Cannes 2024 – Marcelo Caetano réalisateur de "Baby" : "Pour tourner à São Paulo, on doit apprendre à danser avec la ville"
Date de publication : 22/05/2024 - 11:30
Présenté à la Semaine de la Critique ce deuxième film du réalisateur de Corpo Elétrico, ce mélodrame queer, qui raconte aussi les solitudes urbaines, a été coproduit avec les français de Still Moving.
Comment présentez-vous Baby en quelques mots ?
Baby est un film sur la rencontre entre deux personnes totalement différentes mais qui dépendent l'une de l'autre pour survivre à la solitude écrasante de la métropole.
Un lien éventuel avec le personnage de votre précédent film Corpo Elétrico?
Les personnages de Baby viennent du centre-ville de São Paulo. Dans ce sens-là, il est très proche de Corpo Elétrico. Mon inspiration se nourrit de mes observations de la jeunesse qui peuple les quartiers du centre. Il y a aussi quelques correspondances thématiques entre les deux films : la solitude des jeunes et l'importance des liens communautaires pour sortir de cette solitude. Mais je pense que Baby est avant tout un film sur la passion, ce sentiment douloureux qui nous relie à quelqu'un d'une manière très physique et qui crée des liens de dépendance dont il est difficile de se libérer.
Comment s’est déroulé le processus d’écriture ?
J'ai écrit mes deux films avec Gabriel Domingues, mais on ne travaille ensemble que dans le début de l'écriture. On pense les scènes, la structure narrative et la trajectoire des personnages. Après ce moment-là, quand je commence les répétitions, le scénario change beaucoup. C'est avec les comédiens que je découvre les voix des personnages, les dialogues et les non-dits. Le scénario se réécrit durant les répétitions. On garde la structure, mais les personnages trouvent leur voix et leur chair.
Il y avait dans Corpo Elétrico beaucoup d'improvisation et les scènes sont plus des jeux entre comédiens que des propositions narratives plus traditionnelles. Cela a donné au film un côté presque documentaire. Dans Baby, j'ai travaillé une construction narrative plus classique, mais pour ne pas perdre l'aspect documentaire, j’ai réalisé beaucoup de scènes dans la rue et les comédiens ont été obligés de réagir aux piétons, aux bruits de la ville, prêts à changer la scène face à l'inattendu.
Comment avez-vous travaillé avec vos différents coproducteurs ?
Dès le début, j'ai pensé que Baby devait être une collaboration internationale. Mais pas une collaboration juste pour le financement. On avait envie de travailler avec des producteurs créatifs qui posent les bonnes questions sur le scénario, le casting et le montage. Et je pense qu'on a bien réussi à trouver ces producteurs créatifs en France (Still Moving) et aux Pays-Bas (Circe Films). Du côté brésilien, j'ai travaillé avec Ivan Melo et Beto Tibiriça qui sont aussi les producteurs de Corpo Elétrico
Des étapes particulières pendant le développement du film ?
La coproduction avec la France et les Pays-Bas a été signée bien avant le tournage du film, pendant le développement du scénario. On avait beaucoup d'échanges avec les coproducteurs et c'est un aspect très intéressant de ce projet : je voulais rendre le film le plus universel possible, mais en racontant une histoire avec une identité brésilienne.
Pendant le tournage on a travaillé avec une ingénieure du son, la franco-argentine Graciela Barrault. Il y a plusieurs français dans la post-production comme le monteur Fabian Remy, l’étalonneuse Marine Lepoutre et le graphiste Florent Texier responsable des beaux génériques du film. La post-production du son s’est déroulée à Amsterdam, coordonnée par le talentueux Max van den Oever.
Comment avez-vous choisi vos comédiens ?
Les comédiens qui jouent les jeunes ont été choisis après un appel public sur internet. On a reçu plus de deux mille inscriptions et on a réalisé des essais pendant trois mois. Au Brésil comme en France, on travaille avec du financement public. Donc c'est une question de justice sociale de garantir l'accès de jeunes comédiens aux castings et renouveler les visages qu'on rencontre dans les films. À mon avis, le casting est aussi une affaire politique.
Pour tourner cherchiez des décors, une atmosphère particulière ?
On a tourné le film en août et septembre 2023. La plupart du film se passe aux alentours de l'avenue São João, où j'habite. Tous les décors du film étaient à moins de 10 minutes à pied de chez moi. Ils me sont très familiers et c'est exactement ce que je cherchais, faire un film comme un récit de mon quartier, filmer les corps que je croise dans les rues, raconter leurs histoires.
Vous avez opéré des choix de mise en scène particuliers ?
