Cinéma

Congrès FNCF 2023 - Richard Patry : "Si l’on veut installer cette reprise de la fréquentation dans la durée, il faut que nous investissions"

Date de publication : 19/09/2023 - 08:01

Alors que s'est ouverte hier la 78e édition du Congrès de la Fédération nationale des cinémas français, son président revient sur les différents sujets qui traversent le secteur cette année, dans un contexte où convergent regain de fréquentation, hausse des charges, réforme de l'art et essai, grèves hollywoodiennes, enjeux énergétiques et écologiques et rééquipement des salles.

Après une année 2022 mitigée, quel regard portez-vous sur la fréquentation 2023, mesurée à près de 125 millions d’entrées entre janvier et août par le CNC ?
C’est très positif, et cela confirme ce que nous affirmons depuis plusieurs mois : les spectateurs sont de retour dans les cinémas. La salle a retrouvé sa place et son rôle au sein de l’offre culturelle et de loisirs, redevenant une activité importante pour nos concitoyens, et c’est une excellente nouvelle ! Tous les voyants sont au vert. Même si nous ne les atteindrons peut-être pas tout à fait, je pense que les 200 millions d’entrées – en année glissante – restent à notre portée.
 
Selon vous, cette reprise est-elle structurelle ou conjoncturelle ? Les blockbusters US ont été très dominants ces derniers mois, parfois au détriment du reste de l’offre…
Elle est structurelle. Après, que la structure même de la fréquentation évolue, c’est tout à fait normal. Celle-ci n’est peut-être pas identique à ce qu’elle était en 2019. En tout cas, cela mériterait d’être étudié. On pourra d’ailleurs scruter cela plus précisément durant cet automne, dont l’offre sera forte en films français et moins volumineuse en productions américaines.
 
Justement, que vous inspire la grève des scénaristes et des acteurs américains, qui a déjà conduit au report de plusieurs blockbusters (Kraven the Hunter, Dune : deuxième partie…) en 2024 ?
C’est évidemment une source de préoccupation, nous n’avons pas besoin de cela en ce moment. Le phénomène pourrait, ainsi, freiner quelque peu la reprise de fréquentation. Mais, sur le papier, l’offre française sera pour sa part bel et bien présente au cours du semestre, avec de très gros films, très attendus.
 
L’optimisme est donc de mise ?
Attention ! Certes, beaucoup d’exploitants ont retrouvé leur chiffre d’affaires d’avant-pandémie, mais cela ne veut pas dire que tout va bien ! Plusieurs inquiétudes persistent. Tout d’abord, nous restons très attentifs aux charges d’exploitation, qui ont flambé depuis la pandémie. Le fonctionnement d’un cinéma est beaucoup plus cher aujourd’hui qu’avant 2020. C’est en partie lié à l’inflation, que le prix du ticket moyen n’a pas suivi. La crise de l’énergie participe également à la flambée des charges, puisqu’elle a abouti au doublement de la facture énergétique des salles. Doublement qui, rappelons-le, s’annonce durable. En parallèle, les exploitants ont accompagné leurs collaborateurs en les augmentant le plus possible, afin de les aider face à la crise. Ainsi, les salaires de la branche ont augmenté conventionnellement de 6% depuis le début de l’année. Cela répond aussi à une autre problématique à laquelle nos adhérents sont confrontés : l’attractivité de nos métiers. S’y ajoute, enfin, le remboursement de leur PGE, à mettre en parallèle avec le fait que l’accès au crédit s’est compliqué et le coût des travaux a flambé. Nous sommes donc dans une situation fragile car, si l’on veut installer cette reprise de la fréquentation dans la durée, il faut que nous investissions. Or, aujourd’hui, les salles de cinéma n’ont pas les moyens de dégager les sommes nécessaires.
 
Plusieurs réformes se profilent dans la foulée des propositions des rapports Lasserre et Bacchi, sur le classement art et essai et les engagements de programmation notamment…
Nous sommes assez sceptiques sur le fait que ces réformes, qu’elles soient liées aux engagements de programmation ou au classement art et essai, puissent ou doivent aboutir rapidement. Ce sont des sujets importants, au sein desquels la crise a particulièrement changé les choses. Il faut agir avec doigté car ce sont des dispositifs très complexes, qui ont des effets de bord difficilement prévisibles. D’où la nécessité d’une réflexion collective, sur un temps long, jalonné d’expérimentations ou de simulations.
 
