Cinéma

Cannes 2024 – Paulo Carneiro réalisateur de "La savane et la montagne" : "Ce film a fait fuir tous les partenaires possibles"

Date de publication : 20/05/2024 - 09:30

Présenté à la Quinzaine des cinéastes, ce documentaire hybride suit les habitants d’une région du nord du Portugal, dans leur combat contre la construction, par la société britannique Savannah Resources, de la plus grande mine de lithium à ciel ouvert d'Europe à quelques mètres de certaines habitations.

Comme vos précédents films, celui-ci est né d'un fait de société ou d'une situation réelle dont vous aviez connaissance. Ou en est ce projet de mine de lithium ?
C'est une longue lutte, le processus est en cours depuis la mi-2017. En ce moment, il y a des piquets de grève pour empêcher les machines d'avancer depuis novembre, les habitants de Covas do Barroso ne baissent pas les bras, l'entreprise maintient son action quotidienne. Cela fait plus d'un semestre, que se joue une sorte de jeu du chat et de la souris. Ce qui est étrange c’est que les ouvriers qui conduisent les machine sont en fin de compte de simples employés, qui jouent souvent aux cartes pour tuer le temps.

A propos du processus d'écriture. Avez-vous écrit avec Alex Piperno, une base, et vous êtes-vous laissé guider ensuite par la situation ?
J'avais une ligne narrative très établie au départ qui s’est métamorphosées au fur et à mesure de ce que les gens me disaient ou des moments que l’on filmait en improvisant totalement. C'est un cinéma très physique qui est influencé par l'humeur des gens eux-mêmes, leur disponibilité ou la façon dont les décors pouvaient être occupés ou non à un moment donné. Ensuite arrive la table de montage et c'est là que je commence à travailler en partenariat avec Alex, qui croit beaucoup en cette idée d'écrire pendant le montage pour pouvoir ensuite revenir au tournage. J'ai l'impression que c'est quelque chose qui vient beaucoup du cinéma que l’on pratique à Rio de Janeiro, sachant que le film est entièrement post-produit en Uruguay. Je me souviens avoir vu plus récemment le très beau Los Delincuentes, qui utilise ce procédé. Cette possibilité de monter/filmer/assembler/filmer m'a vraiment libéré dans la réalisation. Cela va à l'encontre de la méthode plus classique du tournage en une seule fois. Cela a été possible grâce à notre économie de moyens et parce que nous nous amusions beaucoup pendant le tournage. Je travaille déjà sur un autre film pour lequel nous conservons la même méthode.

Et vous êtes aussi l'un des producteurs de votre film... Ce format hybride n'a-t-il pas fait fuir des partenaires financiers potentiels ?
Ce film a fait fuir tous les partenaire possibles... Il n'a pu voir le jour que grâce au soutien financier de la municipalité de Boticas (Covas do Barroso) au Portugal et de l'Acau (Agencia del Cine y Audiovisual) en Uruguay. Il été rejeté par la RTP (télévision publique) et l'ICA (Instituto do Cinema e do Audiovisual) à trois reprises pour le soutien à la post-production. Il y avait un sentiment doux-amer lorsqu'en avril nous avons reçu la réponse négative de l'ICA pour la troisième fois. Je ne savais pas ce que le film allait donner. Nous sommes arrivés 92e (sur 104 films déjà tournés/montés au Portugal), et une dizaine de jours plus tard, nous avons su que nous étions sélectionnés par la Quinzaine. Maintenant, nous espérons que la visibilité du film nous aidera à rembourser nos dettes.

Y a-t-il eu une étape particulière dans le développement du film ?
Le film a été développé entre 2020-2023. Mais c’est à partir de 2022 que j’ai pu commencer à aligner mes idées, trouver le ton en forme de western, ce geste de cinéma qui flotte dans les gris parce que finalement il n'y a pas de gagnant. C'est toujours le cinéma qui doit gagner et c'est ce qu'on veut montrer dans notre film. Le cinéma ne sera pas tué par le capitalisme, tout comme les gens et la ville de Covas do Barroso, ne disparaîtront pas.

Comment avez-vous convaincu la population locale de participer au projet ?
En fait le film m'a été proposé par des écologistes et un ou deux habitants de Covas do Barroso, après qu'ils aient vu Bostofrio, que j’ai tourné dans le village natal de mon père, à cinq kilomètres de là. Je n'ai jamais été très convaincu par l'idée de filmer les propositions des autres, et j'ai donc mis cette idée de côté. Mais 2020, environs un an plus tard, alors que nous étions tous confinés à cause de Covid, j'ai vu une vidéo partagée sur les médias sociaux qui montrait cette vallée vouée à être détruite si la mine était exploitée. On pouvait déjà voir une grande partie de la déforestation causée par les grandes machines de forage de prospection et la construction des routes d'accès à différents points de la montagne. Ca m’a impressionné. J’ai appelé Ricardo Leal, mon partenaire habituel pour le son. Le lendemain, il m'a rejoint à Porto et nous sommes partis pour Barroso. C'est une sorte d'engagement, celui qui rejoint le combat ne le quitte pas. Cela m'a servi de ligne de conduite dans les moments les plus difficiles.

Vous avez donc tourné sur place à Covas do Barroso. La situation a-t-elle changé pendant le tournage ?
Nous avons tourné à Covas do Barroso et dans d'autres endroits, mais c'est le mensonge du cinéma qui permet de faire croire qu’on est toujours dans le village. La lutte a continué à se développer. L’ensemble du processus, soit tout ce qui a précédé le tournage et ce dernier s’est déroulé de 2020 à 2023.

Des difficultés particulières pendant le tournage ? 
Le plus difficile a été de faire face aux pics puis aux creux d’activités de la société minière. Cela rendait les gens très nerveux. La partie la plus forte du film a été tournée au moment où arrivaient les résultats de l’étude d’impact sur l’environnement de l’agence spécialisée portugaise. Les gens étaient complètement désabusés et découragés.

Le montage a-t-il pris beaucoup de temps ?
Non car je tourne toujours très peu pour mes films. J'ai cette habitude de synthétiser, et ce n'est pas lié à la pellicule ou au numérique. Je pense que je suis comme ça parce que j'ai travaillé comme monteur. J'aime m'affirmer au moment du tournage, même si je mets parfois quelques mois pour faire plusieurs plan afin de pouvoir compléter ma scène. On a monté petit à petit, je dirai que ça a duré deux mois. Le film a été terminé en avril.

Qu'attendez-vous de cette sélection à la Quinzaine ?
Nous sommes très heureux de pouvoir partager ce film avec le public et de le voir pour la première fois dans un lieu où sont passés des cinéastes que nous respectons depuis toujours et qui constituent notre école de cinéma et de vie.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : DR


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