Cinéma

Lumière MIFC 2022 - Caroline Champetier : "Chaque plan a une histoire"

Date de publication : 19/10/2022 - 08:25

Ayant travaillé avec des cinéastes particulièrement exigeants, de Jean-Luc Godard à Chantal Akerman en passant par Claude Lanzmann, Jacques Doillon et Leos Carax, la cheffe opératrice Caroline Champetier a toujours été sensible au sujet de la restauration. Mauvais sang, sur lequel elle est intervenue, est d’ailleurs projeté à Lumière.

Lors du dernier Micro Salon, en avril, a été abordé le sujet de la restauration. Est-ce que cela a permis depuis de faire avancer la réflexion chez les chefs opérateurs ?
Je n’en suis pas certaine car, malheureusement, peu d’opérateurs sont venus à cette conférence. Il semble que la restauration ne soit pas encore un sujet pour le plus grand nombre alors que, peut-être à cause des cinéastes avec qui j’ai travaillé (Godard, Rivette, Lanzmann…), j’y suis particulièrement sensible. Avec l’évolution de la production et de la distribution des films qu’imposent les plateformes, le cinéma allant du néo-réalisme italien au cinéma d’auteur jusqu’à la fin des années 1980 s’apparente à l’impressionnisme en peinture, une période qui fondera la culture du cinéma. Donc tout le monde voudra voir et revoir ces œuvres, soit en salle quand ce sera possible, soit sur plateforme. Il faut donc les restaurer dans les normes de ces nouveaux supports et c’est un travail qui demande éthique et réflexion. Or la restauration est un monde opaque car, souvent, on ne sait pas comment les films ont été conservés, quels éléments sont utilisables, quelles sont les copies de références sur lesquelles nous pouvons nous baser. Il faut avancer avec précaution, cela prend du temps.

Vous-même aviez présenté une étude de cas autour de la restauration de L’amour fou de Rivette. Est-ce qu’on vous sollicite souvent sur des restaurations ?
J’ai commencé dès que le plan d’aide à la restauration numérique des films d’avant 2000 a été lancé par le CNC, entre autres sur Shoah de Claude Lanzmann. Les droits étaient chez Why Not Productions, dont je suis proche. Avec Thomas Rosso, qui était notamment en charge du patrimoine chez Why Not, nous avons travaillé avec deux laboratoires, l’un pour le scan des 9 heures du négatif monté et le nettoyage, l’autre pour l’étalonnage. C’était une bonne chose de travailler de la sorte car ces deux labos s’émulaient l’un l’autre. J’ai poussé pour un scan 4K alors que le film a été tourné en Super 16. Personne n’y voyait d’intérêt alors qu’aujourd’hui, le 4K est une norme dans la restauration. Nous avons travaillé pendant un an. Philippe Touret, ancien étalonneur puis conseiller technique, a été très vigilant car nous avions conscience de restaurer pour les générations futures. Cette restauration a été saluée à Berlin lorsqu’un Ours d’or a été remis à Claude Lanzmann.

Avez-vous autres exemples de restauration sur lesquelles vous seriez intervenue de façon concrète ?
J’ai également restauré beaucoup de longs métrages tournés avec Why Not Productions : N’oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvois, Le vent de la nuit de Philippe Garrel, La sentinelle d'Arnaud Despleschin. Plusieurs films de Jacques Rivette à la demande de Véronique Maniez Rivette, notamment La bande des quatre que j’avais photographié et certains films sur lesquels j’étais l’assistante de William Lubtchansky. Le 12 octobre est ressortie la restauration de L’annonce faite à Marie d’Alain Cuny, dont j’avais également travaillé l'image. Je viens de finir également deux restaurations pour Theo Films, la société de Leos Carax : Boys Meet Girl et Mauvais sang, qui sera projeté dans quelques jours au Festival Lumière. Enfin je viens d’achever la restauration en HDR de La femme d’à côté de François Truffaut, sur lequel j’étais assistante. J’ai appris lentement mais sûrement qu’il faut être très vigilant et savoir se remettre en question parce que chaque œuvre a une histoire technique particulière qu’il faut analyser. Tout cela fait que le geste de restauration peut parfois manquer d’exactitude et d’exigence. C’est difficile de mettre en cause des gens qui vous disent que tel élément d’un film (les bandes A et B d’un générique par exemple) n’existe plus, ou que le négatif a bien été scanné sur l’Arri Scan plutôt que sur le Scannity, et que les réglages de scan ont été modifiés selon les différentes pellicules utilisées ou les différentes expositions du négatif. À présent, il faut correspondre au critère des plateformes, restaurer pour le HDR. Mais comme tout le monde n’a pas de moniteur HDR, Dolby demande un intermédiaire, ce qui vous fait sortir trois interprétations différentes du scan brut : le HDR, le SDR et le Trim Dolby. C’est la diffusion qui dicte le geste technique. Or la restauration est un travail très artisanal au sein d’une production et d’une diffusion industrielle. C’est la raison qui fait que la vigilance d’un directeur de la photographie est essentielle tout le long du processus bien que certains ne le pensent toujours pas.
 