J'ai essayé de construire un langage inspiré par les décors où on a tourné. J'ai déjà parlé des rues de São Paulo, mais les intérieurs sont aussi très caractéristiques, parce que São Paulo est une ville surpeuplée et les appartements sont habités par beaucoup de personnes. Les espaces sont claustrophobiques. J'ai donc placé des miroirs dans les décors pour qu'on puisse avoir plus de profondeur de champ. Les personnages sont vus de différents points de vue dans le même cadrage et on a toujours une sensation de multiplications des corps et des espaces.
Des difficultés particulières sur le tournage ?
Tourner un film dans les rues de São Paulo, c'est toujours un défi. La ville est chaotique et il est impossible de contrôler les voitures, les piétons, le bruit assourdissant. On doit apprendre à danser avec la ville, avec le hasard. Mais le plus grand défi est de tourner un film avec les changements climatiques : le climat au Brésil est devenu fou. On a choisi de tourner en hiver à São Paulo, une saison froide et très sèche. Mais c'était l'hiver le plus pluvieux de l'histoire. Les températures étaient imprévisibles : on avait huit degrés le matin et trente degrés le midi. Et quand on tourne d'une manière presque documentaire, on ne peut pas habiller les comédiens en pull et les mettre juste à côté des piétons en t-shirt. C'était un travail difficile pour Gabriela, notre costumière.
Quand le film a-t-il été terminé ?
Le tournage a duré jusqu’à fin septembre 2023 et la post-production jusqu’au début avril 2024.
Qu’attendez-vous de cette sélection en compétition de la Semaine de la Critique ?
C'est curieux, mais pendant le montage, quand j'imaginais où ce film aurait sa première, la Semaine de la critique était la première section qui me venait en tête. Les films et réalisateurs découverts par la Semaine ces dernières années ont marqué mon imaginaire récent : Aftersun, Levante, Tiger Stripes. Je pense qu’ils font des choix audacieux et que Baby dialogue bien avec les sélections des années précédentes.
Comment se porte à présent le cinéma indépendant brésilien de votre point de vue ?
Le cinéma brésilien vit un moment de renaissance après des années très difficiles à cause de la pandémie et d'un gouvernement qui méprisait les artistes. On vit une espèce de nouveau souffle et je suis très content de représenter le pays à Cannes avec deux autres long-métrages brésiliens : Motel Destino de Karim Aïnouz en Compétition et La chute du ciel de Eryk Rocha et Manuela Carneiro à la Quinzaine. Je crois que le cinéma indépendant brésilien va renaître avec de nouvelles voix, avec plus de réalisatrices, d’indigènes, de noir.es et de queers débutant en long-métrage dans les prochaines années. C’est le moment d'un grand changement.
Baby est un film sur la rencontre entre deux personnes totalement différentes mais qui dépendent l'une de l'autre pour survivre à la solitude écrasante de la métropole.
Un lien éventuel avec le personnage de votre précédent film Corpo Elétrico?
Les personnages de Baby viennent du centre-ville de São Paulo. Dans ce sens-là, il est très proche de Corpo Elétrico. Mon inspiration se nourrit de mes observations de la jeunesse qui peuple les quartiers du centre. Il y a aussi quelques correspondances thématiques entre les deux films : la solitude des jeunes et l'importance des liens communautaires pour sortir de cette solitude. Mais je pense que Baby est avant tout un film sur la passion, ce sentiment douloureux qui nous relie à quelqu'un d'une manière très physique et qui crée des liens de dépendance dont il est difficile de se libérer.
Comment s’est déroulé le processus d’écriture ?
J'ai écrit mes deux films avec Gabriel Domingues, mais on ne travaille ensemble que dans le début de l'écriture. On pense les scènes, la structure narrative et la trajectoire des personnages. Après ce moment-là, quand je commence les répétitions, le scénario change beaucoup. C'est avec les comédiens que je découvre les voix des personnages, les dialogues et les non-dits. Le scénario se réécrit durant les répétitions. On garde la structure, mais les personnages trouvent leur voix et leur chair.
Il y avait dans Corpo Elétrico beaucoup d'improvisation et les scènes sont plus des jeux entre comédiens que des propositions narratives plus traditionnelles. Cela a donné au film un côté presque documentaire. Dans Baby, j'ai travaillé une construction narrative plus classique, mais pour ne pas perdre l'aspect documentaire, j’ai réalisé beaucoup de scènes dans la rue et les comédiens ont été obligés de réagir aux piétons, aux bruits de la ville, prêts à changer la scène face à l'inattendu.
Comment avez-vous travaillé avec vos différents coproducteurs ?
