Cannes 2024 - Saïd Hamich réalisateur de "La mer au loin" : "Je voulais traiter de l’exil de manière intime et romanesque"
Date de publication : 17/05/2024 - 17:36
Présenté en séance spéciale à la Semaine de la Critique, ce deuxième long métrage, dont son réalisateur est aussi le producteur, se présente comme un mélodrame sur fond de musique Raï qui se déroule en cinq chapitres.
Comment avez-vous eu l’idée de ce personnage et même de ce trio ?
La première idée remonte à très loin, j’étais étudiant en production à la Fémis et avec la scénariste américaine Malia Scotch Marmo, on avait un atelier d’écriture. C’était sans but précis, très libre et très stimulant. J’avais imaginé cette histoire d’amour à Marseille autour de jeunes travailleurs immigrés et de la musique raï. J’ai produit ensuite beaucoup de films et de manière inattendue et très rapidement, j’ai réalisé Retour à Bollène qui était un film indispensable pour moi. C’est même après ce film que j’ai commencé à réfléchir au fait de réaliser des films. J’ai donc réalisé ensuite Le départ qui m’a permis de travailler de manière plus posée, plus réfléchie. Après ces deux films, j’ai repris le projet La Mer au loin, très vite, le triptyque Raï / Exil / Mélodrame s’est imposé. Mon objectif était très clair, je ne voulais pas faire de grand discours mais juste toucher du doigt ce sentiment de l’exil et de l’exilé, sentiment qui comporte une part d’insondable, donc de cinématographique. Mais je voulais traiter de l’exil de manière intime et romanesque, c’est ainsi que j’ai imaginé le personnage de Nour qui traverse la décennie 90, qui évolue au gré des rencontres et notamment la plus déterminante, avec ce couple charismatique que composent Serge et Noémie (interprétés par Grégoire Colin et Anna Mouglalis).
Vous avez écrit le scénario seul. Travaillez-vous avec des regards extérieurs ?
J’ai travaillé seul sur le scénario que j’ai commencé à écrire en 2020. J’ai beaucoup fait lire par avoir des retours mais surtout c’est avec la productrice Sophie Penson que j’ai eu une véritable collaboration. J’ai pu compter sur son suivi et son enthousiasme du début jusqu’à la fin
Quelles étapes décisives ont été franchies au cours de la période du développement
C’était long mais assez fluide. On a eu la chance d’avoir beaucoup de partenaires et le projet plaisait, on a été accompagnés par le CNC, la région Sud, la région Centre et Beaumarchais. Cela donne du courage mais aussi des moyens financiers et humains pour continuer, avec à chaque fois des retours très précieux. On a aussi fait les excellents Ateliers de l’Atlas du Festival de Marrakech, qui nous ont permis de franchir une étape à la toute fin de l’écriture avec de riches rencontres.
Vous avez produit votre film selon un schéma que vous maîtrisez bien avec Mont Fleuri, mais aussi Tarantula. Un nouveau partenaire pour vous ?
Oui avec Sophie Penson, nous maîtrisons parfaitement ce schéma à trois pays qui ont tous les trois des techniciens incroyables et qui collaborent parfaitement par la francophonie. Je connais Joseph Rouschop depuis le film de Clément Cogitorre Ni le Ciel Ni la Terre. Cela faisait longtemps qu’on voulait travailler ensemble et les choses ont été enfin alignées sur mon film.
Le financement fut-il long à boucler ?
Relativement long et stressant car pour cette typologie de films, cela se joue parfois sur quelques décisions comme l’Avance sur recettes ou Canal+ qui sont heureusement avec nous sur le projet. La région Sud a aussi été un partenaire important. La Belgique et le Maroc sont à 10% chacun et leurs apports ont été précieux pour financer le film à 2,5 M€.
Comment avez-vous composé ce casting ?
