Lumière MIFC 2022 - Tim Burton, le rêveur éveillé
Date de publication : 21/10/2022 - 08:05
Aussi à son aise dans la fiction traditionnelle que dans l’univers de l’animation, le récipiendaire visionnaire du Prix Lumière 2022, qui revendique l’innocence de l’enfance, n’a reculé devant aucun défi pour assouvir ses fantasmes et affronter ses démons.
Le cinéma, Timothy Walter Burton est tombé dedans quand il était petit. Un peu comme Obélix dans la potion magique. Sinon que la sienne a pour ingrédients les monstres de l’écurie Universal, la science-fiction japonaise et le giallo façon Mario Bava. De préférence en versions doublées, mais jamais avec le moindre cauchemar à la clé. Au point de déclarer à Télérama en 2012 : "Frankenstein me réconfortait."
D’un naturel introverti, Burton a vu le jour sous le soleil de Burbank, l’antichambre d’Hollywood où se trouve le siège social des studios Walt Disney. "Dans Jason et les Argonautes, a-t-il déclaré, les créations de Ray Harryhausen m’ont donné envie de devenir à la fois animateur et cinéaste." Son premier titre de gloire est une affiche de prévention contre les dépôts d’ordures sauvages qu’il conçoit pour le compte d’une société de nettoiement locale et qui restera apposée pendant un an sur ses camions de ramassage.
Remarqué pour L'attaque du céleri monstrueux (1979), un court métrage d’animation qu’il a concocté comme exercice de fin d’année dans le cadre de son cursus universitaire à l’Institut des beaux-arts de Californie, Burton se fait embaucher par le studio au moment même où celui-ci traverse la pire crise de son histoire et endure son échec le plus cinglant avec Taram et le chaudron magique. Mais cette période de flottement est favorable à l’embauche de nouveaux talents et Burton joue sa carte en jouant les petites mains sous la houlette de Glen Keane, de Rox et Rouky (1981) à Tron (1982).
Remarqué pour L'attaque du céleri monstrueux (1979), un court métrage d’animation qu’il a concocté comme exercice de fin d’année dans le cadre de son cursus universitaire à l’Institut des beaux-arts de Californie, Burton se fait embaucher par le studio au moment même où celui-ci traverse la pire crise de son histoire et endure son échec le plus cinglant avec Taram et le chaudron magique. Mais cette période de flottement est favorable à l’embauche de nouveaux talents et Burton joue sa carte en jouant les petites mains sous la houlette de Glen Keane, de Rox et Rouky (1981) à Tron (1982).
Il en profite pour utiliser les moyens mis à sa disposition afin de tourner ses premiers courts métrages professionnels dont Vincent pour lequel il décroche une subvention de 60 000 $ en 1982 et engage comme voix off l’une des idoles de son enfance, l’acteur Vincent Price. Le film remporte le prix de la critique au festival d’Annecy et vaut à Burton de se voir confier par Disney Channel la réalisation d’un téléfilm qui lui donne pour la première fois l’occasion de se familiariser avec la direction d’acteurs à partir d’une transposition asiatique du conte Hansel et Gretel. Suit sa première œuvre personnelle, Frankenweenie (1984), un court métrage d’1 M$ que sa classification imposant un accompagnement parental aux moins de 12 ans conduit les responsables de Disney à renoncer à le diffuser en première partie d’une réédition de Pinocchio et Burton à couper le cordon ombilical qui le liait à ce studio légendaire.
Premiers succès
La chance tourne pour le jeune homme qui se voit confier à 27 ans par la Warner la réalisation d’un film de commande pour le comique lunaire Pee-Wee Herman. Il boucle l’affaire en moins d’un mois pour un budget dérisoire et noue une complicité artistique déterminante avec Danny Elfman qui devient son compositeur attitré. Pour avoir refusé de donner une suite à ce premier succès, Burton ne se voit proposer que des projets de comédies dans le même esprit qu’il refuse avec aplomb. Son heure arrive enfin avec un projet de 13 M$ qu’il a lui-même initié : Beetlejuice (1988) qui rapporte 73 M$ sur le seul territoire américain et obtient l’Oscar du maquillage.
