Cinéma

Cannes 2024 – Matthew Rankin réalisateur de "Une langue universelle" : "Mon film est à la recherche de connexions entre différents coins du monde"

Date de publication : 19/05/2024 - 20:34

Réalisé par un cinéaste originaire de Winnipeg, Une langue universelle, sélectionné à la Quinzaine, entremêle trois histoires qui se fondent, s’enchevêtrent et se répondent dans une comédie surréaliste de désorientation.

Comment présentez-vous Une langue universelle  ?
Une autofiction qui prend la forme d'une sorte de diagramme de Venn cinématographique. Un métissage entre le méta-réalisme iranien, le cinéma gris québécois et le surréalisme exaltant de Winnipeg.

Comment avez-vous eu l’idée de ces différents personnages, des ces trois histoires qui finissent par se croiser ?
Durant les années 30, pendant la grande dépression, ma grand-mère a trouvé un billet d'argent pris dans la glace sur une trottoir à Winnipeg. Son stratagème afin de l'en extraire m'a toujours fasciné et ça m'a fait penser aux fables cinématographiques du studio Kanoun en Iran, notamment Le Ballon blanc de Jafar Panahi et Où est la maison de mon ami ? D’Abbas Kiarostami. Mon idée originale était de raconter l'histoire de ma grand-mère à travers le prisme du langage cinématographique que j'associe avec Kanoun.  Étant jeune, j'ai voyagé en Iran dans l'espoir d'y étudier le cinéma Depuis ce moment, c'est un coin du monde qui m’accompagne dans la vie. Une langue universelle est à la recherche de connexions entre différents coins du monde

Vous avez écrit avec Pirouz Nemati et Ila Firouzabadi. Comment avez-vous collaboré ensemble ?
L’idée était de tout mettre en commun, pour créer une sorte de super-cerveau susceptible de formuler ses propres pensées. Comme toujours, j'ai très peu de souvenirs du processus d'écriture. Je n'aime pas tellement écrire et la plupart de mes "scénarios" se composent uniquement de dessins. J'avais commencé avec un synopsis et les dialogues ont été écrits, principalement par Ila et Pirouz. Cela dit, même pendant tournage nous avons écrit d'autres petites scènes, souvent en nous inspirant des comédiens que nous avions castés. Je peux vous citer en exemple la scène du chant avec Hafez Ghamghosar. Elle n’était absolument pas prévue au départ, 'est le comédien Bahram Nabatian qui l'avait proposé le jour même du tournage. Donc c’était un processus de scénarisation organique et très ouvert qui a duré jusqu’à la postproduction.
 
Comment travaillez-vous avec vos producteurs de Metafilms ?
À mes yeux, la plupart des producteurs (tout comme beaucoup réalisateurs en fait) se contentent de recycler les mêmes images (le même "contenu") que nous avons déjà vu 100 000 fois, parce que cette démarche implique peu de risques. Mais les producteurs de Metafilms sont à la recherche d’images neuves, difficiles à réaliser et donc difficiles à produire. Dans un monde qui est surchargé d'images c'est donc un privilège de collaborer avec des producteurs qui cherchent à élargir et à renouveler l’expérience cinématographique et qui partagent ma passion pour les stratégies obliques. Sylvain Corbeil, ainsi que les productrices déléguées du film, Catherine Boily et Rosalie Chicoine Perreault, sont parmi les plus audacieux producteurs au Canada. Ils n'ont peur de rien, ils ont une grande culture cinématographique, ce sont des personnes créatives et spirituelles. Pouvoir collaborer avec eux est une bénédiction.

Comment avez-vous choisi vos comédiens ?
On a donc surtout casté nos amis. D'ailleurs, on s'est inspiré de nos amis pour développer la plupart de nos personnages. Mais il y eu quand même des découvertes. Je suis depuis longtemps le travail de l'artiste québécois Mani Soleymanlou et je pense que c’est un génie. C'était notre premier choix pour jouer le professeur du français et tout le monde sur le plateau était émerveillé par son talent. Danielle Fichaud était ma professeure dramaturgie à l'école et me fascine depuis 20 ans. Et puis il y a les trois jeunes talents que nous avons trouvés avec notre directrice de casting, Marilou Richer, via l'école Dehkhoda à Montréal. Sur le papier, Negin et Nazgol étaient à l'origine un frère et une soeur, mais nous avons été tellement époustouflés par les auditions de Rojina Esmaeili et Saba Vahedyousefi que nous avons transformé les deux personnages en deux soeurs. Et c'est Pirouz et Ila qui m'ont encouragé à jouer mon propre rôle. Je me suis inspiré de Hossein Sabzian dans Close Up de Kiarostami. L'imitation frauduleuse que Sabzian fait de Mohsen Makhmalbaf n'est pas si loin de ce que j’ai fait.

Vous cherchiez des décors précis, une atmosphère particulière ?
Nous avons tourné à Montréal en février 2024, à Winnipeg en mars 2024, puis encore à Montréal en avril-mai 2024. Je voulais surtout mettre le scénario en images dans les édifices gouvernementaux et d'autres structures brutalistes, cette architecture de style international, avec le moins d'arbres possible. On voulait que le monde soit extrêmement « construit » avec des couleurs très bureaucratiques: beige, brun, gris, vert pâle. Les repérages ont duré longtemps et chaque cadre résulte d’une collaboration extrêmement étroite entre la directrice artistique, Louisa Schabas, la directrice photo Isabelle Stachtchenko, et moi-même. Nous recherchions constamment le divin dans le banal.

Des difficultés particulières sur le tournage ?
Une dinde s'est sauvée pendant un tournage de nuit et a été retrouvée le lendemain matin par la police de Montréal. C'était notre seul "incident." Sinon, l'hiver est devenu une saison extrêmement capricieuse au Canada avec le changement climatique. Autrefois très robuste, fiable et froid, l'hiver se réduit de plus en plus avec toujours moins de neige. Tourner des films d'hiver devient très difficile.  

Cette sélection à la Quinzaine constitue un bel écrin pour votre film ?
Oui tout à fait! C'est un bel écrin pour le film, certes, mais j’en attends surtout la joie collective que je vais vivre avec mes amis. Toute l'équipe sera là! Il y a à peu près 40 personnes dans notre délégation cannoise. Cela donne la mesure de l'esprit familial qui existe entre nous. Que notre première mondiale soit à la Quinzaine ou au Gimli International Film Festival, notre bonheur d'avoir créé cette chose ensemble reste pareil.

Vous êtes passé par le programme Next Step de la Semaine de la Critique. Qu’en avez-vous retiré ?
A l’époque le projet s'appelait Akhavan. Cela a été une expérience formidable! Je pense que l’on fait du cinéma parce qu'on veut se connecter aux autres et nouer des amitiés. Ce que je retiens de la très belle initiative de NextStep ce sont surtout les liens que j’ai pu nouer.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : DR


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