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Cinéma

Lumière MIFC 2023 - Rodolphe Chabrier : "L’usage de l’IA dans la restauration est un changement de paradigme"

Date de publication : 20/10/2023 - 08:10

Le président et cofondateur du studio de production Mac Guff, qui a participé à une table ronde sur l’usage de l’intelligence artificielle dans le domaine de la restauration, évoque les avancées en cours et les questions qu’elles ne manquent pas de poser.

Existe-t-il plusieurs types d’intelligence artificielle ?
Celle dont on parle beaucoup en ce moment est le Deep Learning. Mais il n’y a pas tant d’IA différentes que ça. Certaines sont faites pour créer du langage, d’autres pour fabriquer des images, d’autres pour trier, mais en gros, on va avoir à chaque fois un modèle, au sens météorologique du terme, qui va être capable de sortir des données pertinentes à partir d’autres données pertinentes et très nombreuses qui l’auront alimenté en entrée. Il pourra ainsi générer une photo de chat parce qu’il aura appris à quoi ressemble un chat, grâce aux milliers d’images qu’il aura ingérées. Il va trouver les règles communes aux mêmes images de chat et réinventer et fabriquer une image. Et le principe est identique pour générer de l’image, du son, du texte et même des recettes de cuisine.

Ce qui pose la question des droits d’auteurs, des données qui ont nourri la machine…
Effectivement manipuler plein de données peut provoquer des problèmes de droits mais c’est extrêmement complexe car la granularité est très fine. C’est en fait une boite noire. On ne sait pas où sont puisées les informations qui permettent à l’outil de faire ce qu’il a à faire.

L’intelligence artificielle a-t-elle vraiment une utilité dans le patrimoine et notamment pour la restauration des œuvres  ?
Dans la restauration c’est un changement de paradigme, mais je ne vois pas comment s’en passer. Chez Mac Guff on l’utilise pour des tâches bien plus complexes que la restauration. Mais déjà beaucoup de logiciels permettent de dégrainer une image, d’enlever tous les artefacts de type rayures ou moisissures et de modifier la colorimétrie. En prenant la suite l’IA va permettre par exemple d’augmenter la résolution, on appelle ça de la super-résolution. Partant d’un carré avec 4 pixels, l’outil sera notamment capable de faire un carré avec 16 pixels tout à fait crédible. Car il aura été habitué à identifier une image floue et la différencier d’une image nette à partir de milliers d’exemples en haute résolution.

Vous y avez déjà eu recours pour de la restauration ?
Nous sommes récemment intervenus sur un fonds d’archives datant de la deuxième guerre mondiale. Et travailler sur la super-résolution nous a permis de redonner des visages à des personnes qui apparaissaient comme floues sur le document d’origine. Cela redonne un aspect organique à ces plans. A présent on pourrait croire que ces images ont été tournées avec une caméra moderne. Cela pose évidemment la question de ce qu’est la restauration, puisqu’à présent on peut aller plus loin que l’image originale et pas seulement parce qu’elle a été dégradée dans le temps. On peut maintenant très facilement passer un film tourné à 17 i/s en 24 i/s, voire en 48 ou plus, mais aussi stabiliser un plan.

Mais cela ne pose-t-il pas des problèmes éthiques ?
Tout à fait, car on débouche sur des images qui n’ont pas existé. Donc cela dépasse la restauration. Mais chez MacGuff on n’est pas spécialisés dans la restauration, on travaille dans les effets visuels. Donc on est plutôt tentés d’aller le plus loin possible. Tout est question de point de vue et de choix. En restaurant un film des frères Lumière on peut choisir de revenir à la même qualité que celle qu’il avait lorsqu’il a été projeté au début du siècle. Mais on peut aussi décider de le stabiliser et d’adapter sa vitesse. Le résultat sera juste car l’IA n’invente rien, elle se base toujours sur du réel. Et peut-être que ce faisant on arrivera à rendre le film tel que l’auraient rêvé les frères Lumière.

L’IA peut-elle permettre d’accélérer différents processus de la restauration ?
La restauration suppose en effet d’effectuer des tâches répétitives et laborieuses qui mobilisent beaucoup de ressources humaines. Or l’IA peut apporter une aide indispensable en prenant en charge toutes ces tâches. Cela va permettre de dégager du temps et de laisser plus de poids aux créatifs, à ceux qui devront faire des choix. C’est donc le meilleur des deux mondes. Il n’est évidemment pas question de faire de la restauration au mètre, à la truelle industrielle, et ce sera toujours l’homme qui devra prendre les décisions. Mais je pense que tous les laboratoires qui travaillent dans ce domaine ne pourront pas se passer de l’intelligence artificielle. Il est donc impératif de se mettre à jour. Je suis sûr que certains éléments de patrimoine qui ne peuvent pas être restaurés actuellement, voire même sauvés, faute de moyens et de temps, pourront l’être prochainement. Pour ma part je n’y vois que des avantages.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : Mac Guff


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