Selon vous comment doivent se positionner les chefs opérateurs dans un processus de restauration ? Devez-vous être proactifs ?
Restaurer les films sur lesquels nous avons travaillé est important. Cela nous permet de comprendre le processus car nous connaissons l’historique de chaque image, nous savons quand un plan a manqué de lumière ou au contraire quand le contraste était trop fort. Et dans ce cas, nous pouvons le compenser, encore faut-il que le scan ait été fait avec précision. J’ai restauré mes premiers film avec Christian Lurin. C’était un ingénieur chimiste de formation qui a travaillé chez Kodak avant de prendre la direction technique d’Eclair. Il faisait notamment des rapports de scan ultra-précis où les différents réglages apparaissaient. J’ai donc appris en restaurant mes propres images et cela me donne beaucoup de force pour analyser celles que je n’aurais pas faites.
 
Identifiez-vous des erreurs à ne pas faire, des écueils type quand on entame la restauration d’un film ?
Ne pas bien connaître l’histoire photographique d’un film ni celle de sa conservation. L’élément de référence me paraît essentiel. Parfois, il faut du temps pour le déterminer parce que les copies ont été disséminées au cours des différentes exploitations. Par exemple, pour Mauvais sang de Leos Carax, je n’ai pas trouvé la bonne copie de référence. Il y en avait une tirée sur Agfa sans doute pour adoucir les différences photographiques entre les séquences qui sont réelles. Une autre tirée sur Kodak, mais trop contrastée et trop bleue. Les éléments vidéo étaient eux aussi très différents. La pellicule négative d’origine était une Fuji, difficile pour une dérive chromatique connue des fonds (moins éclairés) vers le cyan. Je ne me suis pas sentie soutenue dans cette recherche ni dans les écueils que présentait cette restauration, mais à force de ténacité et grâce à l’accompagnement de Tatiana Bouchain, qui gère Theo Films, j’ai pu aboutir à une restauration dont je suis aujourd’hui très fière et que Leos Carax a validé.
 
Mais dans le domaine de l’argentique notamment, des savoir-faire ne sont-ils pas en train de se perdre ?
Les savoir-faire sont là encore pour quelque temps. Il faut former une nouvelle génération qui comprenne ce qu’a été l’argentique, sache analyser une photographie et de quels éléments sont faits les films. Les machines d’aujourd’hui sont d’une incroyable puissance pour nettoyer, dégrainer un film. Toute l’histoire de l’argentique est une bataille contre le grain qui remontait dans la sous-exposition et les différentes générations de support. On peut nettoyer avec intelligence, mais cela amène à dévier de la routine de restauration. Chaque film a une histoire et chaque plan a une histoire.

La restauration ne va-t-elle pas devenir de plus en plus difficile pour les œuvres n’ayant plus aucun support photochimique originel ?
C’est un drame auquel nous n’avons pas encore fait face. Ce serait une belle bataille à mener par tous ceux qui souhaitent des États généraux du cinéma. Mais ces nouveaux producteurs ne se penchent pas sur la question de leur patrimoine, lequel est entièrement numérique. Je crois malheureusement que cela résulte d’une certaine inculture technique. Nous, directeurs de la photo, nous devons nous former quasiment quotidiennement sur des mises à jour de caméras, de scanners, de logiciels d’étalonnage. Les producteurs sont à présent de plus en plus dépassés par ces frontière techniques sans cesse repoussées, alors que du temps de l’argentique ils savaient identifier une bonne copie, ils avaient un rapport physique au film.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : Benoit Bouthers


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