Cinéma

Cannes 2024 – La production des "Fantômes" racontée par Les Films Grand Huit

Date de publication : 15/05/2024 - 11:05

Le film d’ouverture de la Semaine de la Critique a été produit par les Films Grand Huit. La société qui avait déjà accompagné Jonathan Millet sur son court métrage Et Toujours nous marcherons présente aussi un autre premier long à l’Acid.

Comment avez-vous rencontré Jonathan Millet ?
Pauline Seigland
Il y a certaines rencontres déterminantes dans une vie de productrice : Jonathan Millet est de celles-ci. Avant de travailler ensemble, je le savais documentariste, grand voyageur, curieux de tout. Nous avions plusieurs amis en commun. Autour d’une discussion sur un projet de court métrage, qui deviendra par la suite Et Toujours nous marcherons, nous avons ressenti un désir de cinéma commun. Pour ce court, Jonathan a créé ce personnage de Simon, jeune homme en perpétuel mouvement qui prend peu à peu conscience de son inéluctable situation sacrificielle : son ascendance lui a déjà tracé un destin, celui de remplacer son grand frère et de rester travailler en France pour envoyer de l’argent à sa famille en Afrique. Construit comme un thriller haletant, ce film a connu une très belle carrière en festival avec en point d’orgue une sélection aux César 2018

Quel fut le cheminement du scénario ?
Suite à cette première expérience fructueuse, c’est très naturellement que nous avons décidé de poursuivre de notre collaboration.  Nous avons réfléchi et commencé à développer plusieurs projets, nous sommes même allés ensemble jusqu’à la V1 dialoguée de 2 longs métrages. Mais, alors même que nous recevions des validations de financement - aides à l’écriture, au développement - nous sentions tous les 2 qu’ils n’étaient pas les projets idéaux pour un 1er long. Jonathan a une manière assez rare d’échafauder un film. Il commence par me donner une page avec un schéma constitué de mots et de flèches. Je vous jure, quand il m’a donné cette page pour Les Fantômes : il y avait pratiquement tout ce qu’est le film aujourd’hui !  Dès le début. Nous avons ensuite travaillé avec une co-scénariste qui a beaucoup œuvré sur la documentation, le recoupement des faits réels, et qui a vite écrit des séquences, qui n’ont pas été gardé pour la plupart mais cela a permis à Jonathan de garder de la distance, de la hauteur afin qu’il ne se perde jamais lui dans les détails de l’écriture. C’était primordial pour pouvoir garder le cap et réussir à allier les 2 éléments qui font, selon moi la force de ce film : une trame rigoureuse propre au thriller et des personnages complexes, jamais attendus.

Pour s’emparer de sujets comme l’exil et ses répercutions humaines et intimes, Jonathan, loin d’une indignation plate qui empêcherait tout dilemme, toute dialectique & donc tout cinéma, a choisi une trame narrative hautement cinégénique : celle d’Hamid, un prof de fac et d’une dizaine d’autres hommes et femmes de la société civile syriens qui s’improvisent agents secrets et consacrent leurs vies à rechercher les bourreaux de la guerre qu’ils ont subi, eux et leurs proches. Ce sacrifice, ce don de soi au nom de la justice est galvanisant, il est possiblement un moyen pour nos personnages de renouer avec le sens de la vie.

Quelles étapes plus ou moins décisives ont été franchies au cours de la période du développement ?
Très vite, alors que Jonathan n’avait qu’un traitement, le film a été sélectionné à la résidence du Groupe Ouest puis à celle du Moulin d’Andé. Le fonctionnement et le rythme de ces 2 résidences étaient vraiment complémentaires. Après une année de co-scénarisation, Jonathan a continué seul l’écriture. Puis nous avons fait appel à des consultants, chacun est venu apporter quelque chose de spécifique selon l’avancée de l’écriture. Au bout d’un an, le film a été sélectionné à Emergence, aux ateliers d’Angers puis au prix du scénario ; prix qu’il a remporté. C’est à ce moment-là, donc assez tôt dans le développement du film, que nous avons commencé la collaboration avec Memento puis MK2. Nos 2 partenaires nous semblaient, à Jonathan et à moi, parfaits pour porter un film exigeant mais accessible. Le film a l’ambition d’être universel. Le désir de justice, la bataille contre l’impunité, le combat pour trouver un sens quand on va vécu un évènement traumatique comme la perte d’un proche, le sentiment que notre destin nous échappe parfois ; tous ces sentiments parlent au plus grand nombre.

Le film a été produit avec Hélicotronc et un partenaire allemand. Comment les avez-vous trouvés et qu’ont-ils apporté de leur côté ?
Les coproductions sont fréquentes et naturelles pour Grand Huit. C’est, nous pensons, la condition sine qua none pour faire des films ambitieux et ouverts sur le monde. Dès les prémices de ce projet nous avons prévu de le coproduire avec l’Allemagne.  D’abord parce que le sujet est très lié à ce pays : L’Allemagne compte aujourd’hui la plus importante communauté Syrienne en Europe. Le film se passe principalement en France, à Strasbourg, mais la plupart des membres de la cellule Yaqaza – cellule dont est fortement inspirée les personnages de ce film - sont en Allemagne, c’est le cas dans la réalité ainsi que dans le scénario. Le procès de Coblence, dont le verdict a été rendu l’année dernière, a d’ailleurs condamné l’ex officier syrien Anwar Raslan, reconnu coupable de « crime contre l’humanité » par la haute cour régionale. Ce qui est fou c’est que cette histoire qui était donc vraie en Allemagne et aussi devenue vraie en France plus récemment, fin 2023 ! Grace à l’emploi de ce qu’on appelle "la compétence universelle" - compétence qui consiste à juger un crime qui a eu lieu dans un autre pays – les autorités judiciaires françaises ont lancé en novembre dernier, des mandats d’arrêt internationaux contre le président syrien Bachar Al-Assad, son frère et 2 généraux de l’armée. La réalité a donc rejoint la fiction.