La chance tourne pour le jeune homme qui se voit confier à 27 ans par la Warner la réalisation d’un film de commande pour le comique lunaire Pee-Wee Herman. Il boucle l’affaire en moins d’un mois pour un budget dérisoire et noue une complicité artistique déterminante avec Danny Elfman qui devient son compositeur attitré. Pour avoir refusé de donner une suite à ce premier succès, Burton ne se voit proposer que des projets de comédies dans le même esprit qu’il refuse avec aplomb. Son heure arrive enfin avec un projet de 13 M$ qu’il a lui-même initié : Beetlejuice (1988) qui rapporte 73 M$ sur le seul territoire américain et obtient l’Oscar du maquillage.
À 30 ans, non seulement il est bankable mais sa carrière est lancée. Il franchit un nouveau cap en acceptant la proposition de la Warner de donner un coup de jeune à Batman pour un budget de 35 M$, en confie le rôle-titre à Michael Keaton déjà en tête d’affiche de Beetlejuice, quitte à déclencher la colère des aficionados du justicier, mais aussi la solidarité de ses interprètes et du studio. Avec à la clé une recette mondiale d’un demi-milliard de dollars. Un succès que Burton met à profit pour mener à bien un projet personnel sous l’égide de la Twentieth Century Fox, Edward aux mains d’argent, dans lequel il réunit deux des jeunes acteurs les plus en vue du moment : Johnny Depp, alors connu grâce à la série 21 Jump Street, et Winona Ryder en adolescente gothique.
Pressé par la Warner, le réalisateur enchaîne avec Batman : Le défi (1992), puis écrit et produit le film d’animation confié à Henry Selick L’étrange Noël de monsieur Jack (1993) qui deviendra une œuvre culte. Il consacre alors un biopic en noir et blanc au "plus mauvais réalisateur de tous les temps", Ed Wood (1994) campé par le fidèle Johnny Depp, face à Martin Landau à qui sa composition dans le rôle de l’acteur Bela Lugosi vaut l’Oscar du meilleur second rôle masculin. C’est le premier échec commercial de Tim Burton, malgré une flatteuse sélection officielle à Cannes. Les charmes de la série B et du système D, le réalisateur les exalte à nouveau dans l’un de ses opus les plus délirants, Mars Attacks ! (1996), hommage appuyé au cinéma de science-fiction des années 1950 dans l’esprit de La guerre des mondes de H. G. Wells qui comble davantage les cinéphiles que le grand public, plus sensible au premier degré de Roland Emmerich dans le Blockbuster au premier degré Independence Day sorti la même année.
Pressé par la Warner, le réalisateur enchaîne avec Batman : Le défi (1992), puis écrit et produit le film d’animation confié à Henry Selick L’étrange Noël de monsieur Jack (1993) qui deviendra une œuvre culte. Il consacre alors un biopic en noir et blanc au "plus mauvais réalisateur de tous les temps", Ed Wood (1994) campé par le fidèle Johnny Depp, face à Martin Landau à qui sa composition dans le rôle de l’acteur Bela Lugosi vaut l’Oscar du meilleur second rôle masculin. C’est le premier échec commercial de Tim Burton, malgré une flatteuse sélection officielle à Cannes. Les charmes de la série B et du système D, le réalisateur les exalte à nouveau dans l’un de ses opus les plus délirants, Mars Attacks ! (1996), hommage appuyé au cinéma de science-fiction des années 1950 dans l’esprit de La guerre des mondes de H. G. Wells qui comble davantage les cinéphiles que le grand public, plus sensible au premier degré de Roland Emmerich dans le Blockbuster au premier degré Independence Day sorti la même année.
Gros poisson
Au lendemain d’un projet avorté de Superman Lives destiné à Nicolas Cage qui l’a accaparé pendant près d’un an, Tim Burton se voit proposer plusieurs sujets dont deux adaptations : la nouvelle d’Edgar Poe La chute de la maison Usher et la comédie musicale de Stephen Sondheim Sweeney Todd : Le diabolique barbier de Fleet Street, projet qui n’aboutira que dix ans plus tard. Il trouve finalement un compromis satisfaisant avec Sleepy Hollow : La légende du cavalier sans tête qui lui permet de renouer avec le succès et de récupérer un droit fondamental : le sacro-saint final cut qui lui avait été retiré au lendemain d’Ed Wood. Burton semble paré pour aborder le troisième millénaire, mais se casse les dents sur le remake d’un autre grand classique : La planète des singes (2001), succès commercial mais échec artistique qui lui donne l’occasion de rencontrer une nouvelle égérie en la personne de la comédienne shakespearienne Helena Bonham Carter. Affecté par la perte consécutive de ses deux parents, le réalisateur s’aventure alors sur un registre intimiste et minimaliste avec son œuvre la plus personnelle à ce jour : Big Fish (2003).
