Cannes 2022 – Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor, réalisateurs de "De Humani Corporis Fabrica" : "Si nous savions de quoi parlent nos films, nous ne nous tuerions pas à les faire"
Date de publication : 23/05/2022 - 16:12
Le nouveau film de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor, anthropologues au Sensory Ethnography Lab, fait référence au traité d'anatomie humaine, rédigé entre 1539 et 1542 par Andreas Vesalius. Il été sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs.
Ce film s’inscrit-il dans un cycle ouvert par Somniloquies et Caniba ?
S’il y a un lien, des liens, ils sont inconscients. Chaque nouveau projet est un essai de renouvellement, mais il doit évidemment y avoir des sédiments, des résidus des autres films, et surtout nos inconscients.
S’il y a un lien, des liens, ils sont inconscients. Chaque nouveau projet est un essai de renouvellement, mais il doit évidemment y avoir des sédiments, des résidus des autres films, et surtout nos inconscients.
Comment présentez-vous votre film en quelques mots ?
Réalisme cosmique.
Réalisme cosmique.
N’est-ce pas difficile de convaincre un producteur de partir avec vous sur un tel projet ?
Un film sur le corps c’est plutôt rassurant au contraire, puisqu’on a tous un corps. En tout cas nous n’avons pas eu de problème non.
Un film sur le corps c’est plutôt rassurant au contraire, puisqu’on a tous un corps. En tout cas nous n’avons pas eu de problème non.
Avez-vous une méthode de travail particulière ?
Nous n’avons jamais écrit une ligne. Notre méthode c’est de filmer pendant de longues années, de chercher, jusqu’a ce que nous puissions nous étonner de nos propres images. Mais ça peut prendre du temps.
Nous n’avons jamais écrit une ligne. Notre méthode c’est de filmer pendant de longues années, de chercher, jusqu’a ce que nous puissions nous étonner de nos propres images. Mais ça peut prendre du temps.
Vous avez tourné énormément, accumulé beaucoup de matériau ?
Oui, 5 ans de recherche, peut-être 500 heures de rushes.
Oui, 5 ans de recherche, peut-être 500 heures de rushes.
Quel a été votre fil conducteur tout au long du tournage, puis du montage ?
Aucun, nous ne savons jamais vraiment ce que nous faisons quand nous filmons. Et quand le film sort, on essaie de le comprendre. Ca aussi ça peut prendre du temps.
Aucun, nous ne savons jamais vraiment ce que nous faisons quand nous filmons. Et quand le film sort, on essaie de le comprendre. Ca aussi ça peut prendre du temps.
Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
Non, l’hôpital s’est avéré très hospitalier et le corps médical très ouvert sans mauvais jeu de mot. Les difficultés sont toujours techniques chez nous, car nous gardons un côté amateur.
Non, l’hôpital s’est avéré très hospitalier et le corps médical très ouvert sans mauvais jeu de mot. Les difficultés sont toujours techniques chez nous, car nous gardons un côté amateur.
Qu’attendez-vous de cette sélection à la Quinzaine des réalisateurs ?
Cela peut sembler improbable, mais si nous savions de quoi parlent nos films, nous ne nous tuerions pas à les faire. Nous sommes des êtres post-verbaux, des anthropologues anonymes, comme on parle d’alcooliques anonymes, qui cherchent une issue à leur dépendance qu'ils savent toxique. Nous accordons beaucoup plus d'importance à notre instinct, à notre intuition et à notre inconscient qu'à toute intentionnalité dont nous sommes conscients. Les films qui cherchent à transmettre un « message » ou à raconter une « histoire » nous semblent souvent pathétiques : comme si le monde pouvait être circonscrit dans le récit. Honnêtement, nous manquons de mots pour décrire nos films tels que nous les faisons. Nous ne sommes pas sûrs de ce que nous recherchons pendant le tournage, ni même pendant le montage, ni même quand nous estimons que c’est fini, que le film est là. Ce n'est qu'en interagissant avec le public, les publics, que nous commençons à comprendre, de manière discursive ou consciente, quels types d'objets nous étions en train de fabriquer. La réalité est infiniment intéressante, alors que les films, souvent ne le sont pas, et ce n'est que lorsque nous voyons quel genre de sens et de non-sens les spectateurs font de nos films que nous commençons à saisir la manière dont notre film révèle certains aspects infimes de la réalité. Un autre cinéaste a également dit un jour qu"il est presque impossible de faire un film à la hauteur de l'intelligence de ses spectateurs". Cela aussi est vrai. Et ce n'est qu'en témoignant des réactions des spectateurs que l'on peut mesurer honnêtement en quoi un film incarne ou n'incarne pas la réalité de manière nouvelle ou originale, et échappe à la façon dont toute représentation se fige au fil du temps en convention. Si nous avons une quinzaine de spectateurs qui partagent leurs réactions au film, nous serons au courant de 15 interprétations différentes de ce dont parle le film - ce qui revient à dire 15 films différents - 15 êtres différents, 15 impositions différentes de sens sur la grandeur infinie de l’être.
Cela peut sembler improbable, mais si nous savions de quoi parlent nos films, nous ne nous tuerions pas à les faire. Nous sommes des êtres post-verbaux, des anthropologues anonymes, comme on parle d’alcooliques anonymes, qui cherchent une issue à leur dépendance qu'ils savent toxique. Nous accordons beaucoup plus d'importance à notre instinct, à notre intuition et à notre inconscient qu'à toute intentionnalité dont nous sommes conscients. Les films qui cherchent à transmettre un « message » ou à raconter une « histoire » nous semblent souvent pathétiques : comme si le monde pouvait être circonscrit dans le récit. Honnêtement, nous manquons de mots pour décrire nos films tels que nous les faisons. Nous ne sommes pas sûrs de ce que nous recherchons pendant le tournage, ni même pendant le montage, ni même quand nous estimons que c’est fini, que le film est là. Ce n'est qu'en interagissant avec le public, les publics, que nous commençons à comprendre, de manière discursive ou consciente, quels types d'objets nous étions en train de fabriquer. La réalité est infiniment intéressante, alors que les films, souvent ne le sont pas, et ce n'est que lorsque nous voyons quel genre de sens et de non-sens les spectateurs font de nos films que nous commençons à saisir la manière dont notre film révèle certains aspects infimes de la réalité. Un autre cinéaste a également dit un jour qu"il est presque impossible de faire un film à la hauteur de l'intelligence de ses spectateurs". Cela aussi est vrai. Et ce n'est qu'en témoignant des réactions des spectateurs que l'on peut mesurer honnêtement en quoi un film incarne ou n'incarne pas la réalité de manière nouvelle ou originale, et échappe à la façon dont toute représentation se fige au fil du temps en convention. Si nous avons une quinzaine de spectateurs qui partagent leurs réactions au film, nous serons au courant de 15 interprétations différentes de ce dont parle le film - ce qui revient à dire 15 films différents - 15 êtres différents, 15 impositions différentes de sens sur la grandeur infinie de l’être.
Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : DR
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