Le casting s’est passé à l’inverse de ce que j’imaginais. Je pensais qu’il serait très difficile pour Serge et Noémie car il fallait trouver un couple charismatique, ambivalent mais très ancré dans le réel. C’est ce couple qui permet la transition du film vers le mélo sans artifice grossier. Il devait avoir quelque chose d’iconique. Mais très vite, avec David Bertrand, les noms d’Anna Mouglalis et de Grégoire Colin se sont imposés avec évidence. Ils ont en eux ce truc génial, ce timbre de voix, ce regard, cette profondeur qui les sort de la norme. Leurs regards sont pleins d’humanité mais ils ont quelque chose d’encore rebelle, d’intranquille. Et c’est dans cet univers que je voulais plonger le personnage principal. Pour Nour, j’ai mis du temps à trouver car j’avais besoin d'un acteur qui soit physiquement très à l'aise dans son corps pour évoluer sur dix ans avec des scènes de danse, etc. Mais surtout, je voulais quelqu'un jouant avec sa sensibilité et son émotion, qui soit à l’aise de jouer en silence, avec le regard. On m’a alors parlé d’Ayoub Gretaa qui est connu au Maroc pour avoir joué dans une série très populaire. Il avait exactement le regard et le physique que je recherchais. J’ai découvert un homme très sensible, très émotif, toujours prêt à accueillir l'émotion de l'autre. Et puis son regard avait quelque chose de lumineux, rieur mais aussi très mélancolique dans sa tendresse. En un instant, il pouvait passer du jeune fougueux à l’homme mature et posé. Nous avons réalisé deux, trois essais, et j’ai su que nous ferions le film ensemble. Et je me suis dit "voilà, cela va être beau que ce film soit regardé à travers ses yeux".
Le film a été tourné à Marseille et Casablanca ?
Sept semaines dont cinq à Marseille et deux à Casablanca en novembre / décembre 2023, sans interruption et c’était très dur de gérer la transition entre les deux pays. Mais on voulait finir pour les fêtes et on avait déjà le calendrier cannois en tête, donc ça a été un peu la course.
N’est-il pas parfois difficile de recréer les années 1990 dans des environnements urbains actuels ?
Oui c’est une véritable contrainte mais pour le budget que nous avions, la cheffe déco et la cheffe costumière Teresa Hurtado Escobar et Charlotte Richard ont été incroyables, de même que le chef opérateurTom Harari. Ensuite, le film n’est pas non plus une reconstitution lourde. Il s’inscrit vraiment dans le mélodrame et la reconstitution est avant tout émotionnelle. C’est davantage une référence aux années 90 avec quelques marqueurs.
Encore une fois, l’important pour moi était la logique esthétique globale et l’approche intime des personnages, qui m’a guidée. L’une des références les plus importantes du film était L'Éducation sentimentale de Flaubert. Le personnage principal, Nour, est davantage traversé par l’Histoire qu’il n‘y participe.
Comment s’est déroulé le tournage ?
On a eu quelques cas de Covid dans l’équipe mise en scène, ce qui a rendu la fin du tournage français très stressante et compliquée. On a manqué un peu de temps mais l’équipe était très soudée et je n’ai pas eu de grosse frustration.
Qu’attendez-vous de cette sélection en compétition de la Semaine de la Critique ?
C’est mon deuxième film, et il n’y vraiment pas beaucoup de deuxième films à Cannes. Je me sens donc chanceux et honoré de lancer le film à la Semaine. Le travail de l’équipe de la Semaine pendant et après Cannes est incroyable et je suis ravi que le film puisse en bénéficier. Passer dans la même sélection qu’un grand film comme Aftersun est quelque chose de très particulier, d’autant que je partage la programmation avec des cinéastes et producteurs dont j’aime beaucoup le travail comme Emma Benestan ou Alexis Langlois dont j’ai hâte de découvrir les films.
D’autres projets en cours ?
Avec Sophie, nous avons des projets en développement en long-métrage et en séries. Judith Abitbol nous a rejoint dans la structure pour produire aussi, notamment le court-métrage. Au Maroc, nous sommes aussi en fort développement de l’activité de coproduction et de prestation de services et on sent que les conditions sont très propices pour faire de ce pays un des leaders africain et arabe dans le cinéma. Y contribuer est assez excitant. En tant qu’auteur, cela va prendre un peu de temps mais je travaille d’ores et déjà sur un nouveau projet avec de nouveaux partenaires mais c’est encore confidentiel.
