminé le tournage la même semaine que la pandémie a atteint le pays. Heureusement, nous étions suffisamment isolés et avons pu terminer avec les bonnes précautions, mais nous sommes sortis du tournage dans un monde différent et directement en quarantaine. La pandémie nous a définitivement ralentis en postproduction, mais nous sommes heureux d'avoir réussi à nous en sortir et que Clara sorte dans un monde qui commence lentement à guérir.
 
Des difficultés particulières ?
Tourner dans la nature comporte des défis - boue, animaux, crottes, rivières puissantes et météo changeante. Mais en fin de compte, la plupart des choses qui semblaient difficiles ont fini par ajouter de la magie au film.
 
Une anecdote qui vous reviendrait en mémoire ?
Lors du tournage, la directrice artistique, Amparo Baeza, a eu l'idée que le personnage devait avoir des vêtements différents sous l'eau et au-dessus de l'eau - pour renforcer la poésie. J'ai adoré cette idée, mais c'était un risque. Je ne savais pas si cela fonctionnerait dans la salle de montage et il n'y avait pas assez de temps pour faire deux versions différentes du plan. Mais l’un des producteurs, Alan McConnell, a dit que dans ce genre de situation, il fallait privilégier la prise de risque. Nous avons donc opté pour la poésie et aujourd'hui, nous en sommes tous heureux.
 
Qu'attendez-vous de cette sélection cannoise ?
J'espère que cela donnera un coup de pouce au film, lui permettra de toucher un public plus large après le Festival. J'ai hâte qu’il sorte sur grand écran - il est fait pour ça !  Mais j'espère aussi qu'il éveillera la curiosité pour le cinéma d'Amérique centrale en général et qu'il encouragera d'autres coproductions entre l'Europe et les pays qui ont peu d’argent pour la culture. Je suis incroyablement reconnaissante que ce film puisse représenter la Suède tout en étant si costaricien à l'écran. Ce type de collaboration est extrêmement importante pour faite naître des histoires toujours plus diverses.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo :


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