Chassez le naturel… il revient au galop avec la concrétisation d’un rêve vieux de quinze ans : une adaptation du conte fantastique de Roald Dahl Charlie et la chocolaterie (2005) où le réalisateur laisse libre cours à la démesure de son talent visionnaire. Il revient à ses premières amours avec Les noces funèbres, un long métrage d’animation qu’il a écrit et qu’il signe avec Mike Johnson, en associant vocalement sa garde rapprochée, Johnny Depp et Helena Bonham Carter, avec les vétérans britanniques Christopher Lee et Albert Finney. Ce conte gothique aux allures de bain de jouvence est suivi du fameux Sweeney Todd… avec lequel il rapporte son deuxième Oscar au décorateur mythique de Fellini et Scorsese, Dante Ferretti.
2010 constitue pour Tim Burton une année faste qui lui vaut de renouer avec ses origines en signant la version live d’Alice au pays des merveilles pour les Studios Disney et en assumant les fonctions de président du jury du festival de Cannes, dont il a déjà été membre en 1997, lors de la 50e édition qui consacre l’Iranien Abbas Kiarostami (Le goût de la cerise) et le Japonais Shôhei Imamura (L’anguille). Il y affirme une nouvelle fois sa différence en attribuant la Palme d’or à Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures du visionnaire thaï Apichatpong Weerasethakul.
Au lendemain d’un projet avorté de Superman Lives destiné à Nicolas Cage qui l’a accaparé pendant près d’un an, Tim Burton se voit proposer plusieurs sujets dont deux adaptations : la nouvelle d’Edgar Poe La chute de la maison Usher et la comédie musicale de Stephen Sondheim Sweeney Todd : Le diabolique barbier de Fleet Street, projet qui n’aboutira que dix ans plus tard. Il trouve finalement un compromis satisfaisant avec Sleepy Hollow : La légende du cavalier sans tête qui lui permet de renouer avec le succès et de récupérer un droit fondamental : le sacro-saint final cut qui lui avait été retiré au lendemain d’Ed Wood. Burton semble paré pour aborder le troisième millénaire, mais se casse les dents sur le remake d’un autre grand classique : La planète des singes (2001), succès commercial mais échec artistique qui lui donne l’occasion de rencontrer une nouvelle égérie en la personne de la comédienne shakespearienne Helena Bonham Carter. Affecté par la perte consécutive de ses deux parents, le réalisateur s’aventure alors sur un registre intimiste et minimaliste avec son œuvre la plus personnelle à ce jour : Big Fish (2003).
Chassez le naturel… il revient au galop avec la concrétisation d’un rêve vieux de quinze ans : une adaptation du conte fantastique de Roald Dahl Charlie et la chocolaterie (2005) où le réalisateur laisse libre cours à la démesure de son talent visionnaire. Il revient à ses premières amours avec Les noces funèbres, un long métrage d’animation qu’il a écrit et qu’il signe avec Mike Johnson, en associant vocalement sa garde rapprochée, Johnny Depp et Helena Bonham Carter, avec les vétérans britanniques Christopher Lee et Albert Finney. Ce conte gothique aux allures de bain de jouvence est suivi du fameux Sweeney Todd… avec lequel il rapporte son deuxième Oscar au décorateur mythique de Fellini et Scorsese, Dante Ferretti.
2010 constitue pour Tim Burton une année faste qui lui vaut de renouer avec ses origines en signant la version live d’Alice au pays des merveilles pour les Studios Disney et en assumant les fonctions de président du jury du festival de Cannes, dont il a déjà été membre en 1997, lors de la 50e édition qui consacre l’Iranien Abbas Kiarostami (Le goût de la cerise) et le Japonais Shôhei Imamura (L’anguille). Il y affirme une nouvelle fois sa différence en attribuant la Palme d’or à Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures du visionnaire thaï Apichatpong Weerasethakul.
"L’émotion et les histoires"
Formidable faiseur d’images qui aime à déclarer que "ce qu’il y a de mieux au cinéma, c’est l’émotion et les histoires", Tim Burton a acquis peu à peu le statut enviable de réalisateur culte. L’exposition conçue par le MoMA de New York que présente la Cinémathèque Française en 2012 établit ainsi un record de fréquentation absolu avec 350 000 visiteurs en cinq mois. Cette même année voit sortir deux de ses films : une adaptation pour le grand écran de la série des années 1960 Dark Shadows et un long métrage d’animation inspiré de son court Frankenweenie. Changement de registre radical avec Big Eyes (2014) qui s’attache aux démêlés d’un couple dont le mari (Christophe Waltz) s’est attribué la paternité artistique des portraits de personnages aux yeux démesurés peints par son épouse (Amy Adams) au tournant des années 1960.