La première idée remonte à très loin, j’étais étudiant en production à la Fémis et avec la scénariste américaine Malia Scotch Marmo, on avait un atelier d’écriture. C’était sans but précis, très libre et très stimulant. J’avais imaginé cette histoire d’amour à Marseille autour de jeunes travailleurs immigrés et de la musique raï. J’ai produit ensuite beaucoup de films et de manière inattendue et très rapidement, j’ai réalisé Retour à Bollène qui était un film indispensable pour moi. C’est même après ce film que j’ai commencé à réfléchir au fait de réaliser des films. J’ai donc réalisé ensuite Le départ qui m’a permis de travailler de manière plus posée, plus réfléchie. Après ces deux films, j’ai repris le projet La Mer au loin, très vite, le triptyque Raï / Exil / Mélodrame s’est imposé. Mon objectif était très clair, je ne voulais pas faire de grand discours mais juste toucher du doigt ce sentiment de l’exil et de l’exilé, sentiment qui comporte une part d’insondable, donc de cinématographique. Mais je voulais traiter de l’exil de manière intime et romanesque, c’est ainsi que j’ai imaginé le personnage de Nour qui traverse la décennie 90, qui évolue au gré des rencontres et notamment la plus déterminante, avec ce couple charismatique que composent Serge et Noémie (interprétés par Grégoire Colin et Anna Mouglalis).
Vous avez écrit le scénario seul. Travaillez-vous avec des regards extérieurs ?
J’ai travaillé seul sur le scénario que j’ai commencé à écrire en 2020. J’ai beaucoup fait lire par avoir des retours mais surtout c’est avec la productrice Sophie Penson que j’ai eu une véritable collaboration. J’ai pu compter sur son suivi et son enthousiasme du début jusqu’à la fin
Quelles étapes décisives ont été franchies au cours de la période du développement
C’était long mais assez fluide. On a eu la chance d’avoir beaucoup de partenaires et le projet plaisait, on a été accompagnés par le CNC, la région Sud, la région Centre et Beaumarchais. Cela donne du courage mais aussi des moyens financiers et humains pour continuer, avec à chaque fois des retours très précieux. On a aussi fait les excellents Ateliers de l’Atlas du Festival de Marrakech, qui nous ont permis de franchir une étape à la toute fin de l’écriture avec de riches rencontres.
Vous avez produit votre film selon un schéma que vous maîtrisez bien avec Mont Fleuri, mais aussi Tarantula. Un nouveau partenaire pour vous ?
Oui avec Sophie Penson, nous maîtrisons parfaitement ce schéma à trois pays qui ont tous les trois des techniciens incroyables et qui collaborent parfaitement par la francophonie. Je connais Joseph Rouschop depuis le film de Clément Cogitorre Ni le Ciel Ni la Terre. Cela faisait longtemps qu’on voulait travailler ensemble et les choses ont été enfin alignées sur mon film.
Le financement fut-il long à boucler ?
Relativement long et stressant car pour cette typologie de films, cela se joue parfois sur quelques décisions comme l’Avance sur recettes ou Canal+ qui sont heureusement avec nous sur le projet. La région Sud a aussi été un partenaire important. La Belgique et le Maroc sont à 10% chacun et leurs apports ont été précieux pour financer le film à 2,5 M€.
Comment avez-vous composé ce casting ?