Concernant l’art et essai, le CNC a annoncé que la révision du classement initialement prévue prendrait finalement la forme d’une véritable réforme. Qu’en attendez-vous ?
Rappelons que la structure du classement art et essai actuel – tout comme celle des engagements de programmation d’ailleurs – a été établie lors de la dernière décennie. Elle se base donc sur des fondamentaux très différents du contexte d’aujourd’hui. La grande complexité de cette réforme nécessite une réflexion et un travail collectifs sur une durée plutôt longue. En conséquence, nous attendons que le CNC et les pouvoirs publics profitent du congrès pour nous donner la méthode et fixer un cap. Nous avons toutefois été rassurés, lors de nos échanges avec le Centre, sur les objectifs de cette réforme. Effectivement, les pouvoirs publics s’appuient sur un constat bien réel : personne n’est satisfait du dispositif actuel et, surtout, plus personne ne le comprend. La recommandation des œuvres a priori a changé fondamentalement la façon dont certaines salles programment. Nous sommes toutefois rassurés par les deux objectifs de cette réforme, tels que le CNC les a annoncés : à savoir, accompagner l’excellence en récompensant mieux la prise de risque des cinémas, et maintenir un parc très large de salles classées, en profondeur notamment. Il faut toutefois rappeler que le budget reste plafonné, ce qui complexifie tout de même la manœuvre.
 
Rima Abdul Malak a annoncé, début 2023, que le ministère de la Culture était “en train d’élaborer avec le CNC un plan sur plusieurs années pour aider les salles de cinéma à s’équiper de projecteurs laser”. Où en est-on ?
Ce dossier est très important pour nous. L’avantage est qu’il reste très identifié : nous avons une estimation du coût global du passage au laser – environ 400 M€ –, mais aussi de ses objectifs et des potentielles économies qu’il peut engendrer. Reste à savoir où l’on trouvera l’argent… Il s’agit certes d’un sujet cinéma, mais aussi et surtout de l’enjeu de la transition écologique, qui s’inscrit dans un domaine plus large que notre seul secteur. Les solutions de financement doivent donc être multiples, et en partie extérieures au cinéma. Or, le gouvernement se retrouve confronté à une difficulté générale : comment assurer une rénovation écologique et énergétique massive dans un contexte d’endettement de notre pays ? Il va donc falloir aller chercher aussi du côté des régions, de l’Europe… Il existe un ensemble de guichets à mobiliser potentiellement. Car notre secteur, au sortir de la crise, n’est absolument pas en capacité d’investir aussi massivement.
 
Dans les départements et régions d’outre-mer, une passe d’armes oppose les exploitants du Secom et les distributeurs autour du plafonnement du taux de location, pour lequel une proposition de loi a été adoptée au Sénat en juin. Quelle est votre position ?
Lorsqu’une proposition de loi est adoptée à l’unanimité au Sénat, on ne peut nier sa légitimité. Nous avons participé, ces quatre dernières années, à des dizaines de réunions sur ce sujet, que tout le monde ne semble découvrir que maintenant. Il est pourtant établi que les salles ultramarines ont un statut particulier, avec une TSA plafonnée et des dérogations fiscales par exemple, en phase avec la situation spécifique des Drom. Dans ce cadre, les salles locales bénéficient depuis toujours d’un taux de location inférieur à ceux de la métropole, entre 30% et 40% pour l’immense majorité d’entre elles, ou fonctionnent au forfait. Ce n’était pas ancré dans la loi, mais c’était la pratique. On ne peut pas imposer à un cinéma ultramarin les mêmes critères économiques qu’en métropole, ce n’est pas viable économiquement ! Or, quand les acteurs locaux ont souhaité inscrire cette situation dans un accord interprofessionnel pour sécuriser les taux, les distributeurs ont émis un désaccord complet. Comme aucun accord n’était donc possible, le législateur s’en est emparé. Cette loi entérine, finalement, une pratique déjà en place. Il n’y a pas de raison de changer les règles du jeu en outre-mer.

Propos recueillis par Kevin Bertrand et Sylvain Devarieux
© crédit photo : Jean-Luc Mege Photography


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