Dès le début, j'ai pensé que Baby devait être une collaboration internationale. Mais pas une collaboration juste pour le financement. On avait envie de travailler avec des producteurs créatifs qui posent les bonnes questions sur le scénario, le casting et le montage. Et je pense qu'on a bien réussi à trouver ces producteurs créatifs en France (Still Moving) et aux Pays-Bas (Circe Films). Du côté brésilien, j'ai travaillé avec Ivan Melo et Beto Tibiriça qui sont aussi les producteurs de Corpo Elétrico
Des étapes particulières pendant le développement du film ?
La coproduction avec la France et les Pays-Bas a été signée bien avant le tournage du film, pendant le développement du scénario. On avait beaucoup d'échanges avec les coproducteurs et c'est un aspect très intéressant de ce projet : je voulais rendre le film le plus universel possible, mais en racontant une histoire avec une identité brésilienne.
Pendant le tournage on a travaillé avec une ingénieure du son, la franco-argentine Graciela Barrault. Il y a plusieurs français dans la post-production comme le monteur Fabian Remy, l’étalonneuse Marine Lepoutre et le graphiste Florent Texier responsable des beaux génériques du film. La post-production du son s’est déroulée à Amsterdam, coordonnée par le talentueux Max van den Oever.
Comment avez-vous choisi vos comédiens ?
Les comédiens qui jouent les jeunes ont été choisis après un appel public sur internet. On a reçu plus de deux mille inscriptions et on a réalisé des essais pendant trois mois. Au Brésil comme en France, on travaille avec du financement public. Donc c'est une question de justice sociale de garantir l'accès de jeunes comédiens aux castings et renouveler les visages qu'on rencontre dans les films. À mon avis, le casting est aussi une affaire politique.
Pour tourner cherchiez des décors, une atmosphère particulière ?
On a tourné le film en août et septembre 2023. La plupart du film se passe aux alentours de l'avenue São João, où j'habite. Tous les décors du film étaient à moins de 10 minutes à pied de chez moi. Ils me sont très familiers et c'est exactement ce que je cherchais, faire un film comme un récit de mon quartier, filmer les corps que je croise dans les rues, raconter leurs histoires.
Vous avez opéré des choix de mise en scène particuliers ?
J'ai essayé de construire un langage inspiré par les décors où on a tourné. J'ai déjà parlé des rues de São Paulo, mais les intérieurs sont aussi très caractéristiques, parce que São Paulo est une ville surpeuplée et les appartements sont habités par beaucoup de personnes. Les espaces sont claustrophobiques. J'ai donc placé des miroirs dans les décors pour qu'on puisse avoir plus de profondeur de champ. Les personnages sont vus de différents points de vue dans le même cadrage et on a toujours une sensation de multiplications des corps et des espaces.
Des difficultés particulières sur le tournage ?
Tourner un film dans les rues de São Paulo, c'est toujours un défi. La ville est chaotique et il est impossible de contrôler les voitures, les piétons, le bruit assourdissant. On doit apprendre à danser avec la ville, avec le hasard. Mais le plus grand défi est de tourner un film avec les changements climatiques : le climat au Brésil est devenu fou. On a choisi de tourner en hiver à São Paulo, une saison froide et très sèche. Mais c'était l'hiver le plus pluvieux de l'histoire. Les températures étaient imprévisibles : on avait huit degrés le matin et trente degrés le midi. Et quand on tourne d'une manière presque documentaire, on ne peut pas habiller les comédiens en pull et les mettre juste à côté des piétons en t-shirt. C'était un travail difficile pour Gabriela, notre costumière.
Quand le film a-t-il été terminé ?
Le tournage a duré jusqu’à fin septembre 2023 et la post-production jusqu’au début avril 2024.
Qu’attendez-vous de cette sélection en compétition de la Semaine de la Critique ?
C'est curieux, mais pendant le montage, quand j'imaginais où ce film aurait sa première, la Semaine de la critique était la première section qui me venait en tête. Les films et réalisateurs découverts par la Semaine ces dernières années ont marqué mon imaginaire récent : Aftersun, Levante, Tiger Stripes. Je pense qu’ils font des choix audacieux et que Baby dialogue bien avec les sélections des années précédentes.
Comment se porte à présent le cinéma indépendant brésilien de votre point de vue ?
Le cinéma brésilien vit un moment de renaissance après des années très difficiles à cause de la pandémie et d'un gouvernement qui méprisait les artistes. On vit une espèce de nouveau souffle et je suis très content de représenter le pays à Cannes avec deux autres long-métrages brésiliens : Motel Destino de Karim Aïnouz en Compétition et La chute du ciel de Eryk Rocha et Manuela Carneiro à la Quinzaine. Je crois que le cinéma indépendant brésilien va renaître avec de nouvelles voix, avec plus de réalisatrices, d’indigènes, de noir.es et de queers débutant en long-métrage dans les prochaines années. C’est le moment d'un grand changement.
Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : DR
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