Le casting s’est passé à l’inverse de ce que j’imaginais. Je pensais qu’il serait très difficile pour Serge et Noémie car il fallait trouver un couple charismatique, ambivalent mais très ancré dans le réel. C’est ce couple qui permet la transition du film vers le mélo sans artifice grossier. Il devait avoir quelque chose d’iconique. Mais très vite, avec David Bertrand, les noms d’Anna Mouglalis et de Grégoire Colin se sont imposés avec évidence. Ils ont en eux ce truc génial, ce timbre de voix, ce regard, cette profondeur qui les sort de la norme. Leurs regards sont pleins d’humanité mais ils ont quelque chose d’encore rebelle, d’intranquille. Et c’est dans cet univers que je voulais plonger le personnage principal. Pour Nour, j’ai mis du temps à trouver car j’avais besoin d'un acteur qui soit physiquement très à l'aise dans son corps pour évoluer sur dix ans avec des scènes de danse, etc. Mais surtout, je voulais quelqu'un jouant avec sa sensibilité et son émotion, qui soit à l’aise de jouer en silence, avec le regard. On m’a alors parlé d’Ayoub Gretaa qui est connu au Maroc pour avoir joué dans une série très populaire. Il avait exactement le regard et le physique que je recherchais. J’ai découvert un homme très sensible, très émotif, toujours prêt à accueillir l'émotion de l'autre. Et puis son regard avait quelque chose de lumineux, rieur mais aussi très mélancolique dans sa tendresse. En un instant, il pouvait passer du jeune fougueux à l’homme mature et posé. Nous avons réalisé deux, trois essais, et j’ai su que nous ferions le film ensemble. Et je me suis dit "voilà, cela va être beau que ce film soit regardé à travers ses yeux".
Le film a été tourné à Marseille et Casablanca ?
Sept semaines dont cinq à Marseille et deux à Casablanca en novembre / décembre 2023, sans interruption et c’était très dur de gérer la transition entre les deux pays. Mais on voulait finir pour les fêtes et on avait déjà le calendrier cannois en tête, donc ça a été un peu la course.
N’est-il pas parfois difficile de recréer les années 1990 dans des environnements urbains actuels ?
Oui c’est une véritable contrainte mais pour le budget que nous avions, la cheffe déco et la cheffe costumière Teresa Hurtado Escobar et Charlotte Richard ont été incroyables, de même que le chef opérateurTom Harari. Ensuite, le film n’est pas non plus une reconstitution lourde. Il s’inscrit vraiment dans le mélodrame et la reconstitution est avant tout émotionnelle. C’est davantage une référence aux années 90 avec quelques marqueurs.
Encore une fois, l’important pour moi était la logique esthétique globale et l’approche intime des personnages, qui m’a guidée. L’une des références les plus importantes du film était L'Éducation sentimentale de Flaubert. Le personnage principal, Nour, est davantage traversé par l’Histoire qu’il n‘y participe.
Comment s’est déroulé le tournage ?
On a eu quelques cas de Covid dans l’équipe mise en scène, ce qui a rendu la fin du tournage français très stressante et compliquée. On a manqué un peu de temps mais l’équipe était très soudée et je n’ai pas eu de grosse frustration.
Qu’attendez-vous de cette sélection en compétition de la Semaine de la Critique ?
C’est mon deuxième film, et il n’y vraiment pas beaucoup de deuxième films à Cannes. Je me sens donc chanceux et honoré de lancer le film à la Semaine. Le travail de l’équipe de la Semaine pendant et après Cannes est incroyable et je suis ravi que le film puisse en bénéficier. Passer dans la même sélection qu’un grand film comme Aftersun est quelque chose de très particulier, d’autant que je partage la programmation avec des cinéastes et producteurs dont j’aime beaucoup le travail comme Emma Benestan ou Alexis Langlois dont j’ai hâte de découvrir les films.
D’autres projets en cours ?
Avec Sophie, nous avons des projets en développement en long-métrage et en séries. Judith Abitbol nous a rejoint dans la structure pour produire aussi, notamment le court-métrage. Au Maroc, nous sommes aussi en fort développement de l’activité de coproduction et de prestation de services et on sent que les conditions sont très propices pour faire de ce pays un des leaders africain et arabe dans le cinéma. Y contribuer est assez excitant. En tant qu’auteur, cela va prendre un peu de temps mais je travaille d’ores et déjà sur un nouveau projet avec de nouveaux partenaires mais c’est encore confidentiel.
Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : Gabriel Renault
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