J’ai fait la connaissance de notre co-productrice allemande Nicole Gerhards lors d’un Educ’tour à l’Ile de la Réunion. Dès notre rencontre j’ai eu envie de créer des opportunités de collaborer ensemble. Son line up et sa personnalité sont parfaitement en adéquation avec notre démarche à Grand Huit.

Concernant la coproduction belge, Julie Esparbes est une productrice extraordinaire que nous connaissons depuis les débuts de Grand Huit. J’ai même travaillé pour elle, il y a quelques années. Julie a co-produit le court de Jonathan. Quand Jonathan a choisi un chef opérateur belge, je me suis dit que ça aurait du sens de la faire rentrer dans l’équation. Elle est venue renforcer le financement sur les derniers mètres et apporter son regard précieux.

Le film avait-il des besoins spécifiques en termes de production ?
C’est le premier film de Jonathan et le deuxième de Grand Huit mais nous avons eu la chance d’avoir un budget confortable de 3,9 M€. Le film a bénéficié de tous les appuis que nous pouvions espérer : Le CNC via 3 fonds - l’Avance sur recette, Images de la diversité et le mini-traité franco-Allemand – Canal+ & Cine+, Arte, la région Grand Est, Eurométropole de Strasbourg, la Région Bretagne, Eurimages, la fondation Gan, 4 Soficas, le land de Berlin, Voo et Bee tv ainsi que le crédit d’impôt et le Tax shelter.

Ce budget a été essentiel pour faire un casting de plus d’un an dans toute l’Europe. Ensuite nous avons pu préparer le film bien en amont, sur place avec les chefs de poste. Puis nous avons tourné 40 jours sur 3 territoires : la France, à Strasbourg très majoritairement ; L’Allemagne, à Berlin quelques jours ; et la Jordanie où nous avons tourné les séquences qui se déroulent au Liban. Notre équipe était relativement petite par contre nous avons pu faire de belles scènes de figuration indispensable au fait de croire que le bourreau ne se sente pas suivi dans la foule. Nous avons aussi pu reconstituer le marché de Noel en plein mois de Juillet ! Enfin nous avons consacré beaucoup de temps, d’énergie et donc d’argent à la post production du film : 22 semaines de montage, 25 semaines de montage son, des effets spéciaux…

Qu’attendez-vous de cette sélection en ouverture de la Semaine de la critique ?
Nous sommes extrêmement heureux de présenter notre film à Cannes et en particulier à la Semaine. Il me semble que c’est un endroit idéal, protégé, bienveillant. Nous avons eu la chance d’avoir plusieurs courts sélectionnés à la Semaine de la critique, notre attachement à la semaine dépasse cette nouvelle extraordinaire.

Mais vous êtes aussi présent à l’Acid ?
Oui nous présentons à Cannes le premier long métrage de Camila Beltran Mi Bestia à l’Acid. C’est une nouvelle tout aussi importante pour nous. En effet, Jonathan Millet et Camila Beltran sont les 2 premiers réalisateurs dont nous avons produit les courts il y a 8 ans à la création de Grand Huit : c’est donc très émouvant de voir que toute cette énergie et cette croyance portent leurs fruits. C’est ce qui compte le plus en vérité. Ca donne du sens à notre travail au quotidien.

Beaucoup de choses encore en cours chez vous ?
Oui ! Nous sommes en fin de post production de deux longs : le troisième film de Baya Kasmi Mikado avec Felix Moati, Ramzy Bedia et Vimala Pons en coproduction avec Karé qui sortira à l’Automne avec Memento. Le premier long de Mareike Engelhardt Rabia avec Megan Northam et Lubna Azabal est également en fin de post production.  Nous venons de terminer le tournage du premier long métrage de et avec Marie Rémond : Les Chèvres aussi s’évanouissent une comédie dramatique sur une relation d’emprise avec José Garcia et Gustave Kervern. Nous sommes en fin de développement du premier long de Mathilde Elu, un Bike-trip d’une lesbienne trentenaire en quête d’amour seule sur un tandem, une comédie romantique hilarante sur le célibat ! Nous avançons sur l’écriture des premiers longs de Elie Girard, Ismaël Joffroy Chandoutis et Rémi Allier - les trois réalisateurs avec qui nous avons eu la chance d’avoir un césar en court - ainsi que ceux de Marie Le Floch, Adriano Valerio et Moly Kane. Nous coproduisons également le premier long de Xavier Lacaille avec Quad. Nous avons signé le deuxième long de Giacomo Abbruzzese ainsi que celui de Jonathan Millet.
Enfin dernière bonne nouvelle : La vie de château, la série d’animation de Clémence Madeleine-Perdrillat et Nathaniel H’Limi sera en compétition au festival d’Annecy et sera diffusée en fin d’année sur France TV.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : Films Grand Huit


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