Tim Burton revient à sa veine la plus noire avec Miss Peregrine et les enfants particuliers (2016), un conte fantastique situé au Pays de Galles qui lui donne l’occasion de consacrer Eva Green en muse, puis signe une nouvelle version live d’un classique Disney avec Dumbo (2019). Une production de 170 M$ qui en engrange plus du double à travers le monde. Trois ans et une pandémie de Covid-19 plus tard, c’est en qualité de producteur délégué de la série Mercredi, mise en ligne sur Netflix à partir du 23 novembre prochain, que le créateur accomplit son retour attendu. Un spin-of centré sur l’un des personnages de La famille Addams incarné par Christina Ricci dans les deux films de Barry Sonnenfeld, que son âge relègue trente ans plus tard dans un autre rôle, face à Jenna Ortega, la nouvelle sensation du cinéma d’horreur. En attendant Beetlejuice 2 qui est en projet… Chez Burton, plus que chez aucun autre de ses contemporains, rien ne se perd, rien ne se crée, mais tout se transforme et se magnifie.
Formidable faiseur d’images qui aime à déclarer que "ce qu’il y a de mieux au cinéma, c’est l’émotion et les histoires", Tim Burton a acquis peu à peu le statut enviable de réalisateur culte. L’exposition conçue par le MoMA de New York que présente la Cinémathèque Française en 2012 établit ainsi un record de fréquentation absolu avec 350 000 visiteurs en cinq mois. Cette même année voit sortir deux de ses films : une adaptation pour le grand écran de la série des années 1960 Dark Shadows et un long métrage d’animation inspiré de son court Frankenweenie. Changement de registre radical avec Big Eyes (2014) qui s’attache aux démêlés d’un couple dont le mari (Christophe Waltz) s’est attribué la paternité artistique des portraits de personnages aux yeux démesurés peints par son épouse (Amy Adams) au tournant des années 1960.
Tim Burton revient à sa veine la plus noire avec Miss Peregrine et les enfants particuliers (2016), un conte fantastique situé au Pays de Galles qui lui donne l’occasion de consacrer Eva Green en muse, puis signe une nouvelle version live d’un classique Disney avec Dumbo (2019). Une production de 170 M$ qui en engrange plus du double à travers le monde. Trois ans et une pandémie de Covid-19 plus tard, c’est en qualité de producteur délégué de la série Mercredi, mise en ligne sur Netflix à partir du 23 novembre prochain, que le créateur accomplit son retour attendu. Un spin-of centré sur l’un des personnages de La famille Addams incarné par Christina Ricci dans les deux films de Barry Sonnenfeld, que son âge relègue trente ans plus tard dans un autre rôle, face à Jenna Ortega, la nouvelle sensation du cinéma d’horreur. En attendant Beetlejuice 2 qui est en projet… Chez Burton, plus que chez aucun autre de ses contemporains, rien ne se perd, rien ne se crée, mais tout se transforme et se magnifie.
Tim Burton à Lumière
Master class : Vendredi 21 octobre à 15h aux Célestins, Théâtre de Lyon
Remise du Prix Lumière : Vendredi 21 octobre en soirée à l’Amphithéâtre - Centre de Congrès, en présence de nombreux invités, suivie de la projection de Dark Shadows.
Rétrospective : Pee-Wee Big Adventure, Beetlejuice, Batman, Edward aux mains d’argent, Batman : Le défi, Ed Wood, Mars Attacks !, Sleepy Hollow : La légende du cavalier sans tête, Big Fish, Charlie et la chocolaterie, Les noces funèbres, Sweeney Todd : Le diabolique barbier de Fleet Street, Frankenweenie, Big Eyes, Miss Peregrine et les enfants particuliers, Dumbo et L’étrange Noël de Monsieur Jack d’Henry Selick (où il oeuvre comme scénariste).
Nuit Tim Burton : Halle Tony Garnier, samedi 22 octobre à 21h : Beetlejuice, Ed Wood, Mars Attacks ! et Sleepy Hollow : La légende du cavalier sans tête.
Jean-Philippe Guérand
© crédit